[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]vec la sortie de Human Incognito, le fan inquiet peut dormir sur ses deux oreilles, ou plutôt préparer sa platine (et oui, vintage jusqu’au bout) à faire tourner en boucle cet album addictif, incroyablement émouvant, terriblement vivant. Si vous ne connaissez pas Arno, c’est le moment ou jamais de le découvrir, car là, il dit tout, ou presque. Et ce qu’il ne dit pas, nous sommes allés lui demander. En vrai, en chair, en os, en paroles et en rires. Arno serait plutôt un taiseux, par nature : « Je veux voler très haut, libre comme un poisson dans l’eau, et dans ma bouche pas de mot », c’est lui-même qui le chante dans Je veux vivre. Une raison de plus pour lui adresser un grand merci pour son temps et sa générosité.
« J’ai voulu enterrer Arno », disais-tu quand ton avant-dernier album, Future Vintage, est sorti. Qu’est-ce que ça voulait dire ?
Je n’aime pas me répéter. J’ai déjà fait 32 albums avec des groupes et d’autres gens, dans tous les genres : du blues, du rock, de la chanson, de la techno. Et puis je vis avec le passé, c’est un bagage. Pour ce nouvel album, j’ai voulu quelque chose de plus organique. Depuis le dernier disque, Future Vintage, je travaille avec John Parish, et j’ai une énorme confiance en lui. Ensemble, pour Human incognito, on a cherché un technicien, quelqu’un qui puisse rendre le son que j’avais dans la tête. Et ça n’était pas facile ! Finalement, on a trouvé, c’était une femme, Catherine Marks. Elle a mis des micros sur un truc spécial, on a travaillé avec le matériel vintage du studio ICP de Bruxelles.
Oui, y compris les instruments, il y a même des cuivres dans la dernière chanson, qui est un vrai slow comme dans les albums de rhythm’n blues des années 60 et 70.
Oui, c’est un blues aussi, un blues pour les cocus du monde entier.
Ton nouvel album est étrange : il a à la fois une énergie et une fraîcheur incroyables, mais un côté triste aussi quand on écoute les paroles ou quand on les lit.
Triste, je ne sais pas. Un peu cynique peut-être, mélancolique sûrement. Mais ça, c’est à l’auditeur de le dire. J’ai écrit cet album de façon très impulsive. C’est un moment de ma vie, avec tout ce qui se passe autour de moi. C’est cela qui m’a inspiré, et en particulier tout ce conservatisme et ces extrêmes qui arrivent en Europe.
J’ai vécu les années 50, 60, 70, 80, et en Europe tout était différent d’aujourd’hui. Est-ce que l’Europe existera encore dans 5 ans ? Je ne sais pas. Aujourd’hui, on peut communiquer avec le monde entier très vite. Mais dans les années 60, il y avait le Viêtnam. C’était loin de notre lit… Je suis allé au Viêtnam, j’ai vu ce que les Américains y ont fait. Maintenant, on est confronté avec tout. J’ai écrit les chansons avant les attentats de Paris. Et quand c’est arrivé, je me suis rappelé qu’il y a quelques années, j’ai fait des concerts à Beyrouth. Pas loin de notre hôtel, une bombe a explosé. Et j’ai dit « Heureusement qu’on vit en Europe… » Voilà où on en est. Mais c’est l’être humain qui fait tout ça : c’est lui qui vote pour tel parti, tel président, telle dictature. Tout ce que fait l’être humain m’inspire : il y a des êtres humains qui tombent amoureux, d’autres qui ont des chagrins d’amour, tout ça m’inspire.
Justement, ton album a quelque chose non pas de romantique, mais de sentimental.
Oui, sentimental, peut-être. Dans le fond, je suis un chanteur de blues. Sans le blues, pas de rockn’roll, pas de jazz.
Avant quand tu parlais d’amour, c’était plus côté désir. Il y a plus de tendresse aujourd’hui.
Encore une fois, je suis très impulsif quand j’écris. J’écris très vite. Je réagis à ce qui se passe autour de moi.
Comment écris-tu tes paroles ?
Quand j’écris mes textes, je suis toujours seul, dans un train ou dans un bus. Je n’ai pas de permis, c’est trop dangereux pour les autres. Pour la musique, ça dépend….
Le titre de l’album, le visuel de la pochette, qu’est-ce que tu peux dire là-dessus ?
C’est mon surréalisme : je me protège. C’est une bonne excuse. C’est l’être humain, lui, toi, moi, tout le monde, cette image. L’être humain qui se cache et qui utilise une bonne excuse.
Tu sembles avoir une grande fidélité avec tes amis musiciens, des gens comme Serge Feys et Ad Cominotto. Est-ce que c’est important pour toi ?
