Tu dévoiles plusieurs palettes de voix sur Forced Witness. Cet album est pour moi celui de la révélation d’un grand chanteur. Comment es-tu venu au chant ?
Etais-tu chanteur avant de commencer à jouer d’un instrument ?
Alex : Gamin, vers mes huit ans j’avais un dictaphone. Je m’enregistrais souvent même si je trouvais le résultat frustrant. Je n’attendais qu’une chose : grandir pour enfin avoir une voix d’adulte. Je n’en pouvais plus de cette petite voix de chipmunk. Mes rêves de devenir chanteur sont tombés à l’eau. J’ai arrêté. Puis vers 15 ans je suis devenu fan de rock. Mes vieilles ambitions ont ressurgi. A nouveau une grosse déception. Ma voix était encore trop aiguë. Quelques années plus tard, je me suis mis à chanter régulièrement pour ma petite amie. Elle adorait ma voix. J’ai décidé de me lancer. J’ai beaucoup travaillé ma respiration, pris des cours réguliers. J’explore toutes les possibilités qui s’offrent à moi. Il n’y a pas de secret, le timbre que j’ai aujourd’hui est le fruit de longues années de travail.
Roy : Je trouve ta remarque pertinente. Je travaille avec Alex depuis des années, pourtant j’étais épaté par la qualité et l’évolution de son chant en écoutant la version finale de l’album.
Alex, tes paroles parlent de filles de joies, de strip-teaseuses, d’adolescentes sur internet . On sent clairement que c’est une critique sociale. Dans la vie de tous les jours, te décrirais-tu comme un féministe ?
Alex : A 100%. Je rêve d’un monde où les femmes seraient considérées de la même façon que les hommes. Je m’inspire de leur force au quotidien. Leur sens de la dérision me fait bien plus rire que les blagues lourdingues de mes amis masculins. De par mon éducation, j’ai toujours appris à ne pas prendre les femmes de haut. Ma mère est quelqu’un de très indépendante.
Roy : Je trouve les hommes qui se déclarent féministes souvent ridicules. Ils devraient supporter la cause féministe plutôt que de sortir des grandes théories. C’est en tout cas ce que j’essaie de faire régulièrement. Les hommes sont la source du problème. C’est aussi à eux de se battre pour établir l’égalité.
Es-tu conscient qu’avec du vocabulaire moins cru (pussy, faggot) tu aurais-pu t’ouvrir un plus large champ de diffusion de tes chansons, vendre plus d’albums ?
Alex : Non, car je tenais à la cohérence des histoires. J’attache une grande importance à chaque mot utilisé. Rien n’est laissé au hasard. Travailler en ayant la possibilité d’un passage radio ou télé à l’esprit est à mille lieues de nos convictions. Je préférerai changer de métier.
Alex, ton ancien travail de fonctionnaire traquant la corruption t’a inspiré le thème de l’album. Pourrais-tu nous en dire plus ?
Alex : Mon ancien job a inspiré l’album en partie. Tout le monde sait que l’on évolue dans un monde corrompu. Les personnes qui nous gouvernent ne sont pas des anges. Mais le concept de l’album va plus loin. J’y parle des hommes qui manquent de considération envers les femmes. De l’égoïsme ambiant qui pousse à la déraison. Nous sommes tous des témoins de ces actes. Avec Forced Witness j’ai voulu poser deux questions : “Devons nous juste constater cette noirceur ambiante ?” et “Que faudrait-il pour que nous tentions de casser cette dynamique ?”. J’ai tenté de décrire la réalité sans tabou et le plus honnêtement possible.
Même si tout est beaucoup plus soft, je n’ai pu m’empêcher de penser à American Psycho de Brett Easton Ellis ou bien une série comme Better Call Saul de Vince Gilligan. Ces deux œuvres te sont-elles familières ?
Alex : Les œuvres dont tu parles sont plus romancées et surréalistes que les chansons de notre album. Il y a peut-être plus de George Saunders, de Flannery O’Connor ou de Houellebecq. Ils décrivent une réalité grotesque qui me parle. N’essaie pas de me faire passer pour un psychopathe (rire).
Merci à Agnieszka Gerard