Il se fait tard tout à coup. En un glissement de disque dans une platine, la pluie claque sur les carreaux. Archie Shepp (ténor et Soprano Saxo) et Horace Parlan (piano) sont musiciens, c’est vrai. Mais ils donnent aussi l’impression de commander au ciel le temps qu’il doit faire.
Les disques en duo me passionnent moyennement en général. Mais là, c’est autre chose. Ce disque est chaleureux comme une maison où la cheminée crépite et qu’au dehors, il fait froid et il pleut, les caniveaux humides charrient les obsessions humaines et les dérapages sociétaires.
Parler technique en écoutant ce disque est littéralement superfétatoire. Il coule, s’écoule, vous ouvre l’horizon étoilé en faisant abstraction des nuages. Reprise de morceaux traditionnels, à l’exception de Come Sunday, sublime morceau de Duke Ellington, ce disque est d’une classe folle et simple. Horace Parlan joue du piano assis, ce qui lui importe, c’est avant tout de n’effleurer que le velours de ses touches, tout comme le silence qu’il pose entre les notes. Tout comme son partenaire. Car oui, c’est un disque silencieux ou presque. Un disque lumineux dans la pénombre. Amazing Grace et Sometimes I Feel Like A Motherless Child, deux classiques d’entre les classiques, sont ici sublimés. On ne parle plus de musique, mais d’émotion. Archie Shepp s’économise, jusqu’à ne laisser percevoir que le souffle des notes… leurs respirations…
J’ai rarement entendu un disque qui soit autant fait pour être écouté le soir. Voire la nuit. C’est un disque nocturne. Même en plein jour. La symbiose des deux est tellement évidente que l’on est parfois tenté de dire que les instruments font corps commun, comme dirigés par la même lumière. Un disque assurément taillé pour chavirer les âmes, un cognac à la main, devant une cheminée. Et seul au monde.
Archie Shepp & Horace Parlan, Goin’Home, sorti en avril 1977 chez Steeple Chase Records