[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#819664″]L[/mks_dropcap]e voyage 3 Continents commence au Théâtre Le Grand T le soir de l’ouverture du Festival avec un premier long-métrage kirghize Heavenly Nomadic (Sutak) du réalisateur Mirlan Abdykalykov.
Aller à la rencontre d’une famille bercée entre légendes et vie traditionnelle et se laisser emporter dans ses montagnes solennelles a ravi les spectateurs. Ceux-ci ont également pu mesurer toute la détresse de cette famille nomade découvrant la terre de ses ancêtres envahie par les grues retournant le sol et recouvrant ainsi une partie de son histoire.
Lever les yeux au ciel, découvrir cette aigle Sutak et sentir dans cette présence l’écartèlement de ce peuple entre croyance, rêve et désir de modernité. Film sorti en juillet 2015.
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[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#819664″]L[/mks_dropcap]A magie de ce festival s’opéra lors de ma rencontre avec le cinéma de Kumar Shahani. Ce réalisateur indien réussit à nous ensorceler et à offrir un regard chaleureux et plein de douceur sur son pays, notamment avec l’un de ses films qui m’a beaucoup touchée, Bhavantarana. Un documentaire où le récit laisse la place à la danse classique indienne dite « Odissi ».
Le film explore la vie du grand maître de l’Odissi le gourou Kelucharan Mohapatra. Les premiers plans se concentrent sur les mains, les pieds, les orteils… pas les visages. Les peaux dorées nous évoquent toute la chaleur de ce pays, tout comme le rire des femmes. La danse fait partie de la vie de ces hommes et de ces femmes. Les corps sont gracieux. Comme un mode d’expression, ces danses se révèlent telles des poésies. Les gestes sont purs et sensuels. Même la caméra est séduite, elle flotte tout autour de ces danseurs. Découvrir ou redécouvrir ce pays aux mille et une beautés et mystères, c’est ce que Kumar Shahani nous permet avec élégance.
Je suis complètement bercée : Bhavantarana a pris possession de mon corps, qui ne demandait alors qu’à tourbillonner. Les danses et la nature sont enchevêtrées. La musique et le chant tacatacatac….tacatacatac…. accompagnent ces danses raffinées où les émotions s’expriment. La tête, le buste et le torse exécutent des mouvements complexes.
Ce film est un voyage initiatique dédié à la danse et à la philosophie indienne. La danse est un don salvateur, que nous contemplons. L’art est au cœur de son œuvre : chaque individu doit s’en nourrir de manière aussi vitale que chaque seconde il respire. Laissez votre corps s’abandonner et célébrez l’existence des éléments fascinants qui vous entourent (roseaux, lianes, étang, collines…) et appréciez cette lumière ocre pour finalement vous laisser envoûter et vous apaiser.
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Ensuite j’ai choisi de vous parler de deux films de la compétition, qui ont fait débat à la sortie des salles.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#819664″]L[/mks_dropcap]e premier, Thanatos, Drunk (Zui sheng meng si) du réalisateur taïwanais Chang Tso-chi.
Dépréciés par certains pour sa violence, il surprend pourtant par son intensité. Il est vrai que l’ambiance est sordide et que le spectateur peut se sentir pris au piège de cette animalité. La lumière surexposée intensifie ce sentiment de crasse, de dépravation, de froideur.
Ce film n’hésite pas à bousculer. Écorchés vifs, les personnages nous entraînent dans des histoires tragiques où les coups, l’alcool, le sexe et le sang teintent le film. Malgré toute cette brutalité, le réalisateur s’autorise des moments de poésie et d’amour, notamment au début du film, lorsque le fils est à table avec sa mère et qu’il laisse tranquillement aller sur sa main une fourmi qu’il observe. À ce moment là, c’est un enfant sans rage, qu’est-ce qu’il le fait basculer ? Les angoisses de sa mère qui l’étouffe ?
À la périphérie de Taipei, deux frères se retrouvent et tentent de vivre ou survivre dans une maison vétuste. Ils essaient de construire leur vie d’homme, mais ce n’est pas chose facile entre un qui s’embraque dans des affaires mafieuses et l’autre qui laisse échapper des excès de fureur. Leur histoire s’est construite autour de cet amour maternel asphyxiant qui laisse entrevoir beaucoup de frustrations. Chang Tso-Chi a choisi de nous mettre face à des personnages déviants, excentriques, bouillonnants. Un film à la fois cruel et émouvant. Une ivresse permanente qui mènera à la vie ou à la mort.
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[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#819664″]L[/mks_dropcap]e second film est Neon Bull (Boi Neon) du réalisateur brésilien Gabriel Mascaro. Son second long-métrage manque cruellement d’une histoire solide mais il surprend car il invite le spectateur à partager cette tranche de vie itinérante.
Nous voici plongés dans un univers macho, les traditionnelles vaquejadas, forme de rodéo pratiqué dans le Nord-Est du Brésil. Certaines scènes pourront vous faire hurler par leur machisme là ou j’y ai trouvé de l‘érotisme (une des dernières scènes du film où notre personnage principal fait l’amour avec une femme enceinte) ou encore les scènes qui filment le monde rural de façon très crue (récupérer le sperme d’un cheval réputé fertile).
