[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]H[/mks_dropcap]achette… Même le plus petit lecteur a déjà entendu ce nom. Une des maisons d’édition les plus connues, des milliers d’ouvrages parus, les livres scolaires, universitaires, le fameux Livre de poche, les guides Bleus, le cauchemar des écoliers aussi avec les classiques prescrits qu’aujourd’hui encore ils achètent en librairie deux jours avant le moment où il doit être lu, pestant contre les libraires s’ils ne l’ont pas en stock.
Hachette c’est aussi de la littérature contemporaine, des livres de cuisine, de bien-être, de jardin, des dictionnaires, des essais, de la jeunesse…Bref des livres des livres des livres !
Mais pourquoi Hachette ?
Et bien pour Louis Hachette, tout simplement ! Le 5 mai ce cher monsieur aurait eu…bah 220 ans puisqu’il est né en 1800. Ça vous en bouche un coin hein !? La maison d’édition – ou plutôt le groupe maintenant tellement il s’est développé – est bien plus jeune, elle n’a que 194 ans.
Alors que s’est-il passé dans la tête de ce jeune homme de 26 ans pour arriver à créer ce qui deviendra une des plus grosses machines de guerre du monde du livre ?
Louis Christophe François Hachette est né le 5 mai 1800 à Rethel (Ardennes).
Parisien de troisième génération : son grand-père fut le premier à partir à la capitale en tant que valet de chambre de l’archevêque de Paris, son père naquit à Paris-même mais retourna à Bertoncourt – village proche de Rethel et fief des Hachette – par souci de retour aux racines paysannes ; il intégrera le Lycée Louis le Grand à Paris en 1809.
Ici les sources historiques varient : l’une pose sa maman en mère-courage qui emmènera ses enfants à Paris, un mari imprudent lui ayant fait perdre espoir d’une vie convenable dans la cité familiale (dixit Augustin Lesieur, ancien co-disciple de lycée de Louis Hachette), l’autre, plus officieuse mais reprise cependant dans la biographie de Jean-Yves Mollier, évoque le fait que son père, Jean III Hachette, se rendit à Paris en 1807 pour valider un diplôme en vue de reprendre une charge notariale sur Rethel et qu’à l’issue de l’année d’étude, sa femme aurait décidé de ne pas repartir avec lui pour donner plus de chances d’avenir à ses enfants.
Dans tous les cas – après l’intégration du Collège du Plessis dans le Lycée Impérial, où Louis faisait ses classes – c’est grâce à sa maman, qui trouva un poste de lingère à Louis Le Grand, et au soutien de la famille Lesieur, car il n’avait pas de bourse, que le jeune Hachette pu faire ses études dans ce lycée réputé et y fréquenter le beau monde (entre autres Emile Littré) se faisant ainsi une place et un réseau fidèle dans un milieu intellectuel privilégié, au sein duquel il excellera.
Second de sa promo il intègre L’Ecole Normale Supérieure en 1819 (à l’époque connue sous le nom de Pensionnat Normal). Promis à une carrière de professeur émérite, le contexte politique de l’époque, la Restauration, lui coupe l’herbe sous le pied avec la fermeture de l’établissement en 1822.
Louis Hachette change alors son fusil d’épaule et s’inscrit en droit dans le but de décrocher un diplôme d’avocat. Pour financer ses études et mettre un toit sur sa tête, Il travaille en parallèle comme précepteur des enfants d’un des plus grands notaires parisien, Pierre Fourcault de Pavant. Cet homme aura un rôle primordial dans l’évolution professionnelle et intellectuelle de Louis : c’est en effet grâce à lui qu’il va obtenir un diplôme de Libraire-éditeur en 1826.
Que ce soit à l’École Normale Supérieure ou au cours de ces années où il fréquente les bancs de la fac de droit, Louis Hachette n’aura qu’une idée en tête : celle que seul le livre combiné à l’instruction pourra faire changer les mentalités et aider à l’amélioration de la société dans un concept de libre-pensée indispensable à l’évolution d’un avenir commun. C’est dans cet esprit libéral qu’il ouvrira sa première librairie scolaire et universitaire à Paris en 1826, plaçant les premières pierres de ce qui deviendra un véritable empire de l’édition.
La fin de l’Ancien Régime n’offrait donc que ce que l’on qualifiait de librairie classique, à savoir des ouvrages destinés à l’enseignement secondaire et le primaire, qui dépendait des mêmes établissements.
