L’avis de Barriga
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#DD445C »]Q[/mks_dropcap]uand l’écho d’un nouvel opus de Paul Auster s’est fait entendre, cela n’a pas soulevé en moi un enthousiasme démesuré. Bien au contraire, cela faisait bien longtemps que je n’avais plus lu un livre du grand romancier américain. D’abord émerveillé par ses premiers opus, sa créativité, son originalité littéraire par les thèmes qu’il pouvait aborder, la méta littérature, la folie, le hasard et New York comme un leitmotiv, j’ai commencé à être déçu par certaines de ses productions. La magie que j’avais trouvée dans ses premiers écrits avait disparu. Je trouvais qu’il se répétait sans arrêt, qu’il écrivait le même livre comme s’il avait peur de sortir de sa zone de confort créatrice. Paul Auster faisait du Paul Auster presque à se pasticher.
Et donc courant décembre, j’apprends qu’il revient pour la rentrée d’hiver, avec un vaste roman, au meilleur de sa forme comme il ne l’a jamais été : 4 3 2 1. Méfiance est de mise comme si cette réputation était usurpée, comme une annonce publicitaire, un mauvais argument de vente. Il faut dire que le roman est ample, plus de 1000 pages, ôtant pendant un certain temps un autre potentiel de lectures. Mais les rumeurs se confirment, les premiers avis de lectures sont positifs voire très élogieux.
Le doute n’étant plus permis, la lecture de ce livre est devenue obligatoire. À peine installé, les pages du roman tout juste ouvertes, vous êtes happés par l’intrigue de ce Archie Ferguson qui se raconte en quatre déclinaisons du même personnage en fonction de ses choix, ses doutes, ses renoncements, ses échecs, ses amours, une existence affectée par les soubresauts de la vie comme tout un chacun. Dès les premières lignes qui scellent le pacte de lecture entre l’auteur et le lecteur, le ton est donné d’une écriture omnisciente, pleine d’ironie et de classicisme aussi, l’une n’empêchant pas l’autre. On retrouve les recettes de la tradition du roman du début du XXe siècle, la grande fresque familiale, ici new-yorkaise et juive, dans la grande histoire plus globale, avec une kyrielle de personnages composant l’intensité dramatique de l’ouvrage. Mais ce qui rend le roman résolument moderne et intéressant, c’est le questionnement constant des faits historiques et extérieurs qui influencent résolument nos personnages et qui nous donnent ce « Ferguson en variations ». Et tel un démiurge, Paul Auster s’amuse avec beaucoup de fantaisie à déconstruire son roman, à nous emmener vers des directions différentes, à revenir en arrière pour proposer d’autres hypothèses du destin de Ferguson.
[mks_pullquote align= »left » width= »300″ size= »18″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#DD445C »] « La construction narrative du roman est d’une agilité remarquable, les personnages se croisent ou non, d’un récit à l’autre. » [/mks_pullquote]
Le postulat d’inventer des vies parallèles à ses personnages pour un auteur n’est pas nouveau, il est d’ailleurs très présent dans la littérature fantastique ou d’anticipation. Paul Auster ne vient pas poser ses pieds dans les plates-bandes des genres littéraires cités précédemment. Ce qui l’intéresse, c’est le romanesque, comment triturer la vie de son personnage Archie Ferguson dans une sorte de récit d’apprentissage aux tonalités d’un roman historique, en répétant l’exercice quatre fois. On pourrait craindre de se perdre dans ce maelström littéraire, or il n’en est rien. La construction narrative du roman est d’une agilité remarquable, les personnages se croisent ou non, d’un récit à l’autre. Paul Auster trouve le ton juste pour nous emmener dans ce labyrinthe romanesque sans jamais nous égarer, mis à part quelques passages parfois un peu bavards. Il s’amuse aussi avec ses fervents lecteurs, une connivence implicite, de-ci de-là nous avons même des clients d’œil à l’univers de l’auteur, des noms de personnages que l’on retrouve dans certaine de ses œuvres, comme des caméos littéraires. Notre héros, Ferguson est un personnage ambivalent, il est tantôt attachant dans certaines de ses attitudes tantôt antipathique, arrogant, donneur de leçon. Paul Auster trouve toujours le ton juste pour trouver le bon équilibre entre l’intrigue romanesque avec toutes les digressions qu’elle peut comporter et l’évocation de tout un pan de l’histoire des États-Unis sur lequel il aspire à donner son point de vue.
Dans une récente interview, Paul Auster assure qu’après avoir fini d’écrire ce livre après plusieurs années de travail, il était épuisé. On le comprend volontiers au vu du projet qu’il a voulu entreprendre et nous donner à lire. C’est un livre comme une sorte de bilan à presque 70 ans. Ce roman est un contrepoint, une introspection sur lui-même, sa vision de la littérature et de l’histoire. Il était temps pour lui de dresser un bilan et de rendre des comptes. Le livre prend sa source dans la jeunesse de l’auteur lui-même, il partage la même année de naissance que son principal protagoniste, l’année 1947. Paul Auster évoque une génération dévastée par les guerres, notamment par celle qui laissera des traces indélébiles, la guerre du Vietnam. Les joies de la vie universitaire, l’insouciance de l’avenir prometteur longuement décrites sont anéanties par l’irruption du bruit et de la fureur. Paul Auster partage avec Archie une grande culture du cinéma, de la littérature et de la France, ainsi que des prédispositions pour l’écriture, ce qui nous donne une mise en abyme finale, une pirouette littéraire joliment trouvée qui nous pose la question d’un roman peut-être autobiographique, sans vraiment savoir qui prend la parole avec certitude… Sommes nous dans l’atelier d’écriture de Paul Auster ou dans celui d’Archie ? Après tout ce n’est peut-être pas le plus important, mais un doute plane et nous sommes en droit de nous poser la question. Sur des aspects, nous pouvons répondre à l’affirmative : les choix de Ferguson dans certaines situations pourraient être ceux qu’aurait pris le romancier, Ferguson et Auster ne formant qu’une seule personne. Mais parfois le second se dédouane du premier, Paul Auster prend ses distances pour mieux critiquer l’attitude du personnage qu’il a créé.