C’est aussi le rapport à l’animal qui peut choquer. Le film montre une certaine bestialité de la part de l’homme mais sans oublier la beauté de ses gestes face à la bête. Le cheval, à terre, se laisse caresser par un homme. Ce plan magnifique montre la complicité et la confiance qui peut exister entre un homme et un animal. Le taureau, lui, est un gagne pain, il est donc malgré tout assez bien traité. Même si ces robustes taureaux n’ont aucune chance et seront mis à terre mais jamais exécutés. La puissance et la grandeur des taureaux sont mises en valeur par la caméra du réalisateur (lumière du soleil qui se couche sur le troupeau).
Entre des moments drôles et légers, des images paisibles, Gabriel Mascaro nous livre des personnages plus complexes que les clichés dans lesquels on veut bien les enfermer. Il entrouvre également une porte pour nous laisser apercevoir les changements socio-économiques et culturels qui apparaissent dans cette région.
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[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#819664″]L[/mks_dropcap]es derniers trésors 3 Continents, dont j’aimerai vous parler, sont 3 films d’Im Kwon-Taek parmi les 25 programmés pendant le festival. Son oeuvre est vaste (102 films) et pleine de surprises de par sa prodigieuse diversité ! Vous avez d’ailleurs l’occasion de continuer la découverte du cinéma sud-coréen avec la rétrospective de ses œuvres qui a lieu à la Cinémathèque française jusqu’au 29 février 2016.
25 films ont été programmés pendant le festival, j’ai pu en découvrir 3.
The Family Pedigree (Jogbo) débute avec quelques images d’archive. L’armée japonaise envahit la Mandchourie. Le film va surtout s’intéresser à l’histoire d’un père de famille coréen qui refuse de changer de nom de famille. Un bureau s’est créé et les coréens ont dans l’obligation de transformer leur nom en patronyme japonais, c’est une des conséquences de la guerre. Il refuse car pour lui, cela serait un affront vis-à-vis de ses ancêtres. Avec respect, il conserve précieusement un livre sur toute la généalogie de sa famille. Pourtant, un jeune homme japonais appartenant à ce service va devoir le convaincre d’accepter. Déchiré entre son devoir et les liens d’amitié qu’il commence à nouer avec la famille, il se sent pris au piège.
En Corée, le poids des traditions est très fort et devoir changer de nom équivaut à une humiliation terrible. Les conséquences de la ténacité du ce coréen vont être désastreuses pour sa famille et les villageois. Derrière cette simple histoire de changement de nom, c’est surtout l’asservissement d’un peuple que le réalisateur nous décrit. Ce film montre à quel point les coutumes étaient omniprésentes dans le quotidien de ces familles, ainsi que l’honneur et le sens du mot sacrifice. Film délicat, réalisé avec beaucoup de cœur.
Village of Haze (Angemaeul) est l’histoire des relations inhabituelles entre les habitants d’un village de montagne isolé. Une jeune femme est envoyée dans ce village pour enseigner à l’école primaire. Dès sa sortie du bus, le frisson nous habite. Le regard échangé entre cette femme et un homme étrange nous glace. L’histoire nous apprendra que c’est un vagabond et que les villageois s’en occupent chacun leur tour pour lui offrir à manger ou un coin pour dormir. Cette histoire redevient un instant rationnelle jusqu’au moment où tout bascule. La tradition et la morale s’écroulent et le mystère s’empare à nouveau de l’intrigue. Im Kwon-Taek va constamment nous emmener sur de nouvelles pistes. Les instincts les plus primaires sont évoqués tout au long du film. Su-ok, la jeune femme, va également comprendre que dans ce village, rien ne peut rester secret contrairement au fait de vivre dans l’anonymat d’une grande ville. Elle va elle-même se laisser guider par la curiosité. Le plus troublant reste la confusion entre ces habitants dont les liens du sang et du mariage sont parfois confondus. Au début, le spectateur peut penser à une histoire « cinématographique » mais la vraisemblance jaillit très rapidement et sème le trouble dans le regard que l’on peut porter sur les rapports humains et sexuels.
Ce film parle au fond du désir, de moralité, de l’oppression sexuelle des femmes, des non-dits, du traitement des différences. Un film au bord de la folie profondément social et moderne.
La Pègre (Haryu Insaeng) est sorti en 2005 et l’histoire se situe entre la fin des années 50 et la fin des années 70. Dans un contexte historique et politique chaotique, le film débute sur une bagarre cruelle et se poursuit avec beaucoup de violence entre gangs. C’est une époque où les élections sont frauduleuses et beaucoup ont choisi la voie du crime, dont ce personnage appelé Choi Tae-woong. Des liens existent entre les gangs et le pouvoir en place mais l’arrivée d’un nouveau régime va révolutionner la vie politique. Choi Tae-woong va devoir également changer de camp et il va tout faire pour retrouver le chemin légal pour à nouveau se retrouver dans un milieu tout aussi corrompu.
Film dense sur une partie cruciale de l’histoire de la Corée. Ce film condamne avec énergie les gangsters et politiques de l’époque. Les scènes de violence entre gangs se multiplient et créent parfois la confusion. Le style théâtral nous fait souvent sourire et le spectateur se perd dans l’histoire où, au final, tous sont corrompus. La Pègre peine à nous tenir en haleine et davantage de subtilité au cœur des intrigues permettrait plus de clarté et de compréhension.