[dropcap]B[/dropcap]rittany Kaiser a vécu de l’intérieur quelques-uns des ressacs électoraux les plus retentissants de ces cinq dernières années. Elle était aux premières loges, en sa qualité de collaboratrice auprès de Cambridge Analytica, lorsque le vote en faveur du Brexit puis l’élection de Donald Trump eurent lieu.
Cette période faste du populisme, à l’ère dite de la post-vérité, doit beaucoup à la société qui l’a employée à partir de 2014. L’Affaire Cambridge Analytica nous introduit ainsi au cœur d’un système complexe, souvent frauduleux, exploitant des données recueillies de manière controversée – ou illégale – afin d’influencer plusieurs scrutins démocratiques.
Notre démocratie est menacéeBrittany Kaiser sur France 24
Sur ses motivations, Brittany Kaiser n’y va pas par quatre chemins. Elle s’est laissé séduire par le charisme d’Alexander Nix, le patron de Cambridge Analytica, par l’exploitation novatrice des données, et surtout par la promesse d’un salaire confortable dont elle avait cruellement besoin, notamment pour épauler ses parents, passablement désargentés.
Idéologiquement, tout poussait pourtant cette ancienne militante démocrate, proche de Barack Obama, à refuser d’intégrer SCL Group, la maison-mère de CA : faire campagne aux côtés de Ted Cruz, des Brexiters, de Steve Bannon, de Donald Trump, du PRI mexicain ou de richissimes et irascibles Nigérians n’avait à ses yeux rien de particulièrement attirant. Si elle confesse une certaine fascination pour le pouvoir, elle rend aussi compte de la manière dont son travail pour Cambridge Analytica a parasité ses relations sociales et nui à son image auprès de sa propre famille politique.
Le siphonnage et l’exploitation des données, comment ça marche ?
La biographie personnelle de l’autrice a toutefois un intérêt limité. Ce qui retiendra l’attention du lecteur relève plutôt des dispositifs mis en place par Cambridge Analytica pour influencer le résultat des élections auxquelles la firme prit part.
CA employait des psychologues qui concevaient des sondages politiques utilisés pour classer les gens en différentes catégories. En usant de la segmentation psychographique, la société d’Alexander Nix parvenait à comprendre et décrypter des personnalités complexes et, partant, à inventer de nouvelles façons de les influencer. Des algorithmes étaient capables de prédire avec précision la réaction des gens aux stimuli conçus pour eux.
Les informations politiques, croisées aux données issues de Facebook, permettaient à Cambridge Analytica d’obtenir pas moins de 5000 points de données individuelles sur chaque utilisateur. Et concrètement, quand une personne voulait jouer à un jeu comme Candy Crush et qu’elle acceptait machinalement les conditions d’utilisation de cette application de tiers, elle cédait automatiquement et gratuitement ses données, ainsi que celles de tous ses amis, au développeur de l’application et à tous ceux avec qui ce dernier voudrait partager l’information.
Finalement, par le biais qu’enquêtes journalistiques ou d’auditions devant des parlements, le scandale Cambridge Analytica fut peu à peu éventé. C’est l’essence de la démocratie qui fut alors réinterrogée. Comme le révèle par le menu Brittany Kaiser, la firme d’Alexander Nix a été sulfureuse du début à la fin (?) de son existence : des activités en zone grise, des falsifications de signatures, des conditions d’obtention de marchés publics non respectées, de la corruption, des milliardaires (les Mercer) et des extrémistes (Steve Bannon) au Conseil d’administration, de la publicité négative et mensongère en pagaille, un marché électoral segmenté de telle sorte qu’il est possible de remporter une élection en se concentrant sur une partie infime de l’électorat… Autant d’éléments qui irriguent de bout en bout cet essai éclairant.
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L’Affaire Cambridge Analytica de Brittany Kaiser
Traduit de l’anglais (américain) par Dominique Loriot-Laville
HarperCollins France, 22 janvier 2020
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Image bandeau : Geralt / Pixabay