Toutes les semaines retrouvez les brèves de lecture de l’équipe de chroniqueurs littéraires. L’occasion de revenir sur des lectures marquantes de ces derniers mois
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Le choix de Catherine
Manchette – Lettres du mauvais temps (correspondance 1977-1995)
Paru chez La Table ronde, mai 2020
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[dropcap]L'[/dropcap]année 2020 marque le 25e anniversaire de la mort de Jean-Patrick Manchette. Parmi les ouvrages publiés à cette occasion, ces Lettres du mauvais temps font assurément partie des lectures indispensables à tout amateur de littérature policière et noire. Rassemblé et édité par Jeanne Guyon, Nicolas Le Flahec, Gilles Magniont et Doug Headline, avec une préface de Richard Morgiève, ce recueil de correspondances (1977-1995) est un précieux témoignage sur la vie d’un auteur qui a laissé une marque indélébile sur le polar français. La liste des destinataires est impressionnante : de Pierre Siniac à Jean Echenoz en passant par Robin Cook, Donald Westlake, François Guérif, Claude Mesplède, Hervé Le Corre…
Manchette est passionné et passionnant, son approche esthétique le dispute à ses préoccupations politiques, et on sent qu’il est conscient de ce qu’il est en train de faire, à savoir tracer le chemin d’un polar écrit dans un style savamment économe, avec une incroyable culture du genre, un esprit aiguisé et critique. Prend-il vraiment la mesure des conséquences de cette rigueur-là ? Manchette, même dans ses lettres à son banquier, reste attentif à son style… Le livre est donc une véritable porte ouverte sur un auteur, mais aussi sur la vie littéraire de l’époque et l’histoire politique de ces années-là. Captivantes et émouvantes de bout en bout, ces Lettres du mauvais temps sont un précieux témoignage, mais aussi une clé pour mieux comprendre ce qu’est le polar français contemporain.
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Le choix de Yann
La soustraction des possibles de Joseph Incardona
Paru chez Finitude, le 02 janvier 2020
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Suisse, fin des années 80. L’histoire avance avec fracas et la chute du mur de Berlin ou l’effondrement de l’empire soviétique ouvrent aux sorciers de la finance un champ de possibilités qui semble illimité. Assoiffés par l’appât du gain, certains vont s’y brûler les ailes en croyant à tort pouvoir se faire une place dans le royaume des puissants.
La soustraction des possibles est une réussite éclatante, un grand roman noir, un grand roman tout court, un drame contemporain, dont la part d’humanité compense l’absence totale de morale qui caractérise l’époque. Joseph Incardona impressionne à la fois par la maîtrise de son récit et sa capacité à décrire avec précision les rouages d’un système gangrené par l’avidité et la corruption de chacun de ses maillons. Cerise sur le gâteau, il parvient à glisser dans cette noirceur une salutaire dose d’humour et d’ironie grinçante. Parsemé de références qui appuient le propos sans l’alourdir, La soustraction des possibles se pose ainsi comme le grand roman du capitalisme triomphant.
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Les choix de Marion
Aline et les hommes de guerre de Karine Silla
Paru chez Les éditions de l’observatoire, août 2020
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[dropcap]L[/dropcap]’histoire commence dans le pays qu’on nomme aujourd’hui Sénégal, par le peuple des Diolas qui vivait en connexion avec la nature et avait juré de ne pas faire la guerre. Naturellement, il ne se méfie pas quand les hommes blancs débarquent au XVe siècle. La France va rapidement lorgner sur cet éden, commençant ainsi une longue tradition de déportations, de vols, de viols et de crimes commis au nom de la civilisation. Les siècles passent pour nous emmener en 1920, naissance de notre protagoniste Aline Siloé Diatta, qui deviendra à moins de 20 ans l’héroïne de la résistance sénégalaise, combattant la colonisation française en prônant la désobéissance civile et la non-violence …
Qui en France se souvient encore d’Aline Siloé Diatta ? Et pourtant, quelle claque de découvrir la vie et le combat de cette jeune femme incroyable. A travers son histoire, Karine Silla nous dépeint le destin de tout un peuple. En ayant l’intelligence d’ajouter à son récit le point de vue de Martin, colonisateur français ayant réellement existé et persuadé que la situation n’est qu’un “mal pour un bien”, elle renforce tout en nuance l’indignation du lecteur. Elle parvient à y insuffler une âme et une profondeur prodigieuses, et nous offre un roman biographique magistral et envoûtant, idéal pour (re)découvrir une des grandes femmes de l’Histoire.
