Alain Bibal, photographe et collaborateur régulier d’Addict-Culture, exposera à partir du premier février une sélection de ses photos rock à la galerie Stardust au Pré Saint-Gervais. Un des derniers à utiliser de l’argentique dans le milieu, il s’est imposé ces dernières années comme une figure incontournable. Très présent sur les réseaux sociaux, ses photos sont, à leur propre demande, régulièrement utilisées par les artistes qu’il rencontre. L’homme au Leica revient pour nous sur le parcours qui l’a mené à sa première exposition. La véritable indépendance existe encore cette interview en est la preuve.
A quand remontent tes premiers souvenirs de prise de photos ?
Je devais avoir 18 ans quand j’ai récupéré le vieil appareil photo argentique de mon père. À l’époque, je ne faisais que des photos de voyages. On me l’a d’ailleurs volé dans un aéroport quand je rentrais du Canada. C’était en 1982.
Quand as-tu ressenti l’envie de te mettre plus sérieusement à la photographie ?
Dix ans plus tard en 1992. J’avais quitté mon job de directeur artistique dans la pub. Je voulais garder un fil vert avec mes six années passées en école d’art. Je me suis offert un Nikon F3, à l’époque utilisé par des reporters professionnels. C’était l’équivalent japonais du Leica. J’évoluais dans l’ombre du bon photographe du dimanche. Je prenais principalement des photos de paysages, des portraits de ma compagne, ou bien des amis qui jouaient dans des groupes.
Tu n’as pourtant pas cherché à produire l’esthétique du monde de la pub.
Non, en étant plongé professionnellement dans ce milieu, j’ai vu tout ce que je ne voulais pas reproduire. L’utilisation de matériel à outrance pour épater la galerie. Des commandes auxquelles tu dois te plier sans y laisser ta touche personnelle. Des photographes traités comme des moins que rien.
Quelles sont tes références en termes de photographie ?
Les premières références se sont imposées quand j’ai commencé à me constituer une bibliothèque. Willy Ronnis, Robert Doisneau, Edouard Boubat. Je pensais me débrouiller, ça m’a remis les pieds sur terre. Les plus grands ont shooté au format carré avec leur Rolleiflex. On est loin du monde des photographes de rock. Depuis je prends des photos régulièrement avec un appareil de cette gamme.
Tu es pourtant connu pour te trimballer partout avec ton Leica.
Ça correspond au moment où je me suis spécialisé dans la musique. Je sortais d’une période personnelle difficile. Je me suis dit que je n’avais plus rien à perdre. Je m’étais pris tout le raz-de-marée du numérique en pleine face. Je ne m’y identifiais pas. Il fallait, avec d’autres, réinfecter le système avec de l’analogique. C’est pour moi le type de photo qui fait la différence. J’ai économisé pour m’acheter un Leica, la rolls en la matière. Je me suis servi d’Instagram pour promouvoir mon travail. Puisque tout le monde recherche la gratuité, autant en offrir un maximum et se faire connaître. Sans les réseaux sociaux je n’existerais pas. Aujourd’hui même si ton travail est publié dans des magazines, c’est la galère pour arriver à joindre les deux bouts.
Quel a été le premier artiste rock que tu as photographié ?
Mon épouse est fan des Arctic Monkeys. Ils passaient en concert à Londres à Finsbury Park et je me suis dit que ce serait sympa d’embarquer mon Leica pour prendre quelques photos. Je suis parti avec juste deux pellicules sous le coude. J’ai pris des photos de fans dans le public. Des gens que je trouvais atypiques et sympathiques. Il y avait de quoi faire avec 45000 personnes venues des quatre coins de l’Angleterre pour assister au concert. Pendant les Arctic Monkeys, j’étais dans l’obscurité à 250 m de la scène. J’ai pris une photo du chanteur, Alex Turner lorsqu’il apparaissait sur un écran géant sur le côté de la scène. J’ai fait développer les photos une fois rentré sur Paris. Quand j’ai découvert le résultat, j’ai immédiatement compris que je tenais quelque chose de particulier avec cet appareil. Cette photo d’Alex Turner a longtemps figuré sur ma carte de visite.
Tu t’es donc mis à la photo rock à un âge où beaucoup de photographes spécialisés décrochent.
Je vois beaucoup de professionnels usés autour de moi. Et je comprends pourquoi. L’investissement n’est pas des moindres. J’ai parfois l’impression de disputer un championnat. Il faut tenir le rythme et se battre pour arriver à photographier ce qui te plait. J’ai horreur de la routine. Je cherche à me renouveler en permanence. Ça demande de l’énergie.
Tu as réussi à créer des liens avec certains artistes comme Angel Olsen, les Libertines ou les Dandy Warhols avec qui tu as réalisé plusieurs sessions, souvent en étant le seul photographe autorisé à accéder à leurs loges pour les capturer dans l’intimité.
