On dit qu’il suffit de six poignées de mains pour relier une personne à une autre. Cette théorie se vérifie dans Barcelona ! le dernier roman de Grégoire Polet, auteur de l’excellent Excusez les fautes du copiste paru en 2006 toujours chez Gallimard.
Il nous entraîne dans Barcelone, capitale emblématique de la Catalogne et nous fait suivre le destin d’ une vingtaine de personnages : il y a tout d’abord Miquel Tarras le député en pleine campagne et sa fille Begonya dont il est très fier et qui va se détourner de la route toute tracée par son père. Gavilán le libraire bourru amoureux de Shakespeare et de Roberto Bolaño va trouver l’amour dans les bras de la belle Raquel. Veronica, la journaliste stagiaire se passionne pour les conflits mondiaux et traine son appareil photo en Haïti, en Géorgie et dans tous les endroits sous tension de la planète, laissant à Barcelone son père, guide touristique atteint d’un cancer. Il y a aussi Damian le flic devenu écrivain, Victor le journaliste parvenu et neveu de Gavilán ou encore Chucho l’enfant des rues adopté par la communauté gitane … Le lecteur va également emprunter la route du navigateur Pere Catala qui quittera Barcelone pour faire le tour du monde.
Tous ces destins vont se croiser, leurs épaules se frôler, ils vont se passer le relais pour construire ce grand roman pièce par pièce et dresser le tableau d’une Espagne rongée par la crise, d’ une Catalogne bercée par les sirènes de l’ indépendantisme. Car ce n’est pas la ville de l’ Auberge Espagnole dont nous parle ici Grégoire Polet mais plutôt celle des indignés, du chômage, de la débrouille, de la politique toujours plus corrompue et de l’envie de bâtir un autre modèle de société plus équitable et pourquoi pas plus juste.
Riches ou pauvres, c’est le même esclavage. C’est ça qui est pervers. Les gens ne se rendent compte de rien, parce qu’ils croient que la différence, c’est d’être riche ou pauvre, alors que c’est d’être libre ou pas. (…) La seule voie vers une liberté, c’est de percer le système, de le trouer, c’est d’être révolutionnaire. Mais c’est facile à dire et à peu près impossible à faire. (p 341)
Une véritable communion opère ici entre la multitude de personnages, pour la plupart de parfaits inconnus et chaque histoire complète, étoffe, construit ou anéantit l’autre. Toute l’allégresse et la vitalité du roman sont résumées dans le point d’exclamation du titre comme un cri, d’amour ou de rage. Il témoigne de toute la puissance de cette ville qui est, au final, LE personnage principal de ce magnifique roman. Grégoire Polet, en véritable chef d’orchestre, nous fait découvrir la ville de Gaudi mais nous plonge également dans la crise qui secoue l’Europe depuis plusieurs années en nous permettant d’ adopter le point de vue des puissants, des journalistes, des écrivains, des galeristes des expatriés mais aussi celui du simple citoyen. Il signe ici un des plus beaux portraits de l’Espagne contemporaine. A lire passionnément !
Barcelona ! Grégoire Polet, Editions Gallimard, Janvier 2015.