Le 31 mars dernier sortait La symphonie des éclairs, le tout premier album studio de Zaho de Sagazan, jeune chanteuse française de 24 ans aussi bien étonnante que détonante.
Voilà un nom qui ne nous laisse pas indifférent tant il est parsemé par ci et là dans les médias et dans la presse musicale. Mais que se cache-t-il derrière toutes ces éloges ?
Dès les premières notes, on constate qu’elle ne prend pas le chemin de la complaisance : La fontaine de sang est un titre à l’atmosphère à la fois âpre et délicate, porté par une prononciation exigeante et une voix particulièrement grave. On devine qu’elle s’est directement inspirée d’un poème de Charles Baudelaire pour l’écriture du texte et duquel elle emprunte même quelques mots : le sang sert de métaphore pour décrire une blessure métaphysique chez le poète et est réutilisée pour décrire l’état de notre planète dans la chanson de Sagazan.
Le souffle reprend à l’écoute des titres suivants. On découvre par la même occasion que la chanteuse a un vrai sens de la mélodie et s’essaie à une forme de légèreté dansante sur des sujets plus lourds : Aspiration dessine la boucle infernale entre addiction et inspiration artistique et Les dormantes nous dépeint des relations amoureuses perverties par l’emprise vicieuse de bourreaux masculins.
Zaho de Sagazan n’est pourtant pas catégoriquement négative sur le sujet du rapport homme/femme: tandis que les temps sont à la dénonciation, la chanteuse décide de dédier une chanson au sexe opposé, sobrement intitulée Les garçons. On la découvre amoureuse invétérée de “tous les garçons” puisqu’elle “les trouve tous bien à leur façon”. C’est un titre radiophonique aux accents rétro qui tire son originalité dans le sujet choisi : un contre-pied qui ne sonne pourtant ni comme une contestation politique ni comme une revendication.
Ah l’amour ! Un sujet vraisemblablement obsédant pour la chanteuse qui le raconte sous toutes ses formes. On le retrouve dans Langage où le “je t’aime” est surconsommé tandis que celui-ci est recherché avec véhémence dans Dis-moi que tu m’aimes, balade au piano un peu (trop) sage. Tantôt amoureuse déchue dans Je rêve ou désemparée d’aimer sans retour dans Suffisamment, la chanteuse dit pourtant n’avoir jamais vécu d’histoires romantiques dans sa vie. Les chansons d’amour les plus universelles seraient-elles alors les moins personnelles…?
Elle en parlera quelque peu dans Mon inconnu, titre électronique à la fois entraînant et effréné, dans lequel la chanteuse prend un malin plaisir à façonner des garçons croisés au coin d’une rue, ce qui lui permet alors de rassasier son esprit romantique par l’imagination et le fantasme.
Parmi ses références, elle cite aussi bien Kraftwerk que de grands monuments de la chanson française comme Brel et Barbara. La fusion de ces deux inspirations se retrouve dans un seul et même morceau, Tristesse, qui est probablement le point culminant du disque. La production est froide, presque robotique et nous offre des moments de frénésie intense tandis que l’interprétation est austère et rigoureuse : un habillage idéal pour des mots soigneusement choisis. Marionnettiste ou marionnette ?
Zaho de Sagazan reste fidèle à un fil conducteur dans lequel elle nous prouve que la simplicité peut parfois être plus complexe que d’apparence. Les sujets abordés sont universels, les mélodies immédiates et les textes francs mais la poésie n’est jamais négligée. Elle ne trahit pas ses influences singulières, ne renie pas non plus le succès, elle les fait danser ensemble.
Zaho de Sagazan · La Symphonie des Éclairs
Disparate / Virgin – 31 Mars 2023