Le 16 avril dernier, c’était Disquaire Day, l’occasion parfaite pour Souffle Continu Records de prolonger l’esprit de Noël en proposant trois rééditions, indispensables.
RICHARD PINHAS & JOHN LIVENGOOD – Cyborg Sally (1994)
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]vec une impressionnante régularité, l’équipe de Souffle Continu multiplie les rééditions qui côtoient l’excellence à chaque parution. Les premières rééditions du label concernaient les premiers travaux de Richard Pinhas et voici donc que Souffle Continu nous replonge dans son univers, comme pour soutenir un écho de plus en plus grandissant à sa musique que j’avoue humblement découvrir au fil des multiples rééditions, et ce, sur différents labels.
Après une pause d’environ dix ans, Richard Pinhas s’est replongé dans la musique au début des années 90, pour collaborer notamment avec John Livengood, ex – Red Noise (autre réédition passionnante du label Souffle Continu avec le fils de Boris Vian) et Spacecraft sur un album répondant au nom de Cyborg Sally.
Un titre qui rappelle Klaus Schulzse, même si les premières notes rappellent le Space-Rock (les dix premières secondes du disque m’ont même évoqué David Gilmour), les sonorités s’accrochent bien vite au monde purement électronique, voire à celui plus délicat à aborder de l’indus. Mais ne nous y trompons pas, si la musique est jouée par des machines, elle n’en reste pas moins étonnamment organique. Certes, les boîtes à rythmes ne trompent personne, notamment sur la période d’enregistrement, et ici ou là, on peut penser aux premiers essais de Nine Inch Nails, comme j’ai pu le lire ici ou là. Mais bien vite, on se rend compte que l’alchimie entre les deux musiciens provoque un glissement de terrain magistral, et la guitare toujours plus incisive de Richard Pinhas ne cesse le dessiner des arabesques étonnantes et chavirées comme sur l’épatant Rock Machine : Red Ripe Anarchy qui tangue à chaque accord.
C’est un voyage dépaysant dans un monde inédit mêlant l’Orient et l’Allemagne. Un transit qui durera une heure environ, durant lequel Richard Pinhas et John Livengood semblent se débattre entre eux, mais également avec l’auditeur pour entrer parfois en force dans l’univers de la partie adverse. Et puis, la symbiose s’installe, se loge en vous et le voyage appelle peu à peu au confort. La production se réfère clairement aux années 90, mais au-delà de cette marque de fabrique, les multiples références se bousculent à l’entrée, et les décennies se mélangent, dans un panachage maîtrisé qui rend l’ensemble inédit. Le disque possède cette singularité d’être tout à tour oppressant, planant, dérangeant, aérien, laissant le répit nécessaire pour ne pas se sentir acculé et rendant ainsi ce road trip finalement assez abordable. Malgré tout, certains arrivages ne se font pas sans mal, comme sur Nuke, où le batteur Antoine Paganotti (fils de son bassiste de père, suivez bien, j’en reparle plus bas), assène des coups étouffées sur une batterie presque hystérique. Cyborg Sally est un album à la texture étrangement en phase avec son thème, froide mais personnelle, en osmose complète avec son époque, comme sur Moira qui semble tout droit sorti d’un album de Tangerine Dream remixé par la nouvelle scène indus. Inspiré par Rock Machine de l’écrivain Norman Spirad, l’ensemble du disque semble nous conter l’univers cybernétique au plus près d’une réalité pourtant fantasmée. La fin du voyage nous mène vers un univers apaisé, parfois ambient, parfois ritournelle de manège, avant de sombrer une dernière fois pour une vignette chaotique et maladive, comme pour nous prévenir que l’avenir que l’on nous promet si beau est en fait probablement bien plus cauchemardesque.
PATRICK GAUTHIER – Bébé Godzilla (1981)
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e second disque à sortir en ce mois d’avril chez Souffle Continu Records est lui aussi clairement marqué par son époque. Patrick Gauthier, pianiste, a mis la main à la pâte quelques temps chez Magma, et aux côtés de Richard Pinhas (Et oui, encore lui !).
