Le 17 septembre dernier, on vous le disait ici avec une certaine fébrilité, un nouvel album de Bertrand Belin était attendu sous peu. Les deux extraits proposés auguraient du meilleur (Folle Folle Folle et surtout le génial Je Parle En Fou) et nous faisaient frétiller d’impatience. Mais, avouons-le, malgré cela et surtout au vue des activités extérieures du sieur, on ne s’attendait pas à une réussite. En effet, 2015 a vu le garçon s’éparpiller façon puzzle en multipliant les projets annexes avec d’abord la publication de son premier roman Requin (dont nous parlions justement ici), ensuite ses premiers pas au théâtre avec Spleenorama puis avec le projet Low/Heroes, spectacle conçu autour du Berlin de Bowie et enfin en faisant de nombreuses lectures musicales ou autres performances. Dans le manuel du parfait Addict, c’est scientifiquement prouvé : humainement il est quasi impossible de réussir sur tous les fronts, surtout dans les arts.
Sachant que tous ses projets, autres que musicaux, étaient des réussites, il était évident que Cap Waller ne pourrait être qu’une daube. Et bien…même pas.
Je sais : c’est dégueulasse. Tout ce qu’entreprend ce gars cette année semble se transformer en or. Non seulement Cap Waller est une réussite mais en plus il s’agirait presque de son meilleur album depuis La Perdue. Bref, ce gars-là n’est pas humain, c’est pas possible autrement. Ok, j’exagère. Belin est humain et Cap Waller n’est pas parfait. Pour preuve : L’ajournement gâché par un gimmick inutile sur le refrain ou dans une moindre mesure Altesse et D’une Dune, un peu faiblardes pour ne pas dire faciles au regard du reste. On pourra toujours gloser sur la diction particulière de Belin, entre scansion et chant, il n’empêche : Cap Waller recèle un nombre de perles étonnant. De Je Parle En Fou à l’intime et épuré Le Mot Juste en passant par la triplette finale, c’est à un quasi sans fautes, sur la moitié de l’album, auquel nous avons droit. A travers Cap Waller donc, Belin poursuit également ses obsessions poétiques (l’exil, l’abandon, l’eau), creuse inlassablement un même sillon, unique, développe et parfait un univers immédiatement identifiable, qu’on pourrait par ailleurs rapprocher du Thomas Fersen de Qu4tre.
Dans le dossier de presse, il est évoqué la « mélomanie » de Belin et son goût pour les musiques « chaudes »(mambo, rumba, Caetano Veloso, Mahmoud Amhed, j’en passe et des meilleurs); son style, sur Cap Waller, y est décrit comme une sorte de Folk Funk. Pourtant, plus que le funk, ce qui saute le plus aux oreilles, outre le style évoquant Bill Callahan (plus que flagrant sur Douves), c’est cette réappropriation du Kraut. L’impression que les travaux sur le spectacle de Berlin/Bowie ont contaminé son écriture : pour preuve avec Que Tu Dis chanson d’essence Cannoise (le groupe, pas la ville) qui, au lieu d’être jouée en 78 tours le serait en 33, ou Je Parle En Fou rappelant le même groupe s’essayant à la pop légère ou, plus loin encore le surprenant et métronomique Au Jour Le Jour.
Bien sur, il y a des références à la musique africaine, Folle Folle Folle notamment, sorte d’afrofunk rigoriste et décuivrée, façon Talking Heads en plus instinctif mais c’est quand il aborde un folk du fin fond de la cambrousse dans ce qu’il a de plus épuré et simple qu’il fait des étincelles : là, il convoque le Bill Callahan d’Apocalypse (Entre Les Ifs, Soldat, Douves), oscille entre chaleur et aridité et livre les plus beaux moments de Cap Waller. Il s’en dégage alors une espèce de nonchalance (marque de fabrique du garçon), une petite pointe de nostalgie chargée d’une poésie toute personnelle conférant au disque une douceur addictive.
Gommant ainsi les quelques faiblesses d’un disque, vous l’aurez compris, indispensable pour toute personne non hermétique à l’univers de Belin. Les autres rateront donc l’occasion d’écouter un album d’une douce ironie, subtil et venant compléter une année 2015 décidément riche en belles sorties françaises.
Sortie le 09 octobre chez Cinq7 et disponible chez tous les disquaires équipés d’un willy waller.