[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]R[/mks_dropcap]entrons dans une zone de perdition, un labyrinthe dont le point de départ est localisé dans le Wisconsin après des premiers babillements du côté de Phoenix et sans oublier l’évocation d’un héritage slave hautement revendiqué. De cette âme russe, Nicole Rose Hummel trouvera la parfaite identité alternative sous le pseudonyme de Nika Rosa Danilova. Le reste sera une histoire de nom de scène et l’appropriation du chef de file du naturalisme accolé à l’incarnation charnelle de Dieu sur Terre. Rien que ça ! Non une prétention chez Zola Jesus de se hisser au niveau des deux illustres personnages, sinon le désir d’affirmer son attachement à des messagers de rébellions aussi bien littéraires que spirituels.
L’élève est précoce. L’apprentissage du piano à l’âge de 5 ans et dans la foulée, l’exercice au chant lyrique, l’amènent à composer dès ses 15 ans sa propre matière musicale. Cinq ans plus tard, l’étudiante en philosophie sort de son cerveau un premier album qui vient enclencher une carrière bourrée de promesses.
C’est en 2010 avec Stridulum II que je découvre le phénomène. L’album est en réalité une fusion d’une paire d’EP (Stridulum et Valusia). Un son lo-fi sur lequel une voix angoissée vient happer les adeptes d’humeurs gothiques… La combustion est sombre et source de frayeurs. L’artiste est assez vite comparée à Fever Ray dont elle assure d’ailleurs les premières parties scéniques. Les bruits de couloirs et une pochette de disque intimidante feront le reste pour impulser une notoriété naissante.
Battant le feu tant qu’il est chaud, la prolifique musicienne enchaine un an plus tard avec Conatus. Disque qui trouve une orientation bien plus marquée par le modernisme électronique. L’humeur tendue est toujours de mise mais le décor est plus pop, plus aéré, plus évident. Un pont ouvert entre romantisme froid et diffusions savamment racoleuses.
La troisième œuvre en long format sera beaucoup plus inégale. Taiga, sans devoir être jeté en pâture, ne trouvera pas la même alchimie. Zola Jesus doit alors retrouver l’inspiration créatrice sous peine de sombrer dans de prophétiques oubliettes.
C’est donc avec une légère frousse (mais avec un profond désir de retour de flammes) que l’annonce d’un nouveau disque me titilla les oreilles. Soyons direct, ma première écoute fut enthousiaste, la seconde fut totalement bluffée et la troisième, une source d’intenses émotions. Zola Jesus marque donc son grand retour avec une nouvelle pièce de très haut niveau. Je pourrais en rester là et vous inciter à acheter illico le précieux chez votre dealer préféré mais il me faut tout de même argumenter un chouïa les raisons d’un tel engouement pour la chose.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]ous brosser le portrait d’un disque inauguré par une sorte de climatisation New Age dont la bande magnétique viendrait ambiancer la salle d’attente d’un cabinet de sophrologie.
Introduction planante qui permet d’engager Exhumed sur un tapis de cordes wagnériennes. Nous sommes dans le luxe d’une tragédie dont les chœurs à perte d’horizon s’extirpent du paysage menacé par des hurlements et battements lourds. Une course effrénée dont un chant grave, sensible et puissant comme jamais en sera la fabuleuse épigraphe. Un angle qui s’ouvre de plus en plus pour clamer un dessein venant nous interpeller quant aux troubles supportés intimement par Nicole Rose.
Okovi peut être traduit par cette vision d’emprisonnement de l’être. Les chaines qui nous enveloppent et nous empêchent de vivre pleinement notre condition humaine. Les soulèvements y sont rythmés et sombres. Zola Jesus parvient alors à extraire la sève de ses acquis, ceux issus d’une discographie caractérisée par une force cathartique et dont l’éclat, en 2017, est encore plus prééminent que par le passé.
L’artiste nous convie à une beauté intensément cafardeuse. Le précepte fut également usité par la consœur Chelsea Wolfe avec une extraordinaire dichotomie entre noirceurs abyssales et somptuosité désarmante. Si depuis, l’autre héroïne de l’émotion sépulcrale semble s’être égarée dans des extrêmes empâtés par une armada de drones, Zola Jesus s’oriente sur un conglomérat alliant des étirements infinis tout en invitant un froid qui vous brûle la peau à caresser nos chères oreilles. Le tout étant emballé par une synthèse qui combine orchestration soyeuse et percussions à la frontière de productions indu. Une absorption finement travaillée !
Le summum émotionnel d’Okovi pourra se décanter dans la nostalgie de Witness et son emprise solennelle qui n’est pas sans rappeler le meilleur des élévations d’une diva islandaise bien connue de tous. Les épurations sont ici bienfaitrices, la voix est larmoyante. Forcément, impossible de ne pas se référer à la compilation Versions où l’intéressée réinventait son monde à base d’arrangements symphoniques.
Au contraire, Siphon marque un retour aux mélodies accrocheuses. Une espèce de pop glacée avec néanmoins le relief approprié pour heurter notre curiosité. Une chanson écrite à l’attention d’un ami, après que celui-ci ait tenté de mettre fin à ses jours.
« Okovi est un mot slave signifiant « chaînes ». Nous sommes tous enchaînés à quelque chose – à la vie, à la mort, aux corps, aux esprits, à la maladie, aux personnes, au droit imprescriptible, au devoir. Chacun d’entre nous est né avec une dette unique, et nous avons jusqu’à notre mort pour la rembourser. Sans ce coût, qu’est-ce qui nous donne le droit de vivre ? Et d’ailleurs, qu’est-ce qui nous donne le droit de mourir ? Sommes-nous vraiment libres de choisir ? »
L’explication de texte est plantée. L’intelligence de son auteur étant de ne pas chavirer dans la sensiblerie. Entourée du fidèle Alex DeGroot et avec le concours du producteur WIFE, la jeune femme transcende la douleur pour la revêtir d’une unité de ton étrangement resplendissante. Un réveil artistique qui se fait l’écho compensateur des bouleversements rendus publics. Cette illustration sera éloquente dans le modernisme talentueux de Remains comme dans la langueur monotone d’Half Life qui vient fermer la marche à l’aide de vibrations implacables.
Histoire de refermer la boucle sur un fantasme d’immortalité ? Le traumatisme personnel étalé sur le papier n’est que le signe épatant d’un exutoire vital et d’une renaissance artistique irréfragable.
Okovi, de Zola Jesus, et sorti le 8 septembre, chez Sacred Bones Records
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