[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]B[/mks_dropcap]oundary Pond, un lac québecois plus connu sous son nom francisé de Bondrée, fin des années 60. Un petit paradis de nature pour vacanciers, où se retrouvent chaque été les familles de la ville. Un lieu de liberté, de beauté et de repos, un paysage à couper le souffle, des eaux ensorcelantes, la montagne Moose Trap, lieu de prédilection des chasseurs, une forêt de fraîcheur et de mystères : le décor idéal pour des vacances d’adolescents en pleine découverte de la vie, des corps en plein épanouissement auxquels s’offrent tous les plaisirs de la nature, et ceux de la séduction qui s’apprend à coups de maladresses, de jalousie, de chagrins petits ou gros. Des chalets éparpillés dans un site de rêve, des jeunes filles qui fredonnent A Whiter Shade of Pale ou Lucy in the Sky with Diamonds en rentrant, le soir, tranquillement, vers le cocon familial.
Dix pages suffisent à Andrée A. Michaud, qui a déjà à son actif une dizaine d’ouvrages plusieurs fois récompensés au Québec, pour mettre en œuvre le sortilège qui va subjuguer le lecteur jusqu’au bout des 364 pages que compte ce roman à la fois tendre et violent, clairvoyant et poétique. Racontée par une femme qui avait six ans quand ses parents ont acheté leur chalet, l’histoire commence avec celle de Pierre Landry, un trappeur qui s’est réfugié au fond des bois pour échapper à l’arrivée de ces touristes qu’il ne veut pas voir. Un ermite, un solitaire. Un peu comme la trace, le souvenir de la vie sauvage, en plein cœur de la nature déserte. Un homme dont la vie s’est brisée avec le départ de celle qu’il aimait si fort, Maggie Harrison qui l’avait repoussé si violemment au moment où il tentait de l’approcher. Un homme que tous les autres allaient bientôt accuser, laminer, jusqu’à son suicide. Pierre Landry pendu dans sa cabane, près du cadavre de Sugar, le chien adoré de Maggie…
La narratrice, Andrée, 12 ans, se rappelle Sissy Morgan et Elisabeth Mulligan, dite Zaza, les deux inséparables fillettes dont le sort allait bouleverser à jamais la vie bucolique des provisoires habitants de Bondrée. Fillettes, jeunes filles ? Les deux délurées ont déjà une réputation bien installée au sein de la communauté… : « Elles représentaient à mes yeux l’incarnation d’une féminité à laquelle je n’osais aspirer, une féminité de magazine réservée aux filles qui avaient de longues jambes et des ongles laqués. » Les filles sont dangereuses, les filles sont fragiles. Zaza, la première, disparaît deux jours durant. Ses parents sont absents, c’est son inséparable Sissy qui va se mettre à sa recherche, poussée par un pressentiment qui la torture. Gilles Ménard, un voisin, la retrouvera dans la forêt, prise entre les mâchoires d’un piège à ours, la jambe broyée, exsangue. Mais est-ce vraiment le piège qui lui a volé sa vie ? Bondrée est en deuil, les enfants cloîtrés chez eux, plus un cri de joie autour du lac, plus une cavalcade dans la forêt. Et ce n’est que le début d’une suite de drames qui n’ont rien à voir avec les habituelles histoires de serial killers. Ici, ce n’est pas le monstre étranger qu’on traque, mais celui qui est là, tout près, voire en chacun de nous.
Andrée A. Michaud nous tient, et ne nous lâche plus. Son style très particulier, enrichi d’un vocabulaire qui navigue entre expressions québécoises et américaines, sans jamais céder à la facilité du parler québécois qui fait sourire les Français, parvient à imposer une atmosphère unique, et surtout à alterner la tendresse qu’elle éprouve pour ses personnages et la cruauté des événements qui vont conduire à une fin de monde pratiquement inéluctable. Rassemblés en un lieu, Bondrée, tous les symboles d’un bonheur idéal vont, tour à tour, s’effondrer, laissant derrière eux des humains défaits, des illusions perdues, de l’innocence en détresse. L’auteure décrit avec clairvoyance les relations familiales, conjugales, les fissures des apparences. Et surtout, elle évoque avec une sensibilité bouleversante le sort des filles et des femmes en cette période charnière, où toutes les libertés des années 70 sont encore en bourgeons, où les premières audaces attirent encore sur les filles les foudres de la « bien-pensance ». Bondrée, après les cataclysmes que nous raconte la narratrice, sera désertée, les chalets laissés à l’abandon. La nature y reprendra ses droits. Jusqu’à ce qu’une autre vague d’humanité, un jour, ignore ses menaces et ses secrets et, à nouveau, y installe ses certitudes et ses tumultes…
Bondrée de Andrée A. Michaud publié chez Rivages, Septembre 2016
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