Que notre joie demeure… Ce titre vient d’un moment du premier chapitre où une amie de l’héroïne, Celine, fête son anniversaire en grandes pompes. Cette amie se met à chanter en improvisant sur cette phrase : que notre joie demeure, que ma joie demeure. Scène à la fois loufoque – tant le luxe est décrit avec précision – et à la fois presque belle et pure. Au lecteur de se faire son idée. Kevin Lambert, l’auteur, ne juge pas me semble-t-il. Il nous emmène avec lui dans ce monde où les riches font la loi tout en pensant faire le bien.
On chicane beaucoup dans Que notre joie demeure. On se réunit, on mange, on se trahit éventuellement. On parle de Proust et d’architecture. Dit comme ça, il a l’air bien ennuyeux ce roman. Pourtant il fonctionne de la première à la dernière ligne. On est happé par les longues descriptions de Kevin Lambert, par les dialogues ciselés et par sa science de l’intrigue.
Celine Wachowski qui est pourtant partie de rien est arrivée tout en haut. Elle brasse des milliards. Elle a des contrats dans la monde entier. C’est une grande architecte et une magnifique femme d’affaires. Pourtant son monde va s’effondrer. La dépression venir et frapper fort. Et Kevin Lambert observe tout cela de haut. Rendant son héroïne -ainsi que ceux et celles qui l’entourent- parfois sympathique et d’autres fois absolument détestable. Sans jamais être dans le jugement. Il décrit. Il la défend même de temps en temps notamment parce qu’elle même a à cœur de s’occuper de catégories opprimées : les gais, les femmes.
« Tous et toutes la haïssent, la craignent et la haïssent, mais toutes et tous s’arracheraient le coeur à mains nues pour le lui donner en sacrifice, le poser sur un autel à sa gloire, elle est bien davantage que ce visage, ce corps, ces os, c’est le sens de nos existences qui aurait pris chair, si on avait le choix entre Céline et la vie, on choisirait Céline pour laisser nos vies s’échouer dans le désespoir et la douleur qui sont leurs plus fidèles constantes, leurs traits les plus vifs et les duels qui nous apparaîtront à l’heure de notre mort, nous les âmes sans valeur, les victimes de la pire tragédie, celle de n’existe qu’une fois, une seule; Céline est de la trempe des éternelles …»
─ Kevin Lambert, Que notre joie demeure
C’est un grand roman que nous propose Kevin Lambert. Totalement réussi. Dans ses très longues phrases comme dans ses descriptions de monuments architecturaux. Lambert nous parle aussi politique à travers son héroïne et le thème de la gentrification beaucoup abordé ici et source de conflits importants. C’est passionnant et tellement bien écrit.
Querelle son précédent roman était déjà une très belle œuvre. Ici, me semble-t-il, Kevin Lambert passe un cap, devient encore plus grand. À nous, lecteurs, de nous accaparer urgemment cet auteur !