[dropcap]F[/dropcap]igure incontournable et historique de la scène musicale internationale des soixante dernières années, le claviériste et compositeur américain Herbie Hancock est une véritable légende vivante : bien qu’il soit loin d’être le seul à avoir dressé des ponts entre la source originelle du jazz et les tendances les plus remuantes des musiques contemporaines, personne ne l’aura fait avec autant de souffle, d’efficacité et de pertinence que lui.
Et si les nombreux écarts qu’il s’est permis avec les conventions lui ont parfois valu les foudres des gardiens du temple, force est de reconnaître que l’aplomb et l’audace du bonhomme n’ont pas de meilleure illustration que sa musique protéiforme et accrocheuse, aussi séduisante et novatrice sur l’instant qu’intemporelle et essentielle sur la longueur.
Après avoir fait ses premières armes dans le circuit professionnel à l’aube des années 1960 en accompagnant le trompettiste Donald Byrd, le jeune Herbie Hancock se verra inviter par un Miles Davis en quête de sang neuf à rejoindre son nouveau quintet : dès 1963, ce pianiste précocement prodigieux formera avec le contrebassiste Ron Carter et le batteur Tony Williams l’une des sections rythmiques les plus défricheuses du genre, dynamitant toutes les préconceptions couramment associées à ces instruments pour mieux en redéfinir les contours d’utilisation et les champs d’action possibles.
Parallèlement à ses sessions pour le compte de l’illustre Miles, le fougueux Hancock deviendra l’un des fers de lance du prestigieux label Blue Note, y publiant, entre 1962 et 1969, sept albums aussi aventureux qu’inspirés, égrainant de nombreuses pépites aujourd’hui considérées comme de véritables standards, du langoureux Watermelon Man au rêveur Maiden Voyage, en passant par le chaloupé et inoxydable Cantaloupe Island, mètre-étalon d’un groove insidieux et imparable pour toutes les décennies suivantes.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]ais le véritable tournant décisif dans le parcours de cet électron libre déjà starisé se produira un soir de février 1969, alors qu’une des nombreuses sessions d’enregistrement de l’emblématique In A Silent Way de Miles Davis tourne en improvisation épique entre Hancock et deux autres claviéristes d’envergure, Chick Corea et Joe Zawinul : cernés par une multitude d’instruments électriques (notamment le Fender Rhodes, élément crucial de l’œuvre à venir) et s’ouvrant à des terrains de jeu encore inexplorés, les trois hommes laissent libre cours à leurs envies et dessinent à tâtons un avenir radieux à ce que l’on nomme encore timidement jazz-rock ou, plus précisément encore, jazz-fusion.
Après avoir exprimé toute sa soif de liberté débridée sur une trilogie d’albums denses et possédés, qui se conclura en 1973 avec le puissamment visionnaire Sextant, le décidément versatile Herbie Hancock poussera encore d’un cran son appétit pour des sonorités ouvertement synthétiques, convoquant le saxophoniste Bennie Maupin, le bassiste Paul Jackson, le batteur Harvey Mason et le percussionniste Bill Summers pour graver ce qui deviendra le mythique Head Hunters, modèle indépassable de synthèse incandescente entre la vibration du jazz et la pulsation du funk, porté par les quinze minutes simultanément hypnotiques et spectaculaires du redoutable Chameleon, véritable mine de samples pour tous les futurs producteurs hip-hop encore en devenir.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]a suite de la décennie s’avérera d’une richesse époustouflante pour Herbie Hancock, qui alternera des projets plus académiques (comme son duel aux pianos avec l’ami Chick Corea ou le quintet scénique V.S.O.P.) avec des ambitions formelles de plus en plus remuantes, du funk le plus rutilant à la disco la plus flamboyante, comme en témoigne la flamme irradiante qui traverse les albums Thrust (1974), Man-Child (1975) ou surtout Sunlight (1978), dont l’éclatant I Thought It Was You d’ouverture fera figure de matrice pour bien des producteurs house quelques décennies plus tard, de ses compatriotes Masters At Work aux frenchies Daft Punk.
On pourrait croire qu’une telle constance dans l’excellence, aussi impressionnante dans son évolution conceptuelle globale qu’explosive dans ses coups d’éclat ponctuels, aurait pu marquer le pas au bout d’une vingtaine d’années d’activisme défricheur et symbiotique. Mais l’association avec le producteur d’avant-garde Bill Laswell provoquera un nouveau choc esthétique et musical d’une ampleur considérable : en 1983, le robotique et implacable Rockit fournira à Herbie Hancock un nouveau tube planétaire, traçant une ligne improbable et pourtant infaillible entre sa science de l’harmonie entêtante et la force martiale de l’électro-funk. Pour l’anecdote, ce hit transgénérationnel sera par ailleurs le premier titre « grand public » à incorporer le son d’un vinyle scratché.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]S[/mks_dropcap]ans atteindre l’aura des sommets évoqués plus haut, les sorties suivantes ne manqueront pas de charme, qu’elles soient nimbées d’un classicisme formel lorgnant ouvertement vers la pop la plus évidente (des reprises bien senties figurant au programme de The New Standard en 1996 à celles qui constitueront The Imagine Project, dernier album studio en date publié en 2010) ou s’inscrivent dans des sillons plus ostensiblement remuants (comme sur le Dis Is Da Drum de 1994, qui rappellera avec tact aux jeunes loups de l’acid jazz qui est le patron, ou sur l’incroyablement moderne Future2Future de 1999, qui scellera d’émouvantes retrouvailles avec de vieux complices d’antan tels Bill Laswell, Wayne Shorter ou Tony Williams, tout en saluant la nouvelle génération montante d’artistes techno, de l’américain Carl Craig au britannique A Guy Called Gerald).
Il n’empêche qu’alors que ce pianiste émérite et compositeur de génie fête ses quatre-vingt printemps, il est bon de rappeler que son impressionnant catalogue, couvrant plus de cinq décennies d’une activité vivace et exemplaire, demeure une mine d’or inépuisable et un modèle absolu pour tout musicien souhaitant conjuguer groove contagieux et exigence artistique. Ce ne sont pas les petits malins de Deee-Lite, dont l’immense tube Groove Is In The Heart de 1990 s’appropriait avec force la ligne de basse d’un certain Bring Down The Birds, composé à l’origine par Hancock en 1966 pour la bande-son du mythique Blow-Up de Michelangelo Antonioni, qui diront le contraire.
Pour sa part, Herbie Hancock aura relevé ce défi épatant et paradoxal : devenir une institution à grands coups de remises en question, stimulant l’ouverture du public plutôt qu’un élitisme dogmatique, tout en fuyant les sentiers battus, y compris ceux qu’il aura initiés lui-même.
Comme pour donner à la modernité fugitive de son époque ses lettres de noblesse et une belle patine d’éternité.
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Image bandeau : Herbie Hancock le 23 juillet 2017 au Zelt-Musik-Festival de Fribourg-en-Brisgau ©Ice Boy Tell