[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#732a35″]I[/mks_dropcap]l y a trois ans, je terminais un roman de Bernardo Carvalho, Reproduction (lire ici) avec un sentiment étrange : à la fois séduit et fatigué par une lecture demandant une attention très forte.
Je commençai donc le nouvel ouvrage de cet auteur, Sympathie Pour le Démon, avec une certaine appréhension.
Les personnages se nomment : le Rat, le Clown, le Chihuahua. Étrange.
L’histoire commence comme un roman assez classique d’espionnage. Le Rat travaille pour une agence, il s’est plus ou moins mis dans l’embarras et on lui impose une mission quasi suicidaire qu’il accepte, presque par désœuvrement. Il doit sauver un homme, qui a été enlevé, en livrant une rançon. C’est la première partie du livre. Moments intenses et complètement prenants.
Une cassure a alors lieu quand le narrateur se met à nous parler de la vie personnelle du Rat, nous relatant des dialogues avec d’autres personnages. Ce qui occupera la suite du roman avec, en filigrane, une explosion dans un hôtel, et le Rat se trouvant face à face avec un homme et sa ceinture d’explosifs.
Cette cassure est totalement déroutante et on a le sentiment de commencer un nouveau roman. Un roman fait de tensions extraordinaires. L’auteur nous propose et fait l’analyse d’une relation amoureuse à travers la confession du Rat à un homme sur le point de commettre un attentat en faisant sauter sa ceinture d’explosifs.
Toujours sur le fil, le lecteur se demande si la confession ne va pas être interrompue par une explosion.
Mais non, la confession continue à travers le narrateur, et le Rat revient sur cet amant qui a causé sa perte, qui l’a manipulé depuis le début, lui jurant un amour éternel quand il entretenait une autre liaison avec un homme (le Clown) dont il était éperdument amoureux.
… bredouilla le Rat, la langue pâteuse. « Pourquoi, sachant qu’une personne ne peut pas faire partie de ta vie – tu regardes cette personne et tu sais qu’elle ne va jamais faire partie de ta vie – , en tombes-tu quand même amoureux ? Qu’est-ce qui fait que tu te laisses avoir par le plus grand de tous les mensonges, quand elle te dit qu’elle va faire partie de ta vie, ou pire qu’elle fait déjà partie de ta vie ? »
Bernardo Carvalho fait alors de son roman une analyse froide et clinique d’une passion destructrice car basée sur la manipulation. La psychologie prend une part importante ici et personne n’est épargné.
C’était un corps étranger au sein de tant de pureté. Il avait besoin de détruire les ego (les autorités) autour de lui, pour régner seul, unique et solaire, comme dans son enfance, lorsqu’il fusionnait avec la mère qui l’avait trahi et envoyé dans un pensionnat de curés, et qui s’était acheté un petit chien pour se souvenir de son fils quand celui-ci partit vivre à Berlin.
Roman foisonnant, roman de confession et d’amours ratés ou manipulés, de sentiments extrêmes mais faux, Bernardo Carvalho nous livre avec Sympathie Pour le Démon une œuvre impressionnante et complètement prenante, servie par une narration éclatée qui rend la lecture captivante.
De plus, en exergue, la magnifique citation suivante : Call me morbid, call me pale, I’ve spent six years on your trail qui non seulement colle parfaitement au roman, mais ravira tout fan de The Smiths.