[dropcap]A[/dropcap]urélie Olivier a initié le projet des Lettres aux jeunes poétesses paru à la rentrée à L’Arche éditeur. Cet ouvrage est important parce qu’il donne la parole aux femmes du milieu de la poésie contemporaine. Ces prises de paroles sont rares, car comme dans tout milieu, le patriarcat a toujours imposé sa loi. Ainsi, ces lettres s’adressent à celles qui feront la poésie de demain, celles qui rendront le monde poétique plus juste et égalitaire.
Vous présentez dans votre préface la genèse des Lettres aux jeunes poétesses. Pouvez-vous nous résumer comment est née cette idée et aussi comment elle a évolué ?
Aurélie Olivier : Au tout départ, une invitation du Service de la Parole du Centre Pompidou pour imaginer, au sein du festival Extra!, un week-end qui mettrait en lumière Les Parleuses, des séances de bouches à oreilles – podcast, que l’association LITTÉRATURE, ETC organise chaque mois, en compagnie d’autrices* contemporaines, pour revisiter l’histoire de la littérature. En 2017, j’avais participé à la mise en place de la première édition d’Extra! et, dans ce cadre, eu accès aux archives poétiques du musée national. Je me rappelais entre autres qu’elles faisaient une place au mieux marginale aux poétesses. Avec l’ambition semi-délirante de réparer ces manquements, j’ai donc proposé à 9 poétesses d’écrire et de venir lire en direct, le 26 septembre 2020, une lettre à une jeune poétesse. La réception et la lecture des premières lettres me bouleversent alors au point d’avoir envie de les partager massivement. Depuis la publication de L’impératif transgressif de Léonora Miano et celle de Décoloniser les arts, je suis avec beaucoup de reconnaissance l’évolution du catalogue de l’Arche; j’écris donc à Claire Stavaux et Amandine Bergé de la maison d’édition, pour leur raconter que j’ai, dans ma boîte e-mail, quelque chose qui ressemble farouchement à un livre…
Quel apport Claire Stavaux et Amandine Bergé ont apporté à ce projet ? Comment le livre a évolué vers sa forme finale ?
En 2020, lorsque j’ai proposé de programmer la soirée Lettres aux jeunes poétesses au Centre Pompidou, je voulais inviter 24 poétesses, ce que ne permettait pas le budget alloué. Grâce à Claire Stavaux, Amandine Bergé (et à Sabine Lacaze qui a réalisé tous les contrats!), j’ai pu inviter 12 autres poétesses. Claire Stavaux a été une interlocutrice fondamentale pour penser l’agencement du recueil, relire de manière pointue chaque lettre, discuter avec la graphiste Anne-Lise Bachelier et le fabricant François Komboris de la couverture et de la mise en page qui seraient les plus fidèles, mettre le livre entre les mains d’Anne Béraud (chargée de relations libraires) et Aurélie Serfaty Bercoff (chargée de relations presse)… Grâce à la confiance première de Claire Stavaux et d’Amandine Bergé, toute une équipe était en mouvement pour que ces lettres voyagent le plus loin possible !
Et maintenant elles sont disponibles dans les librairies et peuvent être lues par le plus grand nombre.
Oui, j’ai même reçu un message du documentaliste de mon collège, que je n’avais pas revu depuis au moins 20ans : c’est magique !
On pense évidemment à Rilke et ses Lettres à un jeune poète. Y avait-il une volonté de dépasser les propos du poète Autrichien et d’aller au-delà d’une poésie figé dans un idéal passé ? Comme le dit Marina Skalova dans sa lettre, il considérait les femmes comme des « créatures mystiques ».
Ce recueil donne à lire en effet des textes, qui chacun à leur manière, se débarrassent en bonne et due forme des assignations qui muse-elles. « Ils la Muse, elle s’Amuse. » écrit même Milady Renoir…
Comment imaginez-vous que le livre persistera après sa diffusion et je vous le souhaite avec son succès ?
Dans mes rêves fous, j’aimerais qu’il brise la solitude des poétesses et détruisent le patriarcat qui nuit à l’histoire de la littérature, comme à la littérature vivante.
Avez-vous eu l’impression d’avoir créé un espace de sororité ? Malgré la diversité des points de vue qui donne toute sa force aux Lettres ?
Oui, j’espère ! Je voulais que ce recueil soit aussi politique que poétique et donc nécessairement que le collectif ait pour condition de base celle d’être accueillant pour le singulier.
Il est surprenant de voir des poétes·ses avec des univers parfois très éloignés. Expliquez-nous comment s’est construit le choix des autrices. Était-il conscient ou volontairement aléatoire ?
La sélection est aimante : il s’agit pour chacune des invitations de poétes·ses dont les écritures me déplacent. Elle est également kaléidoscopique, comme le sont mes goûts.
Il y a un point sur lequel certaines poétes·ses sont en désaccord. C’est le terme féminisé de poétesse. Certaines contributrices ont du mal avec cette désignation et elle provoque nombre de réflexions, voire même une déclinaison chez Michèle Métail. Édith Azam dit en post-scriptum : « Poète est un mot féminin, la preuve : il finit par un E ! » Pourquoi avoir choisi de le garder dans le titre du livre ? Comment avez-vous décidé que soit perçue cette question ?
Oui, j’adore également ces vers de Liliane Giraudon : « Il se trouve que vous comme moi appartenons à une catégorie : poétesse. Pas loin de poétasse. », sans parler de la désobéissance totale du collectif RER Q :-). Pendant toute la première partie du travail de préparation, nous avions un titre dont l’écriture dégenrée indiquait d’emblée la liberté du recueil, mais les discussions avec la diffusion, l’idée notamment que nous puissions manquer des lecteurs, des lectrices, parce que les logiciels de librairies n’étaient pas prêts pour le point médian, nous ont fait privilégier l’effet surprise. 🙂
La proposition du collectif RER Q est vraiment originale. De plus, ce collectif semble représenter une tendance plus radicale du mouvement féministe. Pouvez-vous nous raconter comment s’est faite la rencontre avec ielles ? Est-ce un choix d’avoir placé ce texte en fin d’ouvrage ?
La première fois que j’assiste à une lecture du Collectif RER Q, c’est en 2019, à la Mutinerie. La liberté qu’ielles se taillent, les revendications en faveur de la littérature queer qu’ielles expriment, et leur alliance qui immédiatement les rend très politiques assurent le bouquet final du recueil. C’est par ailleurs un collectif qui jusqu’à maintenant n’avait pas de publication en dehors des fanzines, ce qui rend la transmission de son histoire plus incertaine. Donner une place de choix à leur poésie non binaire, dans un monde si tristement régi par les lois de la binarité et de la domination qu’elle induit, est un message d’espoir envoyé aux générations futures.
Pensez-vous donner une suite à ces Lettres ? Proposerez-vous d’autres Lettres plus tard avec de nouveaux enjeux ou des constats ?
Une version internationale, ce qu’on pressent déjà grâce à la lettre de Ryoko Sekiguchi, serait sûrement passionnante… Mais à vrai dire, pour rester du côté de la puissance qui est à distinguer du pouvoir, je crois qu’il est fondamental maintenant de passer le relais à qui aura le désir de s’en saisir. 🙂
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Lettres aux jeunes poétesses initiée par Aurélie Oliver
L’Arche éditeur, 20 août 2021
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