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Lumière d’été puis vient la nuit de Jón Kalman Stefánsson, traduit de l’islandais par Éric Boury
Paru chez Grasset, août 2020
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[dropcap]J[/dropcap]ón Kalman Stefánsson nous emmène à la découverte d’un petit village islandais, dans les fjords de l’ouest, à travers l’histoire de huit de ses habitants, pas forcément liés les uns aux autres mais dont les destins s’entremêlent. Le récit se trouve donc divisé en huit parties distinctes, chacune consacrée à un personnage en particulier dont le quotidien bien ordonné va se dérégler à cause d’un événement spécifique : le retour d’un amant, la mort d’un proche, l’apparition (ou non ?) d’un fantôme, une passion soudaine pour les astres, une rencontre fortuite sur la lande… Grand bouleversement ou petit grain de sable, il en faut parfois peu pour qu’une vie bascule.
Avec une écriture toujours aussi envoûtante et lyrique, Stefánsson nous offre une nouvelle fois un bijou de poésie empreint d’une tendre ironie, qui repose et fait du bien en cette période un peu épuisante. Une comédie humaine doucement mélancolique composée d’amour, de solitude, de joie, de douleur, de mort et d’amitié … Tout ce qui fait la vie en somme !
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Bénie soit Sixtine de Maylis Adhémar
Paru chez Julliard, août 2020
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[dropcap]S[/dropcap]ixtine a une vingtaine d’années et vient d’une famille catholique assez extrémiste. Elle fait des études, a la vie devant elle, mais va choisir d’épouser Pierre-Louis, jeune homme parfait en apparence, appartenant à un cercle plus extrémiste encore, à la limite de la secte catholique d’extrême-droite. Pour cet homme et sa famille, la femme ne doit pas travailler dès l’instant où elle est mariée et se consacrer à son foyer, le but du couple est de faire le plus d’enfants possible, le plaisir féminin n’existe pas et les défenseurs du mariage pour tous mériteraient tous de se faire passer à tabac. Soit, Sixtine accepte.
Quand elle tombe enceinte, ce qui devait être une bénédiction se change rapidement en chemin de croix, et de nombreux aspects de sa vie sans liberté commencent à la déranger, jusqu’à ce qu’un événement dramatique la pousse à ouvrir les yeux …
Bénie soit Sixtine est un roman d’anticipation qui tire sur le thriller psychologique, où on se demande si notre héroïne va parvenir à s’affirmer et à se sortir de ce quotidien sordide. Nous sommes face à une situation sidérante, qui nous montre l’emprise que peut avoir une famille d’extrémistes sur une jeune femme qui n’a pas d’autre point de comparaison.
L’auteur nous propose ici une réflexion autour de la tolérance et de la liberté, ainsi qu’une belle critique de la religion quand elle est dévoyée par des extrémistes. Réussi.
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Les choix d’Adrien
Octobre Liban de Camille Ammoun
Paru chez Inculte, octobre 2020
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[dropcap]L[/dropcap]a tragédie qu’a connue le Liban avec l’explosion du 4 août 2020 a fini de mettre à terre un pays gangrené par la corruption politique. Le récit d’Octobre Liban retrace l’histoire d’une révolution avortée qui avant cet événement terrible promettait de beaux lendemains. Au travers d’une exploration de Beyrouth et de son artère principale, Camille Ammoun nous raconte ce que le peuple libanais avait mis en place pour bousculer son système étatique encrassé.
Il rayonne malgré un point final tragique la force d’un peuple en mouvement pour rétablir sa dignité. Camille Ammoun n’idéalise rien, mais se fait le témoin d’un mouvement né en octobre 2019 avec des manifestations monstres et des occupations populaires. On lit dans ce petit livre comment un peuple se met à réfléchir en allant au-delà des différences qui le composent.
