[dropcap]U[/dropcap]n nouveau roman d’Attica Locke est toujours une bonne nouvelle : l’auteure américaine native du Texas n’a pas son pareil pour donner de l’état de son pays un portrait vivant, à la fois enraciné dans l’histoire et animé des soubresauts contemporains. Bluebird, bluebird ne fait pas exception à la règle, il a d’ailleurs remporté l’Edgar Award en 2018. Comme en plus, l’auteure sait vraiment construire une intrigue, développer de multiples pistes narratives et camper des personnages mémorables, le roman se lit avec un appétit qui ne flanche pas, de la première à la dernière page.
Dans l’est du Texas, Darren Mathews, Texas Ranger noir, est dans une sorte de pétrin. On le soupçonne d’avoir aidé le vieux Mack à esquiver les accusations d’homicide qui pèsent sur lui suite à la mort de l’abominable Ronnie Malvo, crapule raciste locale dont la disparition ne fait pas de peine à grand-monde :
« Ronnie « Redrum » Malvo était un plouc blanc tatoué lié à la Fraternité Aryenne du Texas, une organisation criminelle qui prospérait grâce à la production de méth et au trafic d’armes – un gang dont le seul rite initiatique était le meurtre d’un nègre.
Attica Locke
Darren a fait des études de droit, épousé la délicieuse Lisa, et a fini par opter pour la carrière de Ranger : s’il est suspendu, adieu l’uniforme, adieu l’insigne, adieu les rêves de justice. Lisa, de son côté, préférerait de loin qu’il reprenne ses études, pour une vie plus tranquille (quoique…), plus rémunératrice. Mais ça ne correspond pas aux aspirations de Darren, neveu d’un ranger et d’un avocat engagé, épris de justice sociale et raciale : il veut être sur le terrain, aller jusqu’au bout de ses enquêtes, faire condamner les méchants et éclater la vérité. C’est pourquoi, lorsqu’il est appelé dans le comté de Shelby où vient d’être commis un double meurtre – celui d’un homme noir, celui d’une femme blanche – il n’hésite pas une seconde, saute dans son pickup Chevy, prend la route 59 direction Shelby et le bayou d’Attoyac, où a été retrouvé le corps de l’homme noir, Michael Wright, Texan d’origine installé à Chicago. Quant au corps de Missy Dale, serveuse dans un bar du coin, jeune et blonde mère de famille, c’est près du Geneva Sweet’s Sweets, le café qui va servir d’épicentre à cette sombre histoire, qu’il a été découvert.
Deux heures plus tard, il arrive sur place, et est accueilli fraîchement par la police locale. Un Texas ranger noir, plus ou moins suspendu, n’est pas nécessairement bienvenu dans cette contrée, où, tout le monde le sait, la Fraternité Aryenne du Texas compte un certain nombre d’adeptes. C’est chez Geneva que se rendra d’abord Darren : la propriétaire est une septuagénaire noire, son établissement fait figure de repaire pour les noirs du coin. Une méchante baraque de bois, une guirlande lumineuse, une cuisine dans le fond, un coin aménagé pour le barbier qui y officie de temps à autre, et puis un juke-box. Quand Darren arrive, c’est Mahalia Jackson qui chante. Et tout le roman sera placé sous le signe de la musique, du blues plus précisément. A tel point qu’une certaine guitare Les Paul jouera un rôle crucial dans le double meurtre… Les deux morts sont-elles liées ? Un trentenaire noir venu de Chicago, une jeune blonde du coin ? C’est à cette question, et à bien d’autres, que va devoir répondre Darren Mathews. Et on ne va pas lui faciliter la tâche.
Chez Attica Locke, l’atmosphère est déterminante, et elle maîtrise parfaitement son affaire. Le café de Geneva avec sa propriétaire, une vieille dure-à-cuire au passé douloureux, les blancs du coin, avec leurs privilèges, leurs abus de pouvoir et leurs mensonges, le mouvement de la Fraternité Aryenne du Texas, exemple malheureusement de moins en moins isolé de ces organisations criminelles d’extrême-droite qui fleurissent aux Etats-Unis : du particulier au général, Attica Locke nous plonge dans l’ambiance contemporaine d’une Amérique profonde plus que jamais divisée, plus que jamais raciste, plus que jamais violente. Mais le roman est loin d’être manichéen : dans cette région de l’est du Texas, la cohabitation entre noirs et blancs est ancestrale, et les relations sont plus complexes qu’il y paraît.
La chaleur de la musique, les odeurs et les saveurs de la nourriture locale créent un paysage sensuel où, malgré les violences et le racisme ambiants, l’amour réussit quand même à se frayer un chemin. Malgré tout, le personnage principal évoque avec une certaine amertume les espoirs déçus qu’a suscités la présidence d’Obama:
« Darren avait toujours voulu se persuader que leur génération serait la dernière à être obligée de vivre ainsi, que le changement viendrait peut-être de la Maison Blanche. Mais les événements avaient prouvé le contraire. Dans le sillage d’Obama, l’Amérique s’était révélée sous son vrai visage.
Attica Locke
A l’évidence, l’optimisme n’est pas vraiment à l’ordre du jour…
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Bluebird, bluebird de Attica Locke
traduit par Anne Rabinovitch
Liana Levi, 14 janvier 2021
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Image bandeau : Western Bluebird (Sialia mexicana)
Photo by Kevin Cole from Pacific Coast, USA – Licence Wikimedia Commons