Coup de cœur assuré pour ces 3 romans graphiques sortis à la fin de l’été et qui méritent un beau coup de projecteur : Salon de beauté (Dupuis) de Quentin Zuttion, dont le traitement est la fois magnifique, poétique et tragique ; Idéal (Sarbacane) de Baptiste Chaubard et Thomas Hayman, qui nous offre de très belles images d’un monde aseptisé ; et enfin Les yeux doux (Glénat) d’Éric Corbeyran et Michel Colline, qui nous embarque de manière virevoltante dans les méandres d’une société sous surveillance.
Salon de beauté de Quentin Zuttion – Dupuis – Août 2024
Les couleurs, la texture du papier, la qualité graphique du dessin… Salon de beauté séduit et nous transporte dans un monde onirique, fait de petits poissons qui se mangent les uns les autres, et d’hommes sirènes soucieux d’accéder au désir et au plaisir, malgré la fulgurance d’une étrange épidémie.
Nous voici plongés dans les eaux sombres des années noires du sida. Au fil des pages, nous devenons les spectateurs d’une lente mais inexorable descente aux enfers de la communauté homosexuelle des années 80 et 90, décimée par une maladie suscitant autant le rejet que la peur dans le regard des bien-pensants.
Pour autant, dans le livre, le sida n’est jamais nommé. La maladie est figurée par des écailles qui forment autant de tâches de couleurs, distillées sur les corps meurtris tout au long du roman graphique. La narration, oscillant entre présent et passé, ces petites tâches contribuent à créer un lien visuel précieux, tel un fil fragile qui unit les personnages dans la tragédie.
D’abord, il y a Jeshua, jeune propriétaire du salon de beauté. Coloriste talentueux, il sait apporter du réconfort à ses clientes. C’est ce même état d’esprit qui l’anime quand il décide de transformer son lieu de travail en refuge pour malades : prendre soin.
À ses côtés, plusieurs hommes peuplent ses jours et ses nuits : Isai, Alex, Viktor et sa belle gueule d’amour… Leur identité homosexuelle, ils ne s’en cachent pas, ils la revendiquent d’abord, avant de se laisser enfermer ensuite dans un piège, celui de l’indifférence des autres, celui de la solitude. L’esthétisme de la bande-dessinée, inspirée d’un roman de Mario Bellatin (finaliste du prix Médicis étranger en 2000), vient accompagner leur métamorphose… sur fond d’hécatombe.
Idéal de Baptiste Chaubard et Thomas Hayman – Sarbacane – Août 2024
Travaillée avec des milliers de petits points créant une texture particulière aux images, cette bande-dessinée imprimée en France chez Pollina, bénéficie d’une très belle qualité de fabrication. Les dessins sont extrêmement soignés et reflètent parfaitement les caractéristiques de l’enclave japonaise d’un monde disparu qui sert de décor à l’histoire. L’architecture y est futuriste, les visages parfois figés, les robots plus vrais que nature…
Idéal raconte le destin d’Hélène, une femme pianiste de renom qui, à la suite d’un accident, voit sa place menacée au sein d’un orchestre philarmonique. Une musicienne plus jeune et plus talentueuse s’apprête à la remplacer. Dans le même temps, Hélène sent bien que le désir de son mari, prénommé Edo, s’étiole. Elle décide alors d’introduire dans leur maison un robot qui la représente trait pour trait quand elle était plus jeune et qu’elle jouait comme une virtuose accomplie.
Un geste un peu fou que de faire ainsi entrer le loup dans la bergerie ! En transgressant les lois de l’amour et du temps, Hélène va se mettre en danger et chercher à garder la maîtrise de la situation. Dans un monde boosté par les nouvelles technologies mais enfermé sous une cloche de verre, la tentation, les souvenirs, les regrets… vont habiter la psyché des personnages.
Que reste-t-il de l’amour ? C’est assurément la question centrale de ce roman graphique de deux auteurs prometteurs, dont Idéal est la première bande-dessinée !
Les yeux doux de Éric Corbeyran et Michel Colline – Glénat – Août 2024
De plongée en contre-plongée, les plans de cette BD nous emmènent sans trop de difficultés dans les méandres d’une société secrète : celle d’hommes et de femmes vivant reclus dans une gare souterraine désaffectée pour échapper à un monde dystopique. Il se trouve, en effet, que « Les yeux doux », incarnés par des pin-up placardées sur tous les murs de la cité, veillent à ce qu’aucun délit ne leur échappe.
Ainsi va la vie donc, au milieu de regards tout aussi langoureux que menaçants. La propagande est partout. La compagnie de surveillance détient le pouvoir. Dans cet univers tristounet où les usines crachent leur fumée, émerge Anatole, récompensé plusieurs fois comme employé du mois au Panier garni. Sa mission : repérer les voleurs et les dénoncer. Un boulot comme un autre, sans scrupule aucun.
Jusqu’au jour où il se met à douter après avoir dénoncé une jeune voleuse dont il va tomber amoureux. Arrêté à son tour, Anatole change de statut et d’opinion. Il va se rallier à la cause des rebelles et se faire fort de conquérir le cœur de sa belle.
D’une très belle facture graphique, la BD s’avère un peu moins convaincante sur le plan scénaristique, à mi-chemin entre scènes virevoltantes et propos naïfs. C’est pourquoi il convient d’apprécier le roman avec distance et amusement, ce qui constitue déjà un moment de lecture des plus sympathiques.