C’est donc dans ce contexte inégal et où il y avait tout à faire que Louis Hachette posa ses bagages de libraire-éditeur universitaire et scolaire.
Mais c’est une chose que d’avoir des idées, encore fallait-il se constituer un fond et surtout avoir un catalogue qui allait pouvoir se régénérer au fil du temps afin de pouvoir proposer des ouvrages actualisés et vendables. Avoir les droits pour imprimer et distribuer n’était pas une mince affaire au début dans les années 1830.
Lorsque Louis Hachette devint libraire-éditeur en 1826 il lui fallait créer un brevet, le nombre d’exploitants de ce qui touchait à la culture étant contrôlé, tant par le fond que la forme par les autorités. Le 17 août de cette même année, Louis racheta à Jacques Brédif, libraire-éditeur breveté deux ans auparavant, son diplôme officiel ainsi que tous les ouvrages de fonds et d’assortiment qu’il possédait. Il obtint ainsi 4 propriétés dans le domaine scolaire et 1 dans le domaine littérature (qui ne lui servirait pas avant bien des années). Il s’installa alors rue du Battoir-Saint-André, dans la petite boutique de Brétif.
Entre les frais d’installation et le stock pauvre et assez désuet en matière de volumes, Louis Hachette avait sacrément de preuves à faire en tant que débutant ainsi que financièrement parlant s’il souhaitait faire vivre son nouveau commerce.
Intelligent et plein de ressources, il se rendit rapidement compte que les lycéens qui passaient des concours étaient friands et demandeurs des sujets proposés les années précédentes. Libres de toute propriété intellectuelle, d’une exploitation donc gratuite, il se lança dans les premières annales dont nous connaissons tous la forme, en ayant chacun de nous fait usage lors de notre scolarité ou de celle de nos enfants. Cependant il n’était pas le seul éditeur à avoir réalisé ce potentiel, mais c’était sans compter l’importance que pouvait avoir et l’emplacement de la librairie (quartier latin, au cœur des universités, au 12 rue Sarrazin où il s’installa en fin d’année 1826) et celui de son parcours (Normal Sup) qui précédait le titre de Librairie Classique Louis Hachette sur chacun de ses ouvrages.
Bien que nouveau dans le métier, Hachette comprit rapidement qu’il ne pourrait rien faire sans ses solides appuis relationnels et sans investir plus qu’il n’avait. Il ne pouvait se permettre de faux pas. Faisant des prêts judicieux, il chercha aussi un moyen de sortir du mot de la concurrence en apportant des pierres supplémentaires à l’édifice de l’instruction, essayant de mettre à l’esprit des décideurs, à savoir dans ce cas précis ceux qui définissaient et choisissaient les programmes et les fournisseurs : les proviseurs et autres intervenants de l’éducation nationale. Leur proposant de participer, moyennant finance bien sûr, à la publication d’ouvrages scolaires en sollicitant leur contribution écrite, il prit une longueur d’avance. Il commença cela par les dictionnaires, d’abord grec-français puis plus généraliste, il associa son nom aux sphères les plus élitistes et devint le libraire-éditeur de référence en ce domaine, un label-qualité.
En juillet 1827 Hachette se retrouve avec une arme décisive lancée par ses amis normaliens : la revue Lycée. Un journal non politique fondé par une quarantaine d’enseignants de collèges parisiens. L’essence de ce journal était de combler un vide : celui de pouvoir être informé des dernières parutions et des évolutions des sciences de l’éducation. Le catalogue Hachette se retrouve donc perpétuellement échangé entre les mains des prescripteurs et, cerise sur le gâteau, il se retrouve face à un vivier de nouveaux auteurs pour étoffer son offre. Le journal s’étoffe peu à peu en proposant, grâce aux idées de Hachette, des extraits, des textes inédits, pouvant même proposer des commandes à la demande. Ce journal deviendra aussi un outil qui permettra aux membres de l’Education et intervenants culturels de faire passer des idées, d’être force de propositions, de porter leur voix et de faire ainsi évoluer tout le système.
En 1830, Hachette décide de recentrer sa revue sur l’élémentaire. Le secondaire et le classique ayant eu sa voix et les préoccupations de tous dans le monde de l’éducation, il prévient ses abonnés qu’il va donner sa voix à ce qui, selon son avis et expérience, mérite aujourd’hui d’être mis en lumière, les lacunes éducationnelles des prémices de l’éducation : les bases de l’enseignement. Ce sera un tournant décisif : Le passage d’une librairie classique à une librairie classique et élémentaire.
