[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]hambre 108.
Une jeune femme se réveille, un peu sonnée. Elle a conscience que quelque chose vient d’arriver. Se lève. Dans la pénombre, elle soulève un voile de plastique, et découvre son propre corps dans la baignoire. Elle fait face à son cadavre meurtri et ensanglanté. Le bruit d’une poignée de porte qu’on tente d’ouvrir la fait réagir. Il faut qu’elle sorte de là. Se sauve par le balcon, saute dans la rue et se retourne pour découvrir d’où elle vient : Hôtel Beau Séjour.
Kato s’est donc réveillée d’entre les morts pour constater son meurtre.
Portée disparue dans un premier temps, puis finalement repêchée dans un lac, Kato Hoeven ne se souvient pas de la nuit qui l’a vue s’éteindre. Fantôme en mouvement, elle se démène pour trouver des réponses, et réalise que certains de ses proches peuvent malgré tout la voir, l’entendre et la toucher.
Le suspense alors est double : qui l’a tuée et pourquoi ces cinq personnes continuent à la voir ?
L’univers de Kato, c’est une toute petite ville flamande de la région du Limbourg, son club de tir, son club de moto-cross, sa jeunesse un peu désœuvrée, sa campagne rude et froide, sa police pas vraiment exemplaire…
Et comme dans tous les villages, tout se sait et tout se tait. Les histoires de familles s’imbriquent, les secrets se transmettent de génération en génération, avec pour résultat des tensions dont on ne sait même plus trop d’où elles viennent.
Alors quand il s’agit de trouver des réponses sur un meurtre qui jette la suspicion sur une toute petite communauté, il faut réussir à faire confiance sans avoir peur de se salir les mains en remuant la merde. C’est ce que Kato est bien décidée à faire.
Parce que les personnages avec qui elle est encore en contact ne sont pas en reste niveau « choses à cacher ».
À commencer par son père. Alcoolique, désespéré par son divorce et sa vie d’administratif scolaire, Luc Hoeven va aller jusqu’à se servir du fantôme de sa fille pour essayer de reconquérir son ex-femme, la mère de Kato.
Ines, la meilleure amie, pauvre et en détresse, plongée dans des affaires qui la dépassent, et qui font enfler les secrets.
Sofia, la demi-sœur, raide dingue de Léon, petit ami de Kato, et qui va tout faire pour la remplacer au plus vite.
Alexander Vinken, policier fumeux et entraîneur du fameux Léon, roi de moto-cross, qui lui voue un véritable culte.
Et Charlie Vinken, son fils. Pas prodigue du tout, rejeté par son père, il revient à peine d’une période d’internement psy, et va être l’allié le plus proche de Kato.
Cette série se déroule dans un monde confiné, où les histoires se mêlent rapidement, sur fond de misère et de trafic, d’ennui et d’absence de perspective, de renoncement et de faux-semblants.
L’enquête en soi est presque secondaire, tellement les services de police du coin sont présentés comme inefficaces et corrompus.
Il faudra l’intervention du duo féminin de la police fédérale belge pour enfin avoir un ton professionnel, et faire avancer tant bien que mal l’investigation à l’échelle du meurtre.
Malgré tout, on est loin de la tension policière à 100%. Les tromperies et romances, finesses retorses de scénario, font lien façon grand filet, et on sent petit à petit l’espace se réduire malgré la démultiplication de possibilités.
La force de Beau Séjour, c’est le traitement réaliste d’une histoire qui ne l’est pas du tout. Faire face aux personnages tels qu’ils sont, pathétiques et beaux parce que tellement humains. Ce qui a été obtenu grâce à une distribution plus qu’inspirée. Lynn Van Royen, découverte et superbe premier rôle, est toute en tension, détermination, mâchoire et poing serrés, et en émotion (la scène où, à côté de sa mère terrifiée, elle voit sortir son corps du lac est magnifique d’intensité). Elle progresse dans cette affaire surréaliste en nous emmenant par la main, sans jamais faillir. Quant au reste du casting, les rares légèretés s’intègrent si bien dans le contexte réaliste voulu par les créatrices, qu’il en est devenu parfait. D’ailleurs, on ne peut que conseiller de regarder cette série en langue originale, car c’est toute une dimension qui disparaît au doublage.
Une dimension ou rien n’est tout à fait réel ou fantastique. Nous marchons en permanence sur une terre qui est double, possible et impossible. Grâce au travail soigné de l’image, sans effets racoleurs, mais une ambiance soutenue, toujours dans les tons froids, aux couleurs un peu passées façon hiver, saison absolue du décor dans lequel tranche, à chaque apparition, Kato et son sweat jaune.
Une planète étrange que cette campagne flamande, et, finalement, si absolument normale.