[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]F[/mks_dropcap]ils d’un producteur de cinéma romain et d’une photographe de mode brésilienne, Dario Argento grandit dans un univers artistique. Sa cinéphilie se développera en France dans les travées de la Cinémathèque puis ensuite en tant que critique pour des journaux italiens. Scénariste à la fin des années 60, il rédige notamment le script, avec Bernardo Bertolucci, d’Il était une fois dans l’ouest de Sergio Leone. C’est en 1969 qu’il passera derrière la caméra, avec l’Oiseau au plumage du cristal, produit par son père, Salvatore, qui financera ensuite tous ses films jusqu’à sa mort en 1987. Ce premier essai connait un immense succès et affirme le style du réalisateur, qu’il conserve, à quelques variations près, tout au long de sa carrière : le giallo.
À l’origine un terme pour définir les romans policiers italiens à la couverture jaune, semblable au whodunit américain, le giallo est d’abord adapté pour l’écran par Mario Bava avec des films comme la Fille qui en savait trop ou Six femmes pour l’assassin mais accède à une reconnaissance internationale, tout du moins chez les amateurs du genre, avec Argento. Il s’agit de thrillers donc, mais qui sont aussi caractérisés par une mise en scène assez enlevée, une partition sonore singulière et un certain sadisme typiquement latin en ce qui concerne les mises à mort des victimes de l’assassin. Chez Argento le meurtrier est souvent représenté via une caméra subjective et les mains du tueur qui enserrent la gorge des victimes sont en réalité celles du cinéaste même. Dans la veine de son premier métrage, deux autres suivent : Le Chat à neuf queues (1971) et Quatre mouches de velours gris (1972), d’aucuns qualifient cette série de trilogie animalière. En somme des produits de série B, qui puisent assez peu dans l’expressionnisme des œuvres de Bava mais davantage dans une fibre hitchcockienne avec son lot de plot-twist. Le meurtrier n’étant connu du spectateur qu’à la toute fin du film qui se conclut en général sur un affrontement.
En 1975, le romain est de retour, après une incursion ratée à la télévision (Cinq Jours à Milan), avec les Frissons de l’angoisse, sans doute son giallo le plus réussi et abouti. Dans le rôle-titre, le David Hemmings de Blow up, Argento étant un grand admirateur d’Antonioni. En effet le récit reprend cette lenteur caractéristique du cinéma antonionien et le même sens de la mise en scène. Cette œuvre marque aussi sa première collaboration avec le fabuleux groupe de rock progressif italien Goblin qui compose la bande-originale.
En 1977 Argento délaisse le giallo pour le macabre surnaturel et réalise son œuvre maîtresse: Suspiria. La trame volontiers incohérente nous plonge dans une sorte de rêve éveillé au sein d’une académie de danse allemande sous la coupe d’une sorcière ancestrale. Conçu comme véritable labyrinthe onirique, Suspiria est un projet quasi-expérimental. Son esthétique baroque à souhait, faite de jeux de couleurs criardes, et le travail sonore effectué par Goblin achève d’en faire son chef d’œuvre. L’année suivante, il scénarise le Zombi de Romero et en 1980 sort la suite spirituelle de Suspiria, Inferno. L’intrigue prend lieu dans un appartement new-yorkais à l’architecture gothique et en proie également à une sorcière démoniaque. Argento avait prévu une trilogie, dite des Trois Mères, autour de ses trois sorcières vivants dans des villes modernes. Le dernier opus ne paraîtra qu’en 2007.
Après Inferno, Argento délaisse ses expérimentations picturales pour revenir aux fondamentaux du giallo avec Ténèbres en 1982. Polar méta dans lequel le cinéaste joue sur les codes et motifs de son propre cinéma. Sur ce tournage parmi ces assistants-réalisateurs figurent les héritiers Michele Soavi et Lamberto Bava qui écrieront les dernières belles heures du cinéma de genre italien. Phenomena en 1985 est quant à lui à cheval entre le surnaturel et le thriller. Jennifer Connely et Donald Pleasance sont au casting mais le film, trop conventionnel, divise les fans qui reproche aussi le choix d’avoir opté pour une piste musicale teintée hard-rock assez discutable.
Parmi les exégètes du maître de l’horreur italienne Phenomena marque le début de sa déchéance, même si d’autres placent le curseur bien plus tard. Tel Terreur à l’Opéra en 1987, giallo qui joue une nouvelle fois la mise en abîme et dont la mise en scène vertigineuse au cinémascope vaut le détour. D’autres estiment que Trauma en 1993 et le Syndrome de Stendhal en 1996, le premier film italien avec des effets numériques, représentent ces dernières créations importantes.
Symboliquement le déclin de Dario Argento à la fin des années 80 correspond aussi à la disparition du cinéma de genre italien alors qu’au même moment la cinéphilie mondiale le redécouvre après l’avoir tant méprisé. À noter parmi ses dernières réalisations, la présence de sa fille Asia Argento. Celle-ci devenue actrice et réalisatrice se démarque avec un style complètement différent de celui de son père. Son dernier film l’Incomprise en 2014, plus au moins autobiographique, raconte les déboires d’une adolescente, et sur lequel l’ombre de son père semble planer.
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