[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#3d0417″]J[/mks_dropcap]e l’avais promis lors de ma dernière chronique : ce sera court, bref, rapide et lapidaire. Le nouvel album d’Akira Rabelais est une merveille, le genre de disque à foutre le bordel et bouleverser un top préétabli depuis au moins six mois.
Voilà.
Mais comment un Franco-Oriental pourrait-il foutre le bordel au mois de décembre ? Déjà, commençons par faire les présentations. Akira Rabelais est autant asiatique ou Français que moi un dauphin. Ce Texan, né en 1966, est avant tout un chercheur/créateur/bidouilleur de génie. Il créé ses propres instruments très tôt puis étudie la musique, se barde de diplômes et enfin conçoit des logiciels comme d’autres font des poèmes. Son logiciel le plus fameux reste l’Argeïphontes Lyre qui permet des manipulations sonores et visuelles à l’aide de morphologies et bruits déformés. Ahhhhh mais oui… mais c’est bien sûr. Dis comme ça on voit tout de suite de quoi il retourne. Pour mieux appréhender et comprendre la finalité du logiciel, écoutez son Spellewauerynsherde, magnifique travail conceptuel sur les chœurs islandais traditionnels.
Parce que oui, c’est vrai, j’ai omis de vous dire l’essentiel : Akira Rabelais est aussi musicien. De génie. Mais ne tient pas à ce que tout le monde le sache. Pour ça, il officie dans l’Ambient, les Field Recordings et surtout la Tape Music (en gros mélange de musique concrète, d’électroacoustique et de collages sonores), styles on ne peut plus primesautiers et populaires comme chacun sait. Pour en rajouter une couche, niveau popularité, l’homme est aussi proche de David Sylvian (pour qui il remixe Blemish), Harold Budd (avec qui il compose As Long As I Can Hold My Breath sur l’album Avalon), Stephan Mathieu (avec qui il collaborera également).
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#3d0417″]A[/mks_dropcap]près pas mal de merveilles (Benediction, Draw ; Caduceus et surtout Spellewauerynsherde ), est sorti, ces derniers jours, The Little Glass, son nouvel album. Double.
Premier album en cinq ans, The Little Glass se veut l’opposé de Caduceus. Là où son prédécesseur était charbonneux, aux sonorités dures, The Little Glass laisse entrer la lumière, éblouit. Le premier disque voit Rabelais collaborer avec Harold Budd au piano. Quatre morceaux le composent avec pour pièce centrale un second morceau de quarante minutes. Après une courte introduction, rappelant certains morceaux du Aphex Twin de Druqks, on entre dans le vif du sujet, à savoir l’appréhension, la maîtrise du silence. Dans un premier temps, Rabelais laisse le champs libre à Budd qui effleure ses touches, délicatement ; les notes s’égrainent, flottent, en apesanteur, poignantes, Rabelais se contentant juste de les étirer dans un silence distordu. Silence qui, plus loin, impose son point de vue, force le piano à se taire, laisse la place aux subtils arrangements, presque imperceptibles à l’oreille, de Rabelais. S’ensuit un morceau d’une abstraction fascinante, avançant par nappes, étirant les silences jusqu’à leur extrême limite. La normalité reprend son cours sur les deux morceaux suivants dans lesquels Rabelais se fait de plus en plus discret. L’ombre d’Arvo Pärt ou encore Morton Feldman se fait sentir sur le troisième morceau, invitation au silence sans l’aspect expérimental du second, dans une veine plus apaisée, mélodique. Apaisement qui se prolongera sur le dernier morceau joué à quatre mains, délicate improvisation sur un canevas répété à l’envi, doux et mélodique.
Le second disque voit Rabelais revenir à ce qu’il maîtrise le mieux : l’Ambient/Tape. V est donc une longue plage de quasiment 70 mns dans laquelle Rabelais passe au prisme de son logiciel les morceaux du premier disque. Effet saisissant, comme vu au travers d’un miroir déformant, le morceau avance comme les Disintegration Loops de William Basinski, évoque les ressacs avec ses boucles infinies, douces. Contrairement au disque précédent, le silence en vient à ne plus exister, bouffé par les boucles, le travail de Rabelais ; plus V avance, plus il évoque le final d’I Am Sitting In A Room d’Alvin Lucier, une musique qui, à force d’abstraction, en devient belle, fascinante et mélodieuse par accident. C’est clairement déroutant, difficile à appréhender mais il y a tant de beautés dans cet espace qu’offre Rabelais qu’on ne peut être que subjugué.
Ou préférer laisser tomber au bout de dix minutes parce que, franchement, deux heures pendant lesquelles il ne se passe rien, c’est vraiment trop chiant.
Sorti le 2 novembre dernier en format digital disponible sur le lien Bandcamp ci-dessous et en format cd depuis le 17 décembre dernier exclusivement chez Boomkat.