Prenez un ado, n’importe lequel, à Hampstead, en1983, en Angleterre. Chômage, violence, Tatchérisme, pub, alcoolisme ordinaire. Quelle chance peut-il avoir à cette époque de se sortir du marasme ambiant, d’échapper à une condition sociale écrite à l’avance ? Hormis le sport ou la musique, peu de solutions s’offrent à lui. Chance pour lui, en 1983, l’ado en question sait à peu près chanter et jouer de la guitare. Et de plus, il a de bons goûts musicaux : le Post-Punk, le Psyché sixties américain (13th Floor Elevators notamment), la Pop anglaise sont ses principales influences. Chance encore, le gars trouve plusieurs personnes ayant à peu près les mêmes goûts que lui, musiciens de surcroît, et intègre un groupe en 1984, The X-Men. Le groupe se fait remarquer, parvient à enregistrer deux singles en 1984 et 85 et sortir un mini album en 86, Lilies For My Pussy. Mini album plutôt réussi qui se démarque des autres groupes de cette époque par des chansons courtes, nerveuses, pop mais sous haute influence Post-Punk, Rock Psyché américain late 60’s et un soupçon de Krautrock (notamment sur Don’t Break This Heart Of Mine). Influences peu communes pour un groupe anglais à une époque où les références sont les Smiths, XTC ou les Housemartins et où New Order, malgré un succès évident, fait figure d’anachronisme musical. Bref, comme on peut s’en douter, le groupe n’y survivra pas et se scindera en deux. En même temps, à bien y regarder, l’inéluctabilité de la mort de The X-Men était hautement prévisible tant se démarquait du groupe deux personnalités : d’abord Debbie Green, qui partira former les Would-Be-Goods puis les excellents Thee Headcoatees début des 90’s Et surtout Tom Cullinan, dont le seul morceau écrit pour le groupe en 1985, Spiral Girl, laissait augurer ce qui allait arriver quelques années plus tard : une écriture sèche, teigneuse, avec des guitares rêches, dissonantes, immédiatement pop mais sous influence de Mark E Smith, Johnny Lydon. Bref, le morceau éclipse à lui seul quasiment tout le reste de la discographie du groupe.
Quelque temps après la fin de The X-Men, Cullinan rencontre Ben Hopkin, bassiste et forme un groupe consacré exclusivement aux reprises de groupe punk. Prétexte pour faire des concerts et surtout picoler à l’œil. Lors d’un concert Joe Dilworth les remarque et profite d’une place vacante pour rejoindre le groupe. Trois concerts plus tard, lassés de jouer toujours au même endroit, le trio finit par accepter de recruter Roxanne Stephen, serveuse dans un pub et chanteuse à l’occasion, à la seule condition qu’ils fassent un concert dans le pub où elle bosse, le Falcon. Quand le patron leur demande leur patronyme, les gars répondent, dans un état second, Th’ Faith Healers, sans « e » car les Thee Hypnotics le leur aurait volé.
Le groupe formé dans sa totalité, ne reste plus qu’un petit coup de pouce du destin. Parmi la foule, lors de leurs concerts, se trouvent donc Richard Roberts et Paul Cox, néo fondateurs du meilleur label anglais du monde des années 90, Too Pure. Les deux gars tombent raides dingues du groupe, les signent puis les invitent à jouer en live au Sausage Machine Club avec d’autres groupes émergents de la scène anglaise. De ces concerts sortira la première référence du label, Now That’s Disgusting Music – Live at the Sausage Machine, compilation live où le groupe se tire la bourre aux côtés de Mega City Four, Silverfish, Snuff. Petite anecdote à ce propos : Th’Faith healers sera le seul des huit groupes présents à continuer avec Too Pure. Prouvant par la même occasion que Richard Roberts et Paul Cox avaient des portugaises en excellent état de fonctionnement.
Nous sommes donc en 1990 et tout va s’enchaîner très vite ensuite. Concerts en première partie de Lush, enregistrement de leur premier single Pop Song. Soit trois chansons pour une vingtaine de minutes, dans lesquelles on retrouve les germes de ce qui fera la singularité de leur musique. Si on évince Pop Song, massacre à la tronçonneuse anodin, les deux autres titres, simplement grandioses, posent les fondations de ce que sera le son Faith Healers : un mix très personnel de Krautrock, Noise Rock et Pop, un son à la fois violent, crade, sans compromission et fascinant.
S’ensuit un frémissement de reconnaissance de la presse, une série de concerts mémorables, pour les spectateurs pas pour Cullinan, carburant un peu trop à l’alcool au point qu’il ne se souviendra même pas avoir joué lors d’un des concerts de novembre 90.