Lucide et rempli de tendresse pour ce pays meurtri, Camille Ammoun veut ainsi laisser une trace de ce que l’explosion dans le port de Beyrouth a soufflé. La littérature se fait ici urgente et engagée, comme pour ne pas se laisser aller au pire et pour mettre des mots afin de garder en mémoire l’espoir.
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Race de Sarah Mazouz
Paru chez Anamosa, septembre 2020
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[dropcap]L[/dropcap]’assassinat de George Floyd aux Etats-Unis a révélé au monde entier la nécessité de penser le racisme dans chacune des sociétés. Sarah Mazouz part de ce constat pour proposer, dans la fameuse collection Le mot est faible des éditions Anamosa, une synthèse de l’avancée des études et des réflexions menées autour du terme « race ». Elle démontre son utilité dans la réflexion malgré son inexistence biologique.
Ce petit livre est un outil formidable pour aborder de manière concrète la lutte essentielle contre les discriminations. Sarah Mazouz n’élude pas les divergences et prend position au sein de son domaine d’expertise. En effet, le débat qui a suivi la mort de Georges Floyd a provoqué un clivage au sein d’un milieu allant apparemment vers le même objectif.
A la lecture de ce livre, on comprendra l’incompréhension de certain-e-s spécialistes face à l’étude des discriminations. Pour autant, Sarah Mazouz fait le point par rapport à ces critiques venant de tous les fronts. Elle éclaire une réflexion qui place le racisme comme produit de sociétés inégalitaires. Ce livre devient un outil de réflexion qui ne cherche pas à prêcher des convaincu-e.s, mais bien à s’engager intellectuellement contre le racisme.
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Le choix de Dominique
L’Alcazar de Simon Lamouret
Paru chez Sarbacane, septembre 2020
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[dropcap]E[/dropcap]n plein cœur d’une grande ville indienne, le chantier d’un immeuble en construction n’est autre que le théâtre d’une bande-dessinée signée Simon Lamouret : L’Alcazar.
Réaliste, la peinture de cette vie sociale héritée du point de vue de Salma, Mehboob, Rafik et de tous les ouvriers mobilisés, s’inspire de l’expérience de l’auteur qui a vécu et enseigné le dessin pendant plusieurs années en Inde, à Bangalore.
Les petits arrangements entre amis, venus des quatre coins du pays, la précarité du boulot, les aspirations de Ganesh et de son équipe de carreleurs, les préoccupations parfois futiles d’un jeune et riche promoteur, les inquiétudes d’un jeune ingénieur inexpérimenté… nourrissent les aléas du chantier.
C’est à la fois instructif et dépaysant. Au milieu de ce portrait social et de l’élévation de l’immeuble, la mégalopole constitue un autre des personnages majeurs de l’histoire.
Des pages entières nous la font découvrir. Vive et vorace, elle mange tous les espaces encore laissés libres. Mais suivant les divers itinéraires empruntés par les centaines de vélos, de scooters et de rickshaws qui traversent la ville de part en part, nous admirons aussi la beauté de cette Inde contemporaine, magnifiée par les superbes couleurs de l’album et sa grande qualité de fabrication.
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Les choix de Sandrine
Mon père et ma mère d’Aharon Appelfeld
Paru chez les Éditions de l’Olivier, octobre 2020
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[dropcap]L[/dropcap]’écrivain israélien Aharon Appelfeld (1932-2018), dont nous n’avons pas encore découvert toute l’œuvre, nous revient à titre posthume avec ce texte inspiré des derniers jours de l’enfance, juste avant que le monde ne bascule dans l’horreur de la Seconde Guerre Mondiale.
Été 1938 sur les rives du Pruth, un affluent du Danube, dans un pays aujourd’hui disparu, la Bucovine. Comme chaque année, de nombreux juifs de la Mitteleuropa y viennent en villégiature. Parmi eux, Erwin, dix ans et sept mois et double de l’auteur, et ses parents, deux êtres profondément différents.
Cette année, l’enfant sensible les observe avec attention, tout comme il observe ce microcosme dans lequel évoluent des personnages hauts en couleur : parmi eux, Rosa Klein, qui lit les lignes de la main, Karl Koenig, le romancier qui marche le long du fleuve, l’énigmatique « homme à la jambe coupée » ou le bon docteur Zeiger…
Malgré le cadre enchanteur et l’insouciance apparente, les vacanciers s’agitent et chuchotent. L’antisémitisme rôde, les rumeurs sur la guerre grondent et Erwin sent confusément que quelque chose se prépare, malgré les tentatives de ses parents pour le rassurer.
