[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#607571″]Q[/mks_dropcap]ui sont donc les loups de ce titre intrigant ?
Les animaux qui hantent les forêts du Minnesota où se déroule l’action, les prédateurs dont le lecteur découvrira l’existence au fil des pages, ou encore l’adolescente un peu sauvage, héroïne de cette histoire ?
Vous le découvrirez en lisant ce premier roman troublant et hypnotique de l’américaine Emily Fridlund, encensé par la critique à sa sortie. Mais attention, vous n’en reviendrez peut-être pas indemnes.
Si vous aimez les atmosphères glaçantes et captivantes, les immensités enneigées et les secrets, ce livre est pour vous. Une Histoire des Loups marque l’entrée de la jeune Emily Fridlund sur la scène littéraire et devrait faire parler de lui en cette rentrée.
Nous sommes dans les années 80, au fin fond du Minnesota. Madeline est une adolescente de 15 ans, solitaire et introvertie, qui vit avec sa famille dans une cabane en forêt. Désireux de s’extraire du monde et de retourner à la nature, ses parents ont autrefois rejoint une communauté hippie, aujourd’hui dissoute, et se sont installés dans cette cahute.
La vie de Madeline ne ressemble guère à celle d’une adolescente ordinaire. Ses seules distractions sont les parties de pêche avec son père, les balades en canoë sur le lac et les promenades avec ses chiens dans les bois. Bref, rien de bien folichon pour une gamine, à l’âge où on parle habituellement maquillage et fringues, bals de fin d’année et premiers amours.
Élevée loin des codes et des conventions sociales, la jeune fille a du mal à trouver sa place. Elle s’est toujours demandée si ses parents étaient ses véritables parents. Elle a du mal à communiquer et n’a aucun ami. Elle observe attentivement le monde et ceux qui l’entourent, s’inventant des histoires sur ses camarades et ses professeurs. Mystérieuse et introvertie, fragile, elle éprouve une certaine fascination pour une jeune fille d’origine indienne de sa classe qui vit avec son père alcoolique.
Les choses vont changer lorsqu’une famille emménage sur la rive du lac opposée à la sienne dans une grande et belle maison. Curieuse, la jeune fille observe avec des jumelles le couple et leur petit garçon, dont la vie aisée et insouciante semble si éloignée de la sienne. Si parfaite. La cabane dans laquelle vivent Madeline et ses parents est étroite et dotée d’un confort très sommaire ; le poêle à bois a bien du mal à les réchauffer l’hiver, la famille est pauvre et les démonstrations d’affection rares. Sur l’autre rive, tout est différent. Tout semble parfait et idyllique.
Bientôt, Madeline tombe sur la jeune mère, Patra, et son petit garçon Paul, âgé de 4 ans. Prétextant l’absence de son époux Léo, un brillant chercheur qui travaille au loin, Patra propose à Madeline de s’occuper du petit quelques heures l’après-midi pour lui permettre de s’octroyer quelques moments de temps à autre. La jeune fille se réjouit de cette opportunité, d’autant qu’elle est fascinée par cette jeune femme esseulée qui ressemble d’avantage à une adolescente qu’à une mère.
Les quelques heures avec Paul se transforment rapidement en après-midi entiers, puis en invitations à partager le dîner, et Madeline entre avec bonheur dans l’intimité de ce foyer, de ce couple hors-norme qu’elle envie tant. Elle se sent si seule qu’elle tend même à s’imposer de plus en plus et cherche à se rendre indispensable.
Aurait-elle trouvé la famille idéale, celle dont elle a toujours rêvé ? Peut-être… S’il n’y avait le comportement parfois très étrange de l’enfant, les changements d’humeur permanents de la jeune mère et l’autoritarisme inquiétant du père. La fascination aveugle de Madeline laisse peu à peu place à un étrange malaise, une sorte de mauvais pressentiment. Quelque chose ne tourne pas rond, c’est évident. Quelque chose sonne faux dans cette famille en apparence modèle, sans que la jeune fille sache dire de quoi il s’agit précisément. Jusqu’à ce que tout bascule…
Manipulation et endoctrinement s’avéreront être au cœur de cette étonnante histoire, dans laquelle la nature et les paysages grandioses du Minnesota ajoutent à cette atmosphère pesante, au suspense psychologique et à la tension qui va crescendo.
Dans une langue brute mais puissante, empreinte de poésie, Emily Fridlund déroule lentement les fils d’une intrigue originale, dont on se demande tout au long du roman où elle va nous mener. Elle parvient à embarquer totalement le lecteur, le menant de fausses pistes en impasses, l’égarant habilement et le faisant douter de ce qu’il sait ou croit savoir. Sauf qu’il ne sait rien en réalité et que la chute est aussi vertigineuse qu’inattendue.
Un texte dérangeant, addictif et inclassable, dans lequel le lecteur marche sur le fil de la première à la dernière page dans des paysages où rodent les loups. Et pas seulement ceux que l’on croise dans les contes. Une chose est sûre, il faudra dorénavant compter avec Emily Fridlund, qui fait une entrée remarquée en littérature avec ce premier roman troublant.
Une Histoire des Loups d’Emily Fridlund
traduit par Juliane Nivelt, éditions Gallmeister, paru le 17 août 2017.