Le film de tournée est forcément inutile. Au mieux, il bénéficie d’une maniaquerie esthétisante qui le rapproche alors davantage du documentaire léché que de la retranscription scénique – c’est le cas du merveilleux Heima de Sigur Ros. Au pire, il essaie justement de se fondre dans l’expérience live, et c’est la catastrophe du Under Blackpool Lights des White Stripes, avec gros grain rajouté à l’image en post-production et son dégueulasse exprès. Le plus souvent, on se contente de prestations filmées par un nombre exagéré de caméras et entrecoupées de fausses confidences d’hôtel et de rigolades backstage assez sinistres.
Matt Berninger, le chanteur de The National, a lui tenté un pari : confier un film de tournée à son petit frère Tom, tout en sachant que ce dernier « considère sans doute cette musique comme de la merde prétentieuse ». Tom ressemble beaucoup à son frère de visage, comme on dit pudiquement de deux soeurs inégalement gâtées par la nature : il semble aussi petit et rondouillard que Matt parait grand et élancé, la barbe, si élégante et naturelle chez son frère, lui donne des airs de Zach Galifianakis dont il reprend le personnage de loser foldingue – sauf que ce n’est pas un personnage, il est réellement ce trentenaire haut perché qui vit encore chez ses parents, à Cincinatti, au milieu de ses disques de death metal et des films gore très amateurs qui constituent l’apogée de sa carrière artistique. Donc, en toute logique, Tom foire systématiquement ses plans, tremble comme une feuille quand il tient sa caméra, oublie les bouteilles d’eau du groupe, interviewe son frère sans avoir préparé la moindre question, loupe le départ du bus, filme les musiciens sous la douche et passe le reste du temps à picoler.
En ressort une vision incroyablement vibrante de la vie du groupe, qui apparaît bien loin de son image sage d’Indie-Rock-band-préféré-d’Obama, sans jamais sombrer dans une sorte de Spinal Tap version Indie. Et si Mistaken for strangers ravira les fans du groupe, il vaut surtout pour le portrait franchement émouvant du lien de fraternité qui unit ces deux opposés qui, comme les deux hémisphères d’une même planète, voient parfois leurs pôles s’inverser, et qui gardent jusque dans leurs pires engueulades une tendresse palpable et une honnêteté touchante, celles du grand frère célèbre qui sait qu’il a étouffé son cadet et qui croit toujours en lui, celles du petit frère foutraque si jaloux et en même temps si fier.
The National m’avait époustouflé avec High violet, leur avant-dernier album.
Ils m’avaient soufflé en concert à l’Olympia, intense, habité, sublime.
Leur dernier album m’a néanmoins laissé froid.
Merci de me donner envie de voir ce documentaire avec cette belle chronique.