91 démarre aussi fort que l’année précédente, le groupe enregistre et sort en février le premier des deux Eps de l’année, A Picture Of Health dans lequel il se présente sous son meilleur jour, presque propre, pop, où Roxanne chante plutôt sobrement, usant de guitares acoustiques et mettant le hola sur les tronçonneuses. Du moins sur les ¾ de Gorgeous Blues et une partie de Not A God parce que chassez le naturel…il revient au triple galop avec un Not A God très shoegaze et un God You Move, très…barré. N’empêche, la reconnaissance critique commence à venir sérieusement, on parle de plus en plus d’eux en Angleterre, le groupe fait enfin des concerts en tête d’affiche, le succès frappe à leur porte mais comme la musique qu’ils jouent les rend sourds comme des pots, ils décident de faire un break de six mois au moment où il aurait justement fallu appuyer sur l’accélérateur. Du coup, retour aux studios à l’automne et enregistrement dans des conditions difficiles de In Love. EP considéré par le groupe comme leur EP le plus inabouti. Il contient pourtant un classique, Reptile Smile, qui leur permettra deux choses : un , d’accéder pour la première fois aux tops indie d’Angleterre (Le succès de cet EP leur a même permis d’être invité à jouer à une fête de noël à Camden Palace), et deux d’acquérir la réputation de groupe aux goûts de chiottes pour la conception graphique de leurs visuels. Et j’aurai pu également ajouter autre chose mais qui ne s’entend pas dans leur musique : d’être un des groupes les plus drôles du circuit indé. Pour cela il suffit de jeter un œil aux notes accompagnant leurs Eps (celle d‘In Love vaut son pesant de cacahuètes : If you’re very quick, you can read this as the record work is revolving. If not slow it down to 16 rpm’s in which case it will probably sound better. You are now listening to Super which will be followed by Lovely. On the other side was or will be Reptile Smile… If you read this in the manner suggested you ought to get your eyes repaired ).
Si 1991 se termine par une beuverie à Camden Palace, le début de l’année 1992 voit le groupe retourner en studio et enregistrer enfin son premier album, Lido. Celui-ci sort en France courant juin, précédé de peu, genre une semaine ou deux, par la compile un peu bâtarde L’ (traduction française de Th’) incluant les 3 premiers Eps mais pas dans la totalité, God You Move et Super manquant curieusement à l’appel. Autant de ce côté-ci de l’Atlantique L’ recevra un accueil qu’on qualifiera de mitigé pour être poli, autant Lido fera l’effet d’une bombe. Il faut l’avouer, la carte de visite est particulièrement impressionnante : huit morceaux carburant à l’urgence, la tension, écrits par des psychopathes, musiciens à leurs heures perdues, n’ayant aucune connaissance de ce qu’est une grille d’accords et utilisant leurs instruments comme Leatherface manie la tronçonneuse. Sept compositions originales plus une reprise (Mother Sky de Can) si habitée qu’on croirait une composition originale du groupe. Huit morceaux sans aucune compromission, ni humour, qui vous sautent littéralement à la gorge, dans lesquels même les pauses sont inquiétantes, les déclarations d’amour flippantes et dont le seul refuge à peu près sain, pour supporter tout ça, reste la folie. Il faut dire que le groupe se fout comme de sa première chemise de plaire ou non, il semble juste animé par le besoin de libérer ses pulsions les plus malsaines, sans filtres et de les jeter à la gueule de l’auditeur qui n’en demandait pas tant mais prend un pied immense à se faire violenter de la sorte. Lido, 23 ans après sa sortie, reste un album important dans le paysage musical Anglais, dérangeant par sa violence sèche, sa volonté de malmener la Pop/Rock Britannique et inventant au passage un langage, un son propre au groupe qu’on ne retrouvera nulle part ailleurs.
Pour information il existe deux versions de Lido : l’une destinée au marché européen, l’originale, contenant huit morceaux, l’autre prévue pour le marché américain contenant deux morceaux bonus (Reptile Smile et Moona Inna Joona, présents sur le EP Mr Litnanski qui ne sera jamais distribué aux States). Je ne peux que vous conseiller de vous jeter sur l’édition européenne, les bonus, placés en plein milieu de Lido ont été pensés par des sagouins dont la dynamique voire la cohérence de l’album semblait être le cadet de leur soucis.
Dans la foulée de Lido le groupe repart sur la route, assure la promo et leurs concerts, impressionnants selon les spectateurs et les critiques présents, rencontrent un succès grandissant. Ils sortent également un nouvel EP, Mr Litnanski, qui ne sera distribué qu’en Europe, les Etats-Unis auront droit à la totalité du EP sur deux supports : l’un en 45 tours limité contenant My Loser et Oh Baby, l’autre comme je l’expliquais précédemment sur Lido, en bonus. Trois inédits donc et une réinteprétation (Reptile Smile) dans lequel le groupe se fait moins radical que sur Lido, conservant toujours leur identité mais arrondissant les angles, perdant en abrasion ce qu’ils gagnent en accessibilité, avec en sus un petit côté Punk (My Loser) voir Pop faisant de cet Ep un complément idéal à Lido, une porte d’entrée plus accueillante à leur univers.