Il faudra certainement quelques années de recul pour savoir si ce 4 3 2 1 laissera une empreinte dans la grande histoire de la littérature mais pour le moment ne boudons pas notre plaisir à nous plonger dans ce roman ambitieux et apprécier le retour d’un grand écrivain !
L’avis de Gringo Pimento
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#71888D »]I[/mks_dropcap]l me semble maintenant que Paul Auster a toujours été là.
En paraphrasant l’incipit de La Chambre dérobée, voilà ce que je pourrais dire à propos de cet auteur qui m’accompagne depuis 1991, année où je suis tombé sur La Trilogie new-yorkaise que j’ai dévorée, lue, relue. La Musique du hasard, Léviathan, L’Invention de la solitude, autant d’œuvres qui continuent à me parler malgré les années.
Pourtant, petit à petit, Paul Auster m’a moins intéressé. Ses écrits me touchaient moins. Mais je continuais à le lire.
Depuis Sunset Park en 2011, pas de nouveau roman, mais des essais et en ce début 2018 est publié 4 3 2 1. La critique française s’en empare, crie au chef-d’œuvre, se pâme et fait un pont d’or à l’Américain qui est invité dans plusieurs émissions télévisées. Vous avez compris que de mon côté, l’emballement est bien moindre !
Tout de même, de quoi s’agit-il dans ce texte 4 3 2 1 ?
D’abord d’un roman, bien dans les thèmes austériens (notamment la prédominance du hasard) où nous avons quatre histoires d’un même personnage, Archie Ferguson, descendant d’Isaac Reznikoff, Russe de Minsk débarquant en Amérique sans en connaître la langue. Par un concours de circonstances, il baragouinera dans sa barbe un « I forgot » quand on lui demandera son nom, ce qui deviendra sous l’interprétation d’un fonctionnaire américain : Ferguson.
Le début du roman raconte l’arrivée et l’adaptation d’Isaac à la vie américaine, les enfants qu’il a, puis les enfants de ses enfants et donc Archie.
4 3 2 1 également comme les quatre histoires divisées en chapitres par Auster.
Le hasard donc. Comment, dans une vie, Archie sera écrivain, dans une autre, journaliste, comment il disparaîtra à une vingtaine d’années, comment ses parents resteront ensemble, se sépareront, pourquoi il perdra deux doigts dans un accident, pourquoi Amy l’aimera dans une vie et pas dans une autre, pourquoi il sera hétérosexuel dans une de ses vies possibles puis bisexuel dans une autre.
Les possibilités sont nombreuses et Auster s’en amuse beaucoup. C’est peut-être le meilleur du roman, avec les parties sur les différentes relations du jeune Archie avec son père (autre thématique chère à l’auteur).
Le lecteur peut aussi s’amuser du texte d’Auster. Alors bien sûr 4 3 2 1 est très romanesque et si c’est cela que vous cherchez, vous devriez y trouver votre compte.
De mon côté, il me faut couper la poire en deux. J’ai aimé et j’ai à la fois été déçu.
Oui le côté inventif m’a saisi. Oui le découpage des chapitres, où l’on laissait un Archie pendant trois longs chapitres avant de le retrouver, amène quelque chose (même si j’ai eu parfois le sentiment de me retrouver dans un Game Of Thrones new-yorkais ou dans un Livre Dont Vous Etes le Héros de mon enfance).
[mks_pullquote align= »right » width= »300″ size= »18″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#71888D »] « Auster tente un roman politique (pas seulement) mais n’arrive pas, selon moi, à y intéresser le lecteur. » [/mks_pullquote]
D’un autre côté, les longues, très longues pages sur la politique américaine m’ont laissé de marbre alors qu’elles m’avaient passionné chez Richard Powers et son monumental Le temps où nous chantions.
Auster tente un roman politique (pas seulement) mais n’arrive pas, selon moi, à y intéresser le lecteur : son héros, Ferguson est politisé, mais trop peu. Il est trop égocentrique et s’il vit pleinement les choses, elles semblent glisser sur lui et ne pas vraiment l’atteindre. La petite amie d’un des quatre Ferguson, elle, est très politisée mais le récit de son engagement prend trop peu de place. Dommage.
De même, la mise en abyme que nous impose Auster à travers Ferguson et ses œuvres, m’a souvent excédé. Il s’agit sûrement d’un exercice de style pour l’écrivain. Écrire comme s’il avait 20 ans à nouveau et se mettre à la place d’Archie Ferguson, pour écrire comme lui. Mais cela fonctionne mal.
Quant à la double mise en abyme de la fin du roman, elle me semble un peu facile, un tour de passe-passe qui permet à Auster de se retourner et de terminer 4 3 2 1 sur une note explicative. Était-elle nécessaire ?
Au final, ce nouveau roman de Paul Auster donne à lire de bons passages et d’autres vraiment moins bons pour ne pas dire plus.
Sorte d’autobiographie déguisée tant Ferguson a des points communs avec Auster, 4 3 2 1 est une lecture fastidieuse qui, finalement, m’a plus donné envie de retourner aux vieilles œuvres austeriennes que de rester en compagnie de Ferguson !