[dropcap]Q[/dropcap]uelques jours avant la sortie du film La Daronne, tiré de son roman paru il y a deux ans, voici déjà le retour aux affaire d’Hannelore Cayre avec une nouvelle œuvre, tout aussi percutante que la précédente : Richesse oblige.
Deux parties ici :
1870 et les gueux, les pauvres qui se vendent aux riches pour que ceux-ci puissent échapper au long service militaire qui les attend si le tirage au sort les désigne.
Années 2000, une lointaine descendante d’une de ces familles riches de 1870 découvre ses réelles origines.
Hannelore Cayre alterne ces deux histoires sur 200 pages. Nous suivons la cynique Blanche d’un côté et l’idéaliste Auguste de l’autre. Cayre n’a rien perdu de son mordant et assène ses vérités très souvent à travers des phrases choc qui tapent juste et font mal. Ces punchlines font une partie du plaisir qu’on trouve à lire les romans de Cayre. Il y avait déjà cela dans La Daronne. Elle récidive donc ici.
Un prix des hommes existe toujours, mais son calcul ne répond plus aussi directement à la loi de l’offre de la demande. Certains le fixent à cent vingt fois le PIB un pays par habitant. Avec cette méthode de calcul, un Français vaut 5 millions de dollars, un Américain 6,5 millions et un Érythréen 70 000, soit à peu près le prix du 4 X 4 qui pourrait potentiellement l’écraser pendant un rallye.
Blanche, l’héroïne bancale, a donc découvert par hasard qu’elle fait partie d’une famille richissime. Elle part en quête des ses origines. Une quête spirituelle pourrait-on penser ? Non, pas avec Hannelore Cayre. L’ironie règne en maître ici et une certaine justesse sociale aussi, comme une prescience révolutionnaire.
Mais où enseigne-t-on cette morgue qui signifie au monde entier que vous lui êtes supérieur ? Est-ce génétique ou la pratique-t-on en LV2 dans une de ces écoles privées pour gens friqués ? Lorsqu’il m’arrive de les entendre parler de la sorte, je ne peux chasser de ma tête cette réplique de de Funès à Montand dans La Folie des grandeurs : « Ne vous excusez pas, ce sont les pauvres qui s’excusent. Quand on est riche, on est désagréable ! »
Blanche cherche donc et trouve. Entre elle et l’héritage, il n’y pas grand chose ou plutôt pas grand monde. De là à faire pencher les choses dans le bon sens ? Et pourquoi pas un petit coup de pouce. Surtout que Blanche paraît bien inoffensive avec ses jambes en carton, à cause d’un accident pendant l’adolescence.
Elle se met donc au travail.
Cayre, après un chapitre consacré à Blanche, sa jeune fille et sa grande copine, aborde un nouveau chapitre à propos d’Auguste, dans les années 1870.
La quête de ce jeune homme ou plutôt celle des ses riches parents sera de lui trouver un « remplaçant » pour le service militaire. À coups de billets, un jeune Breton ira mourir à sa place mais non sans mettre enceinte sa promise. Le jeune Auguste, qui a accepté cet échange, malgré ses idées révolutionnaires, tentera de se rattraper en reconnaissant cet enfant. Il y a comme un jeu de miroir entre Blanche et Auguste. Ces deux-là se ressemblent. Et Hannelore Cayre joue de ces similitudes.
Je n’étais jamais allée dans une manifestation de ce genre tout simplement parce que je n’en avais jamais ressenti le besoin ni la curiosité et parce que je me disais que ne n’y serais pas à ma place. Comment prendre un café dans un hôtel de luxe ; même si le café est à 15 euros et que je suis en mesure de le payer, ça ne me viendrait pas à l’esprit. Par peur qu’on me refoule à l’entrée parce que je ne suis pas habillée comme il faut … Par peur qu’on se moque de moi parce que je ne pige pas les codes de cet entre-soi … En un mot par peur de faire tache.
Richesse oblige se lit comme un polar mais pas seulement. L’auteure appuie beaucoup sur le côté historique, sur les ressemblances qu’elle trouve entre l’époque actuelle et celle de 1870. Y aurait-il une petite prophétie de sa part ? À ce jeu là, elle critique le XXIe siècle de façon peu banale :
J’ai donc d’abord appris qu’il y avait un milieu végan suffisamment menaçant pour qu’on paye des flics à surveiller ma copine et à mettre régulièrement sa petite fiche à jour. Ensuite, que le fait d’empêcher par l’opprobre que des animaux soient dépecés vivants dans une souffrance indescriptible pour remplir des barquettes de viande destinées pour la plupart à être jetées et remplir les caisse d’une industrie constituant une des causes principales du réchauffement climatique était perçu comme une menace à l’ordre public …
Avec Richesse oblige, Hannelore Cayre enfonce le clou de La Daronne, frappe à nouveau fort, très fort et surtout terriblement juste. C’est un régal d’intelligence et d’ironie mordante que nous avons sous les yeux. Un classique en devenir ?
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Richesse oblige
d’Hannelore Cayre
Éditions Métailié, 5 mars 2020
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Image bandeau : Mr Cup / Fabien Barral / Unsplash