Il y a toujours un peu de frénésie et d’excitation quand on apprend qu’un éditeur aussi juste dans ses choix que rigoureux et engagé dans sa vision du métier, décide d’écrire. Dans ce genre de situation (qui est à peu près la même que lorsque vous apprenez la sortie imminente d’un des livres de vos auteurs totems), se produit, donc, à la fois une sensation d’attirance et d’incertitude. Lire avec vigilance, sans consensus, faire abstraction du contexte affectif pour se laisser happer, définira la qualité de notre exigence de lecteur.
Le recueil de nouvelles de Jean-Luc A. d’Asciano (fondateur des éditions L’œil d’or), qui paraît en ce mois de mars aux éditions Serge Safran, est à lui seul un monstre à 7 têtes, un assemblage de tentacules nébuleuses, fantastiques et habitées, l’enchantement d’une enfance universelle.
Soyeux, émerveillé, tremblant, éclairé, mystérieux, étrange et bouleversant, ce recueil est l’illustration d’un univers protéiforme et fantomatiques, un bestiaire empli d’illusions et d’inquiétudes, d’illuminations et de souvenirs, de ressentis liés à l’enfance, à la fratrie, à la folie, à toutes ces bêtes et ces êtres qui vivent en chacun de nous dociles ou sauvages, fantômes ou démons, compagnons, irréels, protecteurs.
Ce livre pourrait être le cercueil de l’innocence. Ce moment de l’enfance où chacun de nous a pu appréhender l’existence du mensonge, l’impuissance des parents, la jalousie et la fusion fraternelle, le rôle de la nature dans son possible accompagnement à grandir.
L’écriture de l’auteur jongle entre percussion poétique, irrationnel, loi du fantastique et perpétuelle joie. Oui, ce qui se dessine parmi les angoisses et les narrations à fleur d’age et de construction des identités, ce sont ces immenses moments de joie que peut détenir la vie à condition que l’on accepte de s’y soumettre.
Ce texte est d’une grande humanité. Il est joyeux au monde, délicat dans son innocence. Jean-Luc A. d’Asciano n’a rien perdu de son œil d’enfant, de son rapport magique au monde, ce rapport que l’enfant conserve avant l’abrupte plongée dans le réel. Il y a de la tendresse et de l’angoisse, des pertes et des alliances, et beaucoup de bonheur narratif à être dans la fantaisie, à ouvrir le monde à l’imaginaire, à recréer le couloir d’irrationnel qui relie les absents et les fous, les heureux et les inquiets, les hommes et les bêtes, l’enfance, la rêverie et l’age adulte.
Lire un extrait, par ICI.
Cigogne, Jean-Luc d’Asciano, Mars 2015, Serge Safran Editions.