Et c’est avec ce carnet d’adresses sous le bras qu’il va enregistrer ce premier album largement inspiré par la fusion. Le jazz fusion ? Oui. Mais pas seulement. Les influences sont bien plus complexes que cela. Bien évidemment, on n’échappe pas aux sonorités de Magma, mais uniquement dans l’exécution des morceaux. En effet, ici, pas d’échappées de 25 minutes, complexes, et déclamées dans une langue imaginaire. Musique instrumentale, la partition de Patrick Gauthier fait également référence à certaines B.O. des années 70. La liste d’invités est assez impressionnante sur ce premier album remué et transversal. Christian Vander, la tête pensante de Magma, pour la batterie, en tout cas sur la première face, Richard Pinhas, aux claviers et guitares, et Bernard Paganotti (qui est le père de ? Et voilà, pas un qui suit !) à la basse, entre autres. Bernard Paganotti qui participa parfois aux aventures de Magma, mais qui devint également l’un des bassistes studio de référence pour les noms de la chanson française durant les années 80 et 90.
Malgré tout, on ne peut y échapper, cet album est empreint d’un jazz rock très marqué, notamment sur les sonorités des claviers sans équivoque. Si le jazz-rock vous rebute, l’écoute va s’avérer compliquée d’autant que la production globale est attachée au milieu des années 70, et au début des années 80, à l’image de Benoît et les Riverboppers qui navigue dans les eaux parfois surannées de claviers typiques de cette période, tels que les Moog. Malgré tout, la bonne idée de Patrick Gauthier et de ses acolytes est de ne pas se perdre dans des improvisations, exaltantes sur scène, mais parfois ennuyeuses sur disque. Ici, on allie l’efficacité à la concision, ce qui finalement rend l’ensemble souvent splendide, comme sur Heldon, titre dédié à Richard Pinhas, où les percussions virevoltent autour d’un piano qui brode un motif répétitif que seul un break de percussions, Riding On White Horses, saura briser. La bonne idée des orchestrations, c’est aussi de faire appel à des sonorités différentes, comme les tablas, dépaysant alors le disque de ce qui aurait pu être un jazz-rock parmi tant d’autres. En passant en Transylvanie bénéficie de cet apport ainsi que de celui de Richard Pinhas et de sa guitare d’une autre planète, sortant ainsi des images un peu figées de cette musique si particulière. L’équipe de Souffle Continu prouve avec cette belle réédition son ouverture d’esprit, ne se focalisant pas sur les musiques expérimentales et difficiles, mais sur toutes les formes d’expressions sonores. Et pour ceux qui en doutaient, il suffit d’écouter le dessert qu’ils nous ont préparé.
ANNE-MARIE COFFINET – Le Vampire (1970)
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e voici, le disque barré de la sélection. Les deux compères sont allés chercher au rayon archives le truc obscur et légèrement kitch qui se glisse comme une sucrerie en fin de repas. Anne-Marie Coffinet, c’est un peu Brigitte Fontaine au pays de la variété. La voix mixée en avant, la basse ronflante à l’anglaise et l’orchestration baroque. Un 45 tours surprenant et drôle, à l’image de Moi, j’aime les hommes au texte léger mais décomplexé, pour une pastille qui ne se prend pas au sérieux dans ce monde où tout est « génial » ou « mauvais ». Des titres que Gainsbourg (ou Lee Hazlewood ?) aurait pu écrire, pour se marrer mais avec une rigueur toute particulière car si l’ensemble peut paraître rigolard, derrière, ça « joue » comme on dit. Pop matinée de funk, de soul et de jazz, comme sur Le Vampire qui groove terriblement, sur un texte à prendre au douzième degré, cette musique se veut être un rayon de soleil, une parenthèse de quatre titres, qui ne se prend pas au sérieux mais qui est clairement réalisée avec beaucoup de talent. Anne Marie Coffinet, fait penser à une chanteuse de cabaret frôlant avec la fin de carrière, à l’image d’une diva échouée sur un sofa passé, entourée de ses boas et munie de son interminable porte-cigarettes.
Là encore, Souffle Continu Records tape juste en prenant l’auditeur à contre pied. Surprenant, distrayant et finalement d’une fraîcheur acidulée bienvenue dans ce monde axé sur ce qui doit être toujours « essentiel ».
Ces trois références sont donc sorties le 16 avril dernier à l’occasion du Disquaire Day chez Souffle Continu Records ainsi que chez tous les autres disquaires de France.
Facebook – Site Internet – Richard Pinhas