[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#f2cb49″]F[/mks_dropcap]orcément, quand Addict-Culture décide de se replonger dans les trésors de la richissime année 1967, il fallait bien un imbécile pour lever timidement le doigt et proposer de vous parler de The Velvet Underground With Nico.
Tout a déjà été dit sur cet album. Un anniversaire fêté en grande pompe, les articles ont fleuri à vitesse grand V, même John Cale, unique survivant avec Moe Tucker, réunit tous ceux qui veulent bien (Animal Collective, Sky Ferreira, MGMT, TV On The Radio, Kurt Vile, Thee Oh Sees, Connan Mockassin…) pour célébrer à New York, lors du Next Wave Festival à la Brooklyn Academy Of Music, l’un des disques les plus importants de ces 50 dernières années.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#f2cb49″]J[/mks_dropcap]e pourrais vous parler de moi, comment j’ai galéré pour mettre la main dessus, 20 ans après sa sortie, dans ma campagne profonde, au guidon de ma 103 Sport, à la recherche du Graal chez les déjà quelques rares disquaires aux alentours. Je pourrais également me contenter de citer Brian Eno, rappeler que l’album, né dans la folie, la douleur et autres tracasseries administratives aurait dû sortir en 1966, ce qui m’aurait, pour le coup, bien arrangé.
Je pourrais aussi parler de ma déception à la première écoute, croyant trouver l’original de Sister Ray, que je vénérais déjà, reprise par Joy Division, d’un son que je qualifiais à l’époque de dégueulasse, avec le terrifiant European Son pour achever alors mes jeunes oreilles, et d’un chanteur et une chanteuse qui me semblaient eux aussi quelque peu approximatifs. Ne parlons même pas de la pochette, une vulgaire banane… et puis quoi, encore !
Vous l’aurez compris, je me suis accroché et, comme tout le monde, je ne m’en suis jamais remis. J’ai découvert The Velvet Underground, près de 20 ans après sa sortie, via quelques chroniques dithyrambiques lors de la sortie de VU, fabuleuse compilation de titres rares et inédits. C’était une époque, pas si lointaine, où l’on pouvait aimer un groupe sans en avoir jamais entendu une seule note, par la grâce des grandes plumes de la presse rock, Best et Rock&Folk, qui savaient y faire pour nimber un tel disque d’un mystère et d’une aura tout à fait fascinante pour le jeune con que j’étais alors.
Notre histoire débute le 2 mars 1942 avec la naissance de Lou Reed à Brooklyn ; il est le premier enfant d’une mère ultra-possessive et d’un père comptable effacé, qui ne tardent pas à s’installer à Long Island. Gamin à part, fasciné très tôt par le rock, le petit Lewis Alan Reed subit toutes sortes de traitements radicaux pour le remettre dans le droit chemin. On peut supposer que les électrochocs et autres solutions radicales n’ont pas eu l’effet escompté, il n’empêche que Lou Reed y a puisé une partie de ses textes, dans lesquels violence et froid désespoir y font bon ménage.
Il suit ses études à Syracuse et, en particulier, les cours d’écriture de Delmore Schwarz, cours pendant lesquels il se lie d’amitié avec Sterling Morrison. En parallèle, il commence à se faire la main en composant et enregistrant ses premières chansons, Heroin, I’m Waiting For The Man ou I’ll Be Your Mirror date déjà des ces années-là. C’est là qu’il fait la connaissance de John Cale, l’histoire est en marche ou presque.
Le Velvet Underground naît en 1965, dans les bas-fonds new-yorkais, entre avant-garde expérimentale et drogues déjà plus ou moins dures. Andy Warhol, en compagnie de la faune de la Factory les découvre en décembre de cette année-là, lors de concerts au Café Bizarre, et devient leur manager improvisé. Le groupe est bientôt dans sa formation définitive. Maureen Tucker, petite sœur d’un pote de Sterling Morrison, vient remplacer le mythique Angus MacLise à la batterie, ce dernier refusant de jouer autrement que gratuitement.
Les choses s’emballent, Warhol est fasciné par Lou Reed et John Cale, mais il lui manque quelque chose, qu’il trouvera sous les traits merveilleux de Nico, mannequin et actrice allemande, ex de Dylan, Delon et Brian Jones, arrivée depuis peu dans son cercle d’artistes. Lou Reed n’est pas d’accord, mais Warhol l’impose comme chanteuse, non pas du groupe, mais en périphérie, prêtant sa voix d’outre-tombe à trois morceaux désormais mythiques, Femme Fatale, I’ll Be Your Mirror et All Tomorrow’s Party.
Le 2 mai 1966, le groupe signe avec MGM/Verve, les enregistrements sont prêts ou presque, la sortie de l’album semble imminente. Le premier single All Tomorrow’s Parties/I’ll Be Your Mirror sort en juillet, dans une indifférence voire une hostilité générale. L’époque est encore au flower power et les textes de Lou Reed trop acides pour passer sur les ondes. Il en sera de même pour la sortie de Sunday Morning, produit par Tom Wilson, quelques temps plus tard.
Les choses se délitent. Nico se rêve en solo, Warhol se lasse, le groupe a laissé passer sa chance, si chance il y a jamais eu. L’album sort en mars 1967.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#f2cb49″]A[/mks_dropcap]ujourd’hui, tout le monde a écouté ces onze chansons intemporelles et pourtant si ancrées dans le New York des 60’s, sombres et violentes, belles et émouvantes, frustres et modernes, ouvrant tout un pan de la musique moderne, qu’on étendra simplement et paresseusement d’Étienne Daho à Sonic Youth.
The Velvet Underground s’ouvre doucement sur un dimanche matin, les yeux cachés derrière des lunettes noires, après une longue nuit blanche, avant que les souvenirs des abus nocturnes passés ne resurgissent sous les pas d’un homme qui sait se faire attendre.
Femme Fatale, Venus In Furs, Run Run Run, les rythmes accélèrent et ralentissent, flash instantané sur des morceaux de vie, où le malheur et le plaisir s’entremêlent avec une cruauté électrique et poisseuse. Et tout cela finira mal, comme semble nous l’indiquer la poor girl d’All Tomorrow’s Parties.
Il est temps de changer de face et plonger dans Heroin, le morceau le plus hallucinant du lot, limite terrifiant pour l’ado que j’étais, longue plongée dans un monde inconnu, avec le diable qui nous attend les bras ouvert, un fou rire au fond de la gorge.
There She Goes Again a toutes les peines du monde à s’imposer après un tel choc, surtout que Nico s’apprête à faire un dernier passage sublime sur le charmant I’ll be Your Mirror, une des plus belles chansons d’amour au monde.
Les choses s’emballent et basculent dans la folie et la fureur aux sons de The Black Angel’s Death Songs et European Son, le rock explose, le rock est mort, ne reste qu’un bruit blanc et quelques derniers râles… Chi Chi Chi Ka Ta Ko… ben voyons.
Voilà, nous sommes dimanche matin, ma chronique est terminée, je repose encore une fois le disque que j’ai le plus écouté au monde, et j’ai toujours l’impression de le découvrir comme si c’était la première fois. Toute la musique que j’aime, elle vient de là, elle vient du Velvet, mais la musique du Velvet est elle-même inimitable car inimaginable, tout le paradoxe de The Velvet Underground With Nico.