C’est ce qui fait toute la différence. Tu captures des moments particuliers avec des émotions que tu n’arriverais pas à saisir quand tu es dans le pit pour prendre des photos de concert. Je n’aurais jamais réussi à être exposé en ne prenant que des photos de concert. Je l’ai très vite compris. Je préfère travailler en mode reportage. Ça crée une connivence. Il y a quelques exceptions. Avec un groupe comme Thee Oh Sees, tout se passe sur scène. Leurs concerts sont tellement délirants que les clichés pris sont souvent incroyables.
Comment arrives-tu à décrocher autant de sessions avec les artistes ?
Je contacte souvent le management ou les artistes en direct. J’ai fait de belles rencontres dans le milieu qui m’ont amené certains artistes sur un plateau lors de journées de promotions. C’est dans ce cadre que j’ai commencé à travailler avec Angel Olsen. Je lui trouvais quelque chose de spécial. On s’est tout de suite bien entendus. Le plus drôle étant que l’on ne parle jamais de musique entre nous.
Avais-tu pour ambition de pouvoir exposer un jour tes tirages rock ?
Pas du tout. J’avais plutôt l’ambition de ne pas exposer. Les mois passant, je me suis dit que si je devais le faire à nouveau un jour ce serait uniquement en galerie. Je ne voulais plus me retrouver avec deux expositions par an dans la mairie de mon arrondissement ou dans des restaurants. Personne ne prête attention à ton travail. Il n’y a qu’en galerie que les gens viennent spécifiquement pour découvrir l’œuvre d’un photographe.
Comment s’est organisée cette exposition à la galerie Stardust ?
Alexandre, le gérant, proposait une exposition David Bowie en excroissance de celle de la Philharmonie. Il exposait des photos de Masayoshi Sukita. J’ai discuté un moment avec lui. Nous nous sommes découvert une passion commune pour The Clash. Tout est parti de là. Je lui ai montré mes premiers tirages. Il m’a proposé de repasser lui montrer mon travail quand j’aurai eu de véritables séries autour d’artistes. Plus tard, il a aimé mes photos des Dandy Warhols et des Libertines. Il m’en a pris une de chaque groupe pour les exposer. Le premier semestre 2017, j’ai refait des séances en Angleterre avec ces deux groupes. Elles étaient meilleures que les premières. Cette fois, il m’a proposé une véritable exposition.
Penses-tu que ta force vient du fait que tu sois complètement indépendant et que tu ne photographies que des groupes que tu aimes ?
Sans aucune hésitation, oui. Je n’ai pas envie d’être salarié d’un canard, de me faire lâcher et de ne plus exister. Je me suis construit mon propre réseau. J’en tire une certaine fierté car je ne dois rien à personne. C’est souvent un parcours du combattant, mais je gère tout moi même. De la recherche du contact qui va faire bouger les choses aux billets d’avion. C’est un avantage de maîtriser la chaîne et de comprendre les rouages. La liberté n’a pas de prix. Même si je la paie cher (rire).
Pourquoi travailles-tu principalement en noir et blanc ?
Parce que le rock est par définition quelque chose de dur, de puissant. Le noir et blanc souligne ces aspects. J’ai grandi avec la photo rock des années 60 et 70. Des gens comme Pennie Smith, Jim Marshall ou Baron Wolman. Je respecte aussi beaucoup des Français comme Renaud Monfourny ou Richard Bellia qui ne font que du noir et blanc. Je suis conscient que ce n’est pas ce qui attire le plus. Mon agence de presse ou les galeristes me le disent sans cesse, il faudrait que je produise plus de photos en couleur. Je viens de m’y mettre. J’ai été étonné par le résultat. Ça a quand même de la gueule !
Quel serait le groupe que tu rêverais de photographier ?
Les Rolling Stones pour une véritable séance. J’ai eu l’illusion de pouvoir les photographier. J’ai pris des photos d’un groupe américain, The Warbly Jets en novembre dernier. Leur manager est un gros débrouillard qui leur a décroché la première partie de Liam Gallagher pour sa tournée US. Bref, il connaissait un groupe qui ouvrait pour les Rolling Stones en Allemagne et il m’a proposé de l’accompagner sur une date à Düsseldorf. Il avait un accès backstage. Je voyais déjà la tête de Keith Richards sur un de mes tirages au Leica. Le Saint Graal. Malheureusement, j’ai senti le coup venir. Il me menait en bateau pour que je prenne ses amis en photo. Ce n’est pas très grave, j’ai eu la chance de photographier certaines de mes idoles d’adolescence. Des gens comme Paul Weller ou Suggs de Madness. C’est l’avantage d’allier travail et plaisir !
Alain Bibal expose à la galerie Stardust
37 rue de Stalingrad, 93310 Le Pré Saint-Gervais (Métro Hoche – Ligne 5) du 1er février au 3 mars 2018.