Mini-série produite par Netflix, Unbelievable entre directement dans le top 5 des programmes de l’année 2019.
Rarement le titre d’une série n’a touché aussi justement son sujet. Incroyable, c’est-à-dire qui n’est pas crédible. Incroyable, la situation dans laquelle est plongée une victime dont la parole est remise en question. Celle à qui on n’accorde aucun crédit. Qui va finir par payer le fait de ne pas être crue.
L’histoire vraie d’après laquelle la série a été développée est celle de Marie Adler (Kaitlyn Dever), jeune fille à peine majeure au moment des faits, qui a grandi au rythme des familles d’accueil et d’une enfance sinistre. Marie s’est construite tant bien que mal en essayant de se faire une place à chaque fois que quelqu’un décide pour elle, forçant sa capacité d’adaptation à chaque placement.
Entrant dans un programme de réinsertion, Marie accède enfin (sous certaines conditions) à la vie autonome, grâce à l’attribution d’un appartement et un petit travail. Accepter la vie comme elle est devient enfin possible.
Malheureusement, une nuit, elle se réveille sous la menace de l’arme d’un homme cagoulé qui va la violer à plusieurs reprises.
Mais Unbelievable ne commence pas à ce moment-là. Les premières images sont une séquence courte, un défilement de bâtiments au ralenti, à la manière du regard d’un conducteur de voiture, sur un quotidien sans visage, plus une impression générale. Que peut-il bien se passer derrière ces murs si similaires ?
Voilà en tout cas ce qui s’est passé dans l’appartement de Marie, que l’on voit enroulée au sol dans une couverture, le visage encore marqué de larmes, alors qu’une femme apparemment bien intentionnée lui apporte un peu d’eau, tout en lui reprochant de ne pas pouvoir lui faire de thé parce qu’elle n’en a pas. Un policier en uniforme arrive et déclare être là pour l’aider. Une parole bien automatique.
Ces deux représentants de l’autorité (la femme est une de ses mères d’accueil qu’elle a appelé au secours) sont ceux qui vont faire totalement basculer sa vie dans un deuxième cauchemar. Le premier traumatisme étant le viol qu’elle a subi, le second celui de son déni.
Marie va raconter son calvaire plusieurs fois, à une série de personnes de plus en plus dubitatives. Car elle n’est pas précise, pas gentille et même plutôt effrontée, elle a un passé, s’est déjà mal comportée, bref, elle ne colle pas avec ce qu’ils voudraient attendre d’une victime. Toute cette bienveillance de surface, doublée de trahison de petite bonne femme convaincue d’être bien-pensante, est associée au comportement inadmissible des inspecteurs en charge de son affaire et leur promptitude à préférer entendre que Marie est une menteuse et une manipulatrice, prêts à boucler cette non-enquête, plutôt qu’à faire en sorte de la prendre au sérieux.
Se sentant en danger devant ceux qui ne la croient pas, Marie finit par dire, comme toutes les fois où elle a dû plier devant une colère ou des menaces, qu’il ne s’était rien passé. Qu’elle avait tout inventé. Dire ce qui fait plaisir à celui qui représente l’autorité pour se sortir du danger. Marie dit qu’elle n’a pas été violée.
Alors, le monde bienveillant se retourne contre elle. Violemment, puissamment. Et le calvaire devient absolu. Ceux qui l’embrassaient lui crachent au visage, les phrases rassurantes se transforment en insultes.
Marie va se rendre compte petit à petit que son mensonge, celui selon lequel il n’est rien arrivé, est bien pire que la terrible vérité qu’elle a voulu annuler. Les conséquences sur l’enquête et la possibilité d’arrêter son violeur sont également désastreuses.
Le véritable tour de force de cette série est de réussir à créer deux récits parallèlement, sans tomber dans les travers habituels de ce genre. Le deuxième récit est celui de l’enquête de deux inspectrices qui, par un hasard total, ont pu recouper les agissements d’un violeur en série extrêmement efficace se moquant des méthodes de police et des frontières des états.
D’un côté, nous suivons l’évolution d’une enquête qui pourrait sauver Marie. De l’autre, nous suivons Marie, dont la parole aurait pu s’ajouter à celle des victimes reconnues. La tension créée par l’injustice vécue par une toute jeune femme à qui aucune erreur n’est pardonnée, l’espoir de voir enfin se construire un pont entre les deux réalités pour enfin voir une issue et trouver le salopard, le seul coupable.
Unbelievable réussit à imposer un duo réaliste de flics féminins, loin des compositions bidon. Ici, une femme n’a pas besoin d’être secondée par un homme pour être un bon flic, et aucun discours superflu ne l’explique. Le scénario, la mise en scène et le montage sont si bien pensés que toute cette réalité de femmes s’articule simplement, sans déclaration, en toute finesse et sans émotivité outrancière.
L’énergie de Toni Collette et le calme de Merritt Wever créent un duo qui évolue dans une harmonie de travail naturelle, l’une et l’autre s’agaçant respectueusement mais toujours concentrées en priorité sur la piste du violeur. Deux personnages qui ne voient pas du tout les choses de la même manière, qui vivent des réalités personnelles tout à fait différentes, mais qui ont un sens particulier de l’exigence les rendant plus que pugnaces.
Le nœud de cette série est surtout le constat de la culture du viol dans notre monde qui l’excuse toujours autant, quitte à sacrifier la vie d’une jeune femme, qu’on préfère ne pas voir perdue. La démonstration de l’incapacité des services de police à prendre en considération sa parole, son contexte personnel, à tirer des conclusions rapides pour s’éviter d’avoir un peu plus de travail à faire, rend fou et provoque autant de colère que l’acte criminel en lui-même.
Unbelievable a cela de terrible qu’elle est très crédible.
À voir, absolument.