Dans une prose limpide et dépouillée, Aharon Appelfeld retranscrit avec tendresse et justesse l’aveuglement au bord du gouffre de la société juive et l’atmosphère avant le cataclysme que tous redoutaient, sans parvenir à l’imaginer. Renouant avec le thème de l’enfance, il signe un roman bouleversant entre ombre et lumière, magnifique hommage à ses parents perdus et à tous ceux qui vécurent leur dernière saison sans le savoir.
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La belle lumière d’Angélique Villeneuve
Paru chez les Éditions Le Passage, août 2020
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[dropcap]V[/dropcap]ous connaissez tous Helen Keller, cette fillette sourde, aveugle et muette, au destin incroyable. Mais connaissez-vous sa mère, Kate, sans laquelle Helen n’aurait jamais pu devenir la personne que l’on connaît ? C’est cette femme de l’ombre qu’a choisi de mettre en lumière Angélique Villeneuve dans ce roman émouvant et plein de grâce.
Etats-Unis, Alabama, 1880. La jeune Kate épouse un homme plus âgé qu’elle. Si leur mariage s’avère rapidement bancal, la naissance d’une fillette vient éclairer la vie du couple. Mais ce bonheur est de courte durée : à l’âge de 19 mois, Helen tombe gravement malade. Malgré le pronostic des médecins, Kate refuse de perdre espoir. La petite s’en sort mais sera désormais sourde, muette et aveugle.
Dès lors, une relation passionnelle s’instaure entre Helen et Kate, qui va entamer un long combat pour sa fille, perçue par tous comme une « sauvage » qu’il faut enfermer à l’asile. Luttant avec énergie et obstination contre l’hostilité, les préjugés et les reproches de son entourage, Kate ne cessera jamais d’espérer et finira par croiser la route d’une enseignante persévérante et convaincue, comme elle, qu’Helen peut apprendre à vivre comme tout le monde.
C’est ce parcours de femme blessée et de mère déchirée que nous livre ici la romancière, qui sait parler des blessures à l’âme et au cœur comme nulle autre. Dans une prose limpide et sensuelle, elle nous conte une histoire difficile mais lumineuse d’amour et d’espoir et rend magnifiquement hommage à une mère « dévorée par l’amour », qui s’est battue toute sa vie durant pour sa fille, envers et contre tout.
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Le choix de Barriga
Le chien noir de Lucie Baratte
Paru chez Les éditions du Typhon, mars 2020
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[dropcap]D[/dropcap]ans ce beau roman paré de ses plus beaux atours, vous vous laisserez emporter par la réécriture d’un conte où tous les aspects du genre sont convoqués avec une étonnante modernité, concision et minutie; un vrai travail d’orfèvre. Chaque mot est à sa place, pas un de trop. A la fois baroque et gothique, un songe éveillé parfois cauchemardesque, ce roman révèle une palette littéraire insoupçonnée.
Chaque chapitre commence par Il était une fois. Dans une contrée lointaine, la jeune Eugénie est mariée de force par son père à l’énigmatique roi Barbiche qui dissimule ses intentions. S’amorce alors un périple vers le château des ténèbres…
Singulier, superbe !
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Le choix de Barriga
Avant les diamants de Dominique Maisons
Paru chez Éditions de la Martinière, août 2020
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[dropcap]H[/dropcap]ollywood ton univers impitoyable !
L’industrie américaine du film vit en 1953 une période faste et compliquée à la fois. En pleine chasse aux sorcières des communistes et des homosexuels, on produit en masse des séries B, des films médiocres pour le marché européen.
Larkin Moffat, farouche producteur de ce genre de navet, pensant saisir la chance de sa vie avec une opportunité qu’il ne peut pas refuser, se retrouve mêlé à une affaire qui le dépasse…
Ce sont plus de 500 pages qui se lisent avec un malin plaisir, richement documentées, drôles, cyniques et addictives !
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