Bordeaux, dans l’après Seconde Guerre Mondiale, dans les années 50, guerre d’Algérie qui occupe les esprits, une ville qui referme doucement les cicatrices de l’occupation, des résistances et des résistants, les vrais et les faux, des flics pourris, de ceux qui sont tombés et de ceux toujours en place.
Dans ce sombre décor, un jeune homme, Daniel cherche un sens à sa vie et à sa tragédie. Ses parents déportés lui ont sauvé la vie en le confiant à des amis. Mais ses souffrances passées ne suffisent pas. L’Algérie et une autre guerre se présente devant lui.
Darlac, un flic, un faux résistant, un homme qui a su tirer profit de l’occupation, aidant les nazis, faisant de l’argent, trahissant les uns, les autres, ses amis d’un temps, ses ennemis. Darlac, toujours en place, mène la ville d’un main de fer. Il a ses failles lui aussi et ses souffrances mais il sait les étouffer.
Un autre homme enfin. Revenu de tout et du pire pour exercer sa vengeance sur la ville et sur les hommes.
Hervé Le Corre offre un roman magnifiquement sombre et violent.
On pense à L’armée des ombres quand, dès les premières lignes, on assiste à un scène de torture impliquant des policiers, à Primo Levi quand Le Corre raconte la « vie » dans les camps et la déportation, au Rapport de Bordeck de Claudel avec la marche du retour à la vie et enfin au roman de Mauvignier, Des hommes, pour l’évocation de la guerre d’Algérie. Le style est tendu et sec, ce qui sied parfaitement à une histoire aussi dure. Cela n’empêche pas quelques envolées, parfois lyriques mais le plus souvent marquées par la nostalgie et la souffrance.
« André secouait la tête, troublé. Du passé, de toutes ces années perdues. Ils revivaient leur vie par bonds que la mémoire autorisait, jetant au hasard son couillon comme une enfant dans une marelle sans paradis. Je me souviens… D’anciens soleils brillaient de nouveau, des joies retrouvées les faisaient s’esclaffer encore.
Quand aux ombres, quant à la nuit… André cherchait des mots, essayait des comparaisons, balayait d’un revers de main ses tentatives pour dire les choses, avec un mouvement désabusé, et dans ce silence qui leur tombait dessus Abel s’endormait, épuisé, la poitrine secouée par son souffle court. »
Un livre qui prend son temps (576 pages en poche tout de même) et qui ne se donne pas facilement. Les personnages se mettent en place chapitre après chapitre. Le Corre ne les dévoilant que par petites touches. Et c’est peut-être mieux car trop de noirceur d’un coup serait difficile à supporter. Scène d’interrogatoire/torture dès le début et scènes de guerre d’Algérie qu’on vit au plus près via le point de vue de Daniel. Heureusement la rédemption d’un des personnages met un peu de lumière dans tout ce noir.
Un livre très intense qui, une fois refermé, donne envie d’y retourner.
Après la guerre, Hervé Le Corre, Rivages/noir, avril 2015 pour l’édition de poche