En remettant les choses dans le contexte, en étudiant les sondages à la fin de la Restauration, on se rend compte qu’avant 1833 il n’existait aucun ouvrage destiné à l’enseignement élémentaire, que ce soit pour apprendre l’alphabet ou tout autre chose. Et quand c’était le cas les livres étaient si disparates car rédigés en local que les inspecteurs académiques en étaient presque horrifiés. Les seuls ouvrages didactiques dignes de ce nom, n’étaient destinés qu’aux écoles royales ou municipales. Les deux tiers des écoles du pays ne pouvaient donc pas apporter un enseignement homogène et égal aux enfants scolarisés.
Jalousé par ses confrères qui lui reprochent son monopole, son succès sera souvent mis sur le compte de ses liens avec François Guizot : la commande passée en 1833 par le Ministre de l’Instruction Publique, suite aux nouvelles réformes scolaires du premier degré (primaire). Cependant ce n’est pas Guizot qui a fait rédiger ces ouvrages, effectivement en majorité commercialisés par Hachette, mais son prédécesseur…
Il s’attaquera ensuite au pré-élémentaire, l’équivalent de notre maternelle voire même avant (0-2 ans puis jusqu’à l’âge de rentrer en primaire).
Il gagne la plus haute distinction des autorités dans son domaine, à savoir le titre de Libraire de l’Université Royale de France en 1836.
En 1851 a lieu l’exposition universelle à Londres. Louis Hachette, jusque-là, n’a guère quitté son domaine de prédilection, le livre scolaire et universitaire, hormis quelques titres de littérature destinés à la remise de prix.
En 1852 il fait le siège auprès des compagnies de chemin de fer afin d’obtenir le marché des bibliothèques de gare (anciens relais H). Il décide d’y placer ce qu’il ne publiait pas jusque là : de la littérature, des livres pour enfants, des guides touristiques, destinés aux voyageurs.
Ce tournant marquera une violation des accords tacites de sa profession (à savoir rester dans le créneau de départ) et lui attirera les foudres de ses confrères. Montant au créneau, ses concurrents arguant la libre concurrence réussirent à obtenir que ces bibliothèques ne soient pas considérées comme des librairies et de fait qu’elles soient considérées comme un dépôt et que le stock soit ainsi limité et contrôlé (ce qui facilitera donc aussi pour les autorités le contrôle de la libre pensée).
C’est avec cette expérience que Louis Hachette comprendra que la distribution allait devenir la pièce maîtresse du système de librairie : pouvoir répondre à la demande d’un public plus large.
En 1855, inspiré par les journaux anglais, il lance une revue populaire, non politique, à destination du grand public : Le Journal, où se mêleront textes humoristiques et articles de vie quotidienne sur différentes thématiques. C’est l’arrivée du premier magazine en France.
Entre 1848 et 1857, Louis se met petit à petit en retrait de la librairie et laisse place à son fils aîné Alfred, qui décédera malheureusement assez rapidement et à ses gendres. Il confiera la librairie universitaire et scolaire à Louis Bréton et la littérature et ouvrages pratiques à Emile Templier.
Investissant une bonne partie de sa fortune dans l’immobilier parisien et provincial, il rachète l’immeuble rue Sarrazin et installe à l’étage un pôle réception et expédition. La petite librairie classique du 12 devient l’une des plus grosse librairie généraliste du Quartier Latin (elle déménagera au 79 bd Saint Germain après 1914 – photo ci-dessous).
Louis Hachette s’éteint en 1864, deux ans après sa mère qui l’aura accompagné tout au long de la construction de sa vie. L’empire Hachette qu’il aura légué à ses descendants et associés ne cessera de s’agrandir mais ça, c’est une autre histoire !
Le professeur frustré aura finalement trouvé le moyen de participer à un point impressionnant à l’évolution d’une société volontairement tenue à l’écart par les différents régimes. A force d’intelligence, d’huile de coude, de stratégie et de violent désir de changer les choses en se concentrant sur l’instruction puis sur tout simplement les souhaits et la demande grandissante de la population à accéder à une libre-pensée mais aussi un loisir empli de passion et de vœu d’apprentissage, il est parvenu à se faire non seulement un nom qui perdurera ad vitam aeternam mais surtout à développer un mode de pensée dont il a fait son cheval de bataille: celui de la liberté et de l’évasion par la lecture et les connaissances.