[dropcap]C[/dropcap]’était l’été dernier, j’étais en famille pour une journée de promenade à vélo sur l’île d’Ouessant. Un moment de détente dont le souvenir reste marqué par des photos, notamment quelques clichés capturés devant le portail bleu de la chapelle Notre-Dame d‘Espérance (édifice religieux planté au cœur du lieudit Ker Ber) vestige du patrimoine ilien nous invitant de manière irrépressible au recueillement. S’y arrêter pour contempler le panorama alentour est un ressourcement, un vecteur pour lâcher prise face aux éléments.
C’est peut-être cette sollicitation référentielle qui anime Kerber, nouvelle aventure musicale inspirée et expirée par Yann Tiersen. Un album où l’épure devient un dogme déployé, la mélancolie haussée tel un conducteur emporté par une gourmandise stylistique jonglant entre l’ambient, le néo-classique et l’électronique. Le compositeur poursuit son avancée discographique après avoir relooké sa propre histoire grâce à cette épatante collection de pièces servies dans le cadre de l’impeccable Portrait sorti en fin de millésime 2019.
La suite donnée pouvait forcément laisser présager une prise de direction vers un nouveau cap. Ce n’est pas totalement le cas. Yann Tiersen persévère avec son expérience de catalyseur d’idées fixes, de ritournelles attachantes qui semblent comme un écho aux fulgurances d’antan. Les claviers, instruments de prédilection pour l’espèce, prédominent encore comme le piano le fut sur Eusa (2016), autre grand format aux contours simples et légers.
Toutefois, les notes traversent ici l’air de jeu en s’associant aux pulsations électroniques pulvérisées sur la trame avec une parcimonie élégante. Le tout est condensé avec une retenue troublante qui évoque l’imagerie contemplative de l’ensemble baigné sous un décor sauvage.
Sans tomber dans un immobilisme ronflant, les sept titres proposés sont autant d’ouvertures magnifiant l’hypersensibilité de notre ouïe. Yann Tiersen sublime la jonction parfaite entre l’organique et l’immatériel avec la dextérité que nous lui connaissons. Cette immensité domestique confère à l’œuvre instrumentale sa véritable part de mysticisme moderne. Preuve irréfutable de ce brio intact dans l’abnégation de son auteur à la recherche du son parfait, affirmant un désir de tailler dans la roche des bourdons infinis qui transportent littéralement l’auditeur grâce à des pincées de boucles ensorcelantes. Après plusieurs écoutes attentionnées, il sera aisé de percevoir la lumière d’une transe océanique, une onde qui s’approprie la teneur contemplative de l’instant. Avec Kerber, la science devient un outil de charme dont le dessein est de porter les textures sous les angles d’une immersion émincée.
Vous pouvez avoir cette pensée intuitive de ‘oh c’est du piano’, mais en fait ce n’est pas le cas. J’ai travaillé sur des pistes de piano au départ, mais ce n’est pas le cœur du problème, elles ne sont pas importantes. Le contexte est la chose la plus importante – le piano était un précurseur pour créer quelque chose autour duquel l’électronique pouvait travailler.
Yann Tiersen
Les ondes Martenot, le mellotron et le clavecin ont été remodelés avant un travail d’échantillonnages multiples avec le concours du producteur Gareth Jones. A la lueur du résultat final, impossible de ne pas songer à d’autres maestros (Nils Frahm, Olafur Arnalds parmi mes coups de cœur du genre fusionné) mais, en outre, ajoutons la singularité de précédences touchées par une forme de grâce limpide.
On savourera en silence Kerlann aux éléments noyés dans un éther puis comme propulsés par de l’hélium (ou plutôt la houle armoricaine), le tricotage sur les touches pour un savant mélange des effets, les yeux fermés mais le cœur grand ouvert. Que dire alors de Ker Al Lock, pièce majeure dont la progression fantastique est le signe d’une mutation pleinement assumée. La magie demeure. Elle serait peut-être même à son point culminant, perdue dans le brouillard… Sauvée par ce fil électronique qui relie les machines aux âmes éprises d’élévation. Un nouveau chef d’œuvre venu de cette fin de Terre !
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Kerber – Yann Tiersen
PIAS / MUTE – 27 Août 2021
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Image bandeau : John Fisher