« (…) There is a crack, a crack in everything (there is a crack in everything)
That’s how the light gets in » – Leonard Cohen, Anthem
C’était un soir d’automne 2015, le genre d’instant inoubliable. Il faut dire que depuis, la prestation a été immortalisée sur les sillons d’un disque dont la pochette laisse entrevoir l’ombre de ma tête (Live at l’UBU). C’était la dernière fois que j’ai pleuré lors d’un concert, submergé par l’émotion épidermique de Twenty One, titre qui trouvait un tragique écho en mon foyer alors que l’annonce d’une triste disparition frappait à notre porte.
The Apartments avait été plongé dans une mise en sommeil bien trop frustrante. Peter Milton Walsh, poussé par quelques fans pouvait à nouveau conquérir son auditoire, une contribution spontanée mettant fin à dix-huit années de disette (si l’on exclut de la chronologie une amorce de come-back rétrospectif enregistré dans le cadre d’une session radiophonique – Seven Songs).
Le sublime No Song, No Spell, No Madrigal s’exposait alors devant le rideau des sentiments profonds. Notre attendrissement était plus que jamais subjugué par tant de maîtrise retrouvée.
Il faut dire que l’histoire musicale de Peter Milton Walsh offrait déjà quelques bien belles pages aux côtés des Go-Betweens. Une genèse musicale inspirée, influant la naissance d’un projet intime marqué par de multiples mouvements, tant avec les acteurs que les espaces (de Brisbane à Londres, sans que l’intéressé n’oublie de poser ses valises en France, pour notre plus grand plaisir).
Le succès d’estime pour The Apartments se justifia au fil des sorties, par la récolte des fruits d’un parcours sans faille, une sensation reconnue puis devenue culte du fait de sa forte qualité d’expression. Partant de ce tableau élogieux, nous étions forcément impatients de connaitre la suite de cette aventure artistique.
Cinq ans après une renaissance quasi inespérée, The Apartments revient charmer les amoureux d’une musique qui insuffle invariablement toute sa classe mêlée de vague à l’âme.
Dans ce jeu d’ombres et de lumières, la narration coule de source. In And Out Of The Light est un condensé de majesté ombragée. Nous ne sommes donc pas décontenancés par un brutal changement de cap, l’humeur demeure blindée de spleen et d’idéal, le pointeur sans doute encore un peu plus orienté en direction de ballades aux éclairs souvent opaques. Pocketful Of Sunshine est de cette trempe, humectée par quelques caresses sur les cordes qui résonnent dans un doux parfum acoustique, renouant avec la quiétude d’ensorcelantes mélancolies. C’est le poids de la solitude qui s’accentue avec les reliefs d’un vécu des plus tendres. Le déchirement est à son comble lorsque les cuivres chagrinés s’immiscent au travers des brèches, accompagnés d’un fantomatique contre-chant.
Tout ici est finement dosé et l’album ne souffre nullement d’une perte de cohésion. La trame a été agencée à Sydney par notre frontman en compagnie du bassiste Eliot Fish, puis amplifiée grâce aux strates géo-convergentes de Nick Allum, Natasha Penot et Antoine Chaperon… avant que le globe ne connaisse les affres du confinement. La qualité de l’enregistrement est telle, et le mixage si pur, qu’une invitation domestique est hautement perceptible. Cette proximité d’écoute est le vecteur primordial légitimant le florilège d’applaudissements qui nous vient à l’esprit dès l’entame de Write Your Way Out Of Time, dont la pop langoureuse irradie littéralement la sphère. C’est un piano qui nous interpelle, une juste mesure électrique, quelques savants effets vaporeux pour agiter dans le shaker une exquise alchimie, servant sur un plateau un timbre certes égratigné mais tellement attachant !
Peter Milton Walsh, tels les grands millésimes, semble se bonifier avec les années. De plus en plus authentique, livrant aux oreilles de chacun autant de doutes que d’émerveillements, une perpétuelle dichotomie des émois accédant in fine au parfait équilibre entre le cafard et l’espoir, le balancement continuel entre le blanc et le noir.
Il y a toujours eu chez The Apartments cette intense attirance pour les thématiques romantiques. 2020 est pour cela un canal où il est aisé de s’approprier le trouble du monde, histoire d’en extraire toute la bile, l’extrapoler aux conditions souffreteuses qui nous touchent autant collectivement que dans nos existences individuelles parfois chancelantes.
Dans ce nouveau recueil, les néons de Kraftwerk paraissent retrouver une transfiguration dotée d’une douce amertume sur Where You Used To Be, d’une évidence souveraine et dont le refrain s’apprécie en sa qualité de fragilité abolie par quelques pics.
Placé en plein cœur, What’s Beauty To Do ? distille un verbe plus animé. La plume toujours affûtée nous entraîne alors, avec ses volutes couvrant une composition dont l’artificier en chef détient le secret. C’est un coup de rétro en direction de Drift et sa magie entraînante. Question machine à remonter le temps, que dire de Butterfly Kiss, symptomatique reflet du temps qui passe, des souvenirs qui s’enchevêtrent dans un bal de nostalgie brossé par une symphonie de sanglots. La mélopée suivante (We Talked Through Till Dawn) laissera place à la fluidité d’exécution de I Don’t Give A Fuck About You Anymore, faux point d’orgue à la rythmique scrupuleusement calibrée. Les zones d’ombre et de clarté y servent d’amalgame à l’excitation des sursauts contenus.
Voici donc ce qui vous attend à l’écoute de cette nouvelle pièce maîtresse d’une discographie ô combien exemplaire. In And Out Of The Light vient s’achever de la plus bouleversantes des manières, avec la gorge nouée du dandy australien accompagné par l’ultra sensibilité de son clavier et d’un torrent élégiaque dont nul ne sortira indemne. The Fading Light est un tire-larmes qui nous agite, le sourire malgré tout aux lèvres, tel le chant d’un cygne que nous espérons éternel.
In And Out Of The Light – The Apartments
Talitres – 18 septembre 2020
Photo de couverture : Bleddyn Butcher