[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]S[/mks_dropcap]winging London – 1967.
Une jeune australienne, Lola Bensky, dix-neuf ans, est envoyée par son journal Rock Out en Angleterre, pour prendre le pouls de la scène musicale londonienne à une période très excitante de l’histoire de la musique.
Entre deux régimes planifiés, car très complexée par son poids et ses cheveux qu’elle repasse pour tenter de les discipliner, elle interviewe avec un naturel désarmant et des questions parfois déconcertantes les stars de l’époque, prend un thé chez Mick Jagger, discute bigoudis avec Jimi Hendrix, prête ses faux cils à Cher avec laquelle elle partage une troublante ressemblance.
La journaliste finit par quitter Londres pour poursuivre ses interviews aux États-Unis .
À New York d’abord, où elle assiste aux débuts prometteurs des Doors au Scene, un club de Manhattan en vogue à l’époque.
Elle s’y rend avec ses amies la photographe Linda Eastman, future madame McCartney, et la célèbre journaliste « mother of rock » Lillian Roxon, pour interviewer Jim Morrisson. La rencontre se révèle calamiteuse, le chanteur se distinguant par son caractère particulièrement provocateur, hautain et bourru.
Monterey ensuite, au mois de juin, où Lola Bensky part couvrir le désormais mythique festival de pop, père de Woodstock et de tant d’autres, où de nombreux jeunes talents se sont fait connaître au monde entier.
Là-bas, elle assiste médusée à la naissance du mouvement Peace & Love, une communauté heureuse et pacifiste qui partage défonce et musique tout en se couvrant de fleurs. La jeune femme sent dès son arrivée l’aspect historique de l’évènement.
https://youtu.be/X2m38ELQXPM
L’affiche est en effet impressionnante. Jugez plutôt : The Animals, Simon & Garfunkel, Steve Miller Band, The Byrds, Jefferson Airplane, Janis Joplin au sein de son groupe Big Brother and the Holding Company, Jefferson Airplane, Otis Redding, Ravi Shankar, Buffalo Springfield, The Who, Grateful Dead, The Jimi Hendrix Experience, The Mamas & The Papas, pour ne citer qu’eux, se partagent la scène durant trois jours.
Lola Bensky retrouve ainsi Jimi Hendrix qui la drague ouvertement, y croise un Brian Jones complètement perdu et défoncé, discute sexualité et couture avec une Janis Joplin débutante, déjà amoureuse des drogues et de sa bouteille de whisky.
Ces anecdotes truculentes sont complétées par le récit passionnant des concerts qui se jouent alors, notamment le très célèbre moment où Jimi Hendrix enflamme sa guitare.
[…] Jimi a levé les deux mains en l’air, a regardé sa guitare au sol et lui a fait signe de venir à lui. Elle n’a pas bougé, mais il a essayé encore. Il communiait avec elle, l’appelait, la convoquait comme si l’instrument pouvait ressentir aussi fortement que lui le lien qui existait entre eux. Est-ce qu’il voulait voir si elle réagissait même quand il ne caressait pas ? s’est demandé Lola. Enfin, il l’a reprise et en a joué, toujours d’une seule main, tandis que son pelvis et son torse s’agitaient et se balançaient dans une scène d’amour plus torride et déchaînée que Lola n’en avait jamais vu.
Jimi Hendrix s’est relevé. Il tenait à la main un petit bidon d’essence à briquet. Il s’est mis à en asperger sa guitare. Le liquide sortait en fines giclées, comme si Jimi était en train d’uriner ou d’éjaculer. Il s’est remis à genoux et a embrassé l’instrument avec dévotion. Il a gratté une allumette et l’a jetée sur la guitare, qui s’est embrasée. Jimi, toujours agenouillé, les mains en coupe, a encouragé les flammes à monter. On aurait cru assister à un rite religieux. L’apogée d’une cérémonie d’adoration complexe qui avait recours au feu pour assurer le retour à la poussière.
C’est également à Monterey que le talent de Janis Joplin explose et qu’elle se fera connaître mondialement.
Brusquement, Janis Joplin est apparue […]. Elle avait l’air d’une fille banale mais il lui a suffi de donner le rythme en battant du pied sur les planches pour prendre le contrôle de la scène. Quand elle est arrivée à Ball And Chain, on a senti l’ensemble des sept mille spectateurs totalement captivés. La foule écoutait dans une immobilité presque complète. […]. À la dernière note lancée par Janis Joplin, l’assistance a éclaté en applaudissements enthousiastes […]. Ce samedi après-midi-là, on avait l’impression que le terrain entier du festival venait d’être illuminé. »
https://www.youtube.com/watch?v=Bld_-7gzJ-o
Le périple américain de Lola Bensky s’achève à Los Angeles pour des interviews avec Sonny & Cher et The Mamas and The Papas. Elle échange alors longuement avec Mama Cass sur leurs problèmes de surpoids et leurs régimes, puis est choquée par l’aspect tyrannique de Sonny sur sa compagne Cher.
Après une dernière rencontre avec Jimi Hendrix qui joue pour ouvrir le concert de Sam & Dave, elle rentre en Australie.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L'[/mks_dropcap]ambiance générale de ces entretiens est drôle et plaisante à lire du fait de la cocasserie du personnage de Lola Bensky et des questions souvent audacieuses qu’elle pose. Mais le ton se fait plus grave lorsque la jeune femme cherche, à travers ses échanges avec les rock stars naissantes, des réponses à un passé terrifiant.
Enfant de survivants de la Shoah, exilés en Australie, Lola ne cesse de s’interroger sur les débuts terribles de sa vie et sur la souffrance qu’ont connue ses parents, Renia et Edek. Alors que Lola connaît le mariage, la maternité, la psychanalyse, et arrête la presse rock pour écrire des romans de détectives, elle finit par découvrir que la question de savoir ce que signifie être humain est la plus difficile à répondre pour quiconque.
S’appuyant sur ses propres expériences en tant que jeune journaliste, Lily Brett a créé un personnage inoubliable dans cette Lola drôle et profondément émouvante.
L’auteure, qui vit à New York depuis de nombreuses années avec son mari, lui aussi australien, est elle-même la fille de rescapés d’Auschwitz, des Juifs polonais de Lodz. Elle est née en 1946 dans un camp de personnes déplacées et a grandi en Australie où ses parents avaient émigré. Cependant, l’auteure se défend d’avoir livré un roman autobiographique :
Lola Bensky est une partie de moi, mais elle n’est pas moi. Elle possède certains de mes attributs, a vécu une partie de mon histoire, mais pas toute l’histoire. Elle me permet de grossir le trait, d’être sélective dans les souvenirs[…]. Dans la vraie vie, j’ai été en effet cette journaliste australienne qui a interviewé dans les années 60 la plupart des rock stars. Mais en racontant certaines anecdotes réelles au nom de Lola, je peux davantage jongler avec ces souvenirs. Les raconter dans une autre perspective. »
Lola Bensky est un roman qui se dévore avec l’énergie et la flamme de cette année 1967.
Lola Bensky de Lily Brett
Traduit par Bernard Cohen aux éditions La Grande Ourse. 2014
Petit extra : une playlist qui accompagnera volontiers votre lecture :