Ils ont travaillé sur l’album, mais ils ne sont pas sur la tournée. J’ai d’autres musiciens avec moi, mais c’est vrai, je connais ces gens depuis des années. Avec mon bassiste Mirko Banovic aussi, j’ai fait plein de trucs. Avec lui, ça marche, ça passe bien entre nous. Peut-être c’est Dieu qui nous contrôle.
Et cette fidélité, ça ne peut pas être dangereux ?
Oui, on risque de se répéter parfois.
Alors comment fais-tu pour trouver d’autres personnes avec qui travailler ?
[mks_pullquote align= »right » width= »250″ size= »20″ bg_color= »#000000″ txt_color= »#ffffff »]Tout ce que fait l’être humain m’inspire : il y a des êtres humains qui tombent amoureux, d’autres qui ont des chagrins d’amour, tout ça m’inspire.[/mks_pullquote]
Ce disque-là est très organique, basse guitare principalement. Alors oui, il y avait Serge Feys et Ad Cominotto, mais ils ont joué moi, tu vois. Le son que je voulais. Le son, ça ne doit pas être toujours plein, avec des synthés partout. Maintenant, je nettoie, avec un son ça va, pas cinq sons de synthé. C’est moins rempli.
Est-ce que tu es très sensible à ton entourage artistique quand tu crées tes albums ?
Je suis le plus mauvais guitariste du monde, le plus mauvais pianiste du monde. Je prends donc toujours des gens qui sont plus forts que moi ! Et ça n’est pas seulement une question de technique, mais de son. Les mélodies, je fais. Mais pour le son, il me faut des musiciens qui comprennent ce que je veux, ce que j’ai dans la tête. C’est la magie entre les gens. Je les mets dans une atmosphère. On prend la même drogue (rires)…
Tu parlais de l’absurde : sur cet album, il y a une chanson qui s’appelle carrément comme ça.
Oui, une chanson absurde de trois minutes. C’est mon Walt Disney européen. Disney, il utilise des animaux : des souris, des canards, des chiens. C’était mon truc : utiliser des animaux dans ma chanson comme il le fait dans ses dessins. Comme cette vache qui danse le tango, les mouettes avec des lunettes, le serpent qui bande sur un vélo.
C’est joli. Mais il manque les pingouins, il faudra y penser.
C’est vrai. Les pingouins, ils sont en train de mourir maintenant.
Ces questions écologiques, elles te préoccupent ?
On y est confronté. Il faudrait faire plein de choses, collectivement. Mais c’est aussi une question d’argent. Quand tu vas en Chine, les gens ne peuvent plus respirer. Et on roule avec des voitures. Moi, je n’ai pas de voiture, pas de permis. Mais je prends des taxis. Diesel.
Quand on te voit sur un plateau de télé, avec d’autres personnes, avec des discussions, on a l’impression que tu t’ennuies, que tu n’écoutes pas. Et puis à un moment, tu sors un truc formidable et définitif qui déstabilise tout le monde. C’est un jeu ?
Non, je suis toujours comme ça, même dans le privé. Quand j’étais jeune, on était avec des copains, et si quelqu’un de nouveau arrivait, il me trouvait très bizarre. J’ai toujours été comme ça, avec une forme d’autisme. Là, ça va parce que tu me parles. Mais les gens qui ne me connaissent pas, souvent, ils viennent me voir, inquiets, pour me dire « Ça va Arno, tu es sûr ? ». Et oui, ça va très bien. Mais c’est mon autisme à moi. Ça doit être difficile de vivre avec moi…
Quand tu chantes en flamand, souvent, ça sonne plus brut, la musique est plus sauvage, plus bordélique. Comme dans une chanson de Jus de Box qui s’appelle Een boeket met pisseblomen.
Ah oui, ça c’est de l’ostendais, pas du flamand. Je parle ostendais, c’est un mélange d’anglais, de français et de flamand. Ça fait un moment que je n’ai pas chanté cette chanson… [Arno réfléchit, fredonne tout bas] Ah oui je me rappelle… C’est un peu cru, j’y parle de mes couilles, des érections tout ça… On est confronté avec ça, dis, quel bazar ! Heureusement que c’est en ostendais, finalement.
Ton public est très divers : il y a tes vieux fans, et puis ceux qui sont venus avec Les yeux de ma mère.
Oui, je suis comme Tintin, avec un public de 7 à 77 ans. Et puis j’ai fait des choses très diverses. Je n’y pense pas forcément, à ça. Je suis très impulsif, et je paye la facture parfois. Mais ce phénomène s’est atténué avec le temps. Maintenant, les gens savent ! [rires] Les yeux de ma mère, ça a été traduit en cinq langues. C’est une chanson qu’on joue aussi beaucoup pour les enterrements, et ça, ça me touche beaucoup. Quand je l’ai écrite, je n’aurais jamais pensé qu’elle aurait un tel impact …
Retrouvez la chronique du dernier album de Arno ici.
Arno, Human Incognito, Naïve