[dropcap]Q[/dropcap]uatre ans après Les choses qu’on ne peut dire à personne, Bertrand Burgalat revient avec un nouvel album, Rêve Capital, sorti le 11 juin dernier chez Tricatel. Difficile de quantifier le nombre de sorties que ce génie comptabilise, car entre les BO de films, son travail d’arrangeur et ses projets solo, avancer un chiffre semble dérisoire. Si en plus, je vous dis qu’il est aussi producteur et patron du label, hautement recommandable, Tricatel – qui a sorti, entre autres, les albums de Houellebecq, Lemercier, April March, The Shades, Catastrophe, Chassol – la liste est longue et elle donne le tournis. Mais, force est de constater que loin des questions commerciales et marketing, le maître mot reste depuis déjà 25 ans : la qualité !
Alors ce soir, après plusieurs écoutes, je commence enfin l’exploration musicale de cet album qui s’ouvre sur un morceau nocturne, Flash, la coïncidence est trop belle pour ne pas être soulignée. Rêve Capital s’étend sur plus d’une heure mais aurait pu s’étirer le temps d’une journée, des prémisses de la nuit à celle qui suit. Nous partageons ainsi un moment privilégié avec Burgalat, assailli par des flashs synthétiques, quasi hypnotiques : Merci d’avoir choisi ce morceau, nous dit-il en ouverture, en forme d’invitation à le suivre et à plonger dans son voyage onirique dans l’absurdie du monde qui nous entoure.
Au creux de la nuit, les ombres des disparus s’invitent à la fête, des Retrouvailles qui se rappellent à notre mémoire : plus le temps nous sépare et plus il nous rapproche. Une douce nostalgie sautillante dans un espace hors du temps, dans les jardins suspendus de l’enfance, au cœur de l’innocence foisonnant de voix qui se répondent et qui bousculent nos souvenirs perdus.
Mais le réveil sonne comme un retour difficile à la réalité, dans un monde Parallèles où chacun trace sa route sans se soucier de l’autre, en toute indifférence. Ainsi, Du haut du 33e étage, loin de nos pairs, que nous prenons un malin plaisir à observer dans leur insignifiance, se repliant sur nous-mêmes, (je pense toujours à mes soucis) une furieuse envie de plonger dans le vide se fait ressentir.
Pourquoi alors ne pas prolonger cet état de tristesse lumineuse, face au Spectacle du monde… désabusé et blasé, mélancolique sur ce qui nous entoure, comme en attente d’un signe, pour changer ce qui est : la fin d’une époque, le temps qui passe inexorablement, une forme d’effacement… je t’attends, toi qui n’existe pas.
Une attente qui s’installe sur le titre suivant, L’attente : une bulle de douceur qui vient nous envelopper comme en suspension entre le jour et la nuit. Accompagné au chant par Blandine Rinkel, la résignation semble être la seule issue : c’est l’attente qui est magnifique. Sans accolades a une drôle de saveur au regard des derniers évènements, surtout quand on sait que l’album a été composé avant la pandémie. Le monde d’avant ressemble étrangement à celui d’aujourd’hui.
L’homme idéal s’impose déjà comme le single de l’album, voire même de l’été dans sa version remixée par Yuksek. Une critique grinçante de la dictature de l’image que Burgalat aborde avec humour : L’homme idéal c’est moi, la vie est courte donc savoure et profite.
Dans La Chanson européenne, les images sont sombres et témoignent d’un effondrement de notre civilisation. Bertrand Burgalat déclame dans un calme apparent les horreurs qui nous frappent ces dernières années. Une berceuse dissonante qui dépeint un monde apocalyptique : des brasiers dans les champs de tulipes, de terrasses [qui] sont badigeonnées de sang ou encore d’oiseaux dévastés sous les ruines. Réjouissant !
Le temps d’un voyage en train dans le sud, sur le titre È Pericoloso Sporgersi, Burgalat regarde par la fenêtre pour admirer le paysage entre mer et montagne. Mais ce qui le frappe le plus est le défilé des enseignes des centres commerciaux, une poésie de la banalité du quotidien, qui gâche tout : KFC, Decathlon, HomeSalons, Cave à vin, Gémo.
Vous êtes ici est le premier single de l’album, paru l’année dernière lors du premier confinement. Une volonté de Burgalat de le sortir à ce moment-là, tant le titre rentrait en résonnance avec ce que nous vivions, enfermés chez nous, avec pour seul horizon, un voyage immobile offert par Google Earth.
Sur le titre Correspondance, il nous offre un peu de répit dans un dialogue à deux voix avec sa fille Jacqueline : une bouffée d’oxygène aux accents jazzy. La fin de la journée approche et cette perspective l’angoisse. J’ai adoré cette journée, nous dit-il, le champ des possibles se referme petit à petit pour laisser place à la nuit et son lot d’angoisses.
Il est temps de clore cette parenthèse à travers une promenade nocturne au cœur d’une capitale déserte. Le Rêve capital reprend ses droits ! Un morceau inspiré par Annie Le Brun et son refus de notre époque asphyxiante, une mise à distance nécessaire que Burgalat expérimente en poétisant la laideur de notre monde capitaliste.
Bertrand Burgalat s’est une fois de plus entouré d’une équipe de fidèles de la première heure, déléguant une partie des textes à Blandine Rinkel (auteure, danseuse, actrice, musicienne, chanteuse, notamment sur le projet Catastrophe…), Pierre Jouan (Catastrophe), Yatta-Noël Yansané, l’ami de toujours, Marie Möör (auteure, compositeur, interprète) et Laurent Chalumeau (auteur et journaliste) qu’il ne semble pas utile de présenter.
Ainsi que des musiciens de haut vol, Hervé Bouétard (batterie), David Forgione (basse) et Stéphane Salvi (guitare), les fameux Dragon (A.S. Dragon) qui accompagnent le maitre depuis toujours. Difficile de nommer toute cette équipe, car en tendant l’oreille, la complexité des arrangements laissent entendre du trombone, de la trompette, des flûtes et autres saxophones, du vibraphone, du marimba…. Mais on notera quand même la participation de Yuksek à la prog, ce qui vaudra sûrement un tube de l’été mérité à Burgalat !
Rêve Capital se présente comme un album paradoxal en tous points. De son titre énigmatique, transformant le grand capital en rêve dissonant – une nécessité pour échapper au réel dans sa laideur la plus infâme. Mais aussi dans ce décalage constant entre les mélodies pop envoûtantes, déroulant avec nonchalance des propos qui le sont beaucoup moins : une opposition constante entre lumière et noirceur, un clair-obscur surréaliste !
L’album de Bertrand Burgalat, Rêve Capital, est un véritable bijou sonore qui est disponible depuis le 11 juin en double vinyle, CD et digital. Pour l’occasion, son premier album, The Sssound Of Mmmusic, paru en 2000, a été réédité en double vinyle : 20 ans de carrière ça se fête ! Et pour infos, vous pouvez trouver sur le site de Tricatel un bundle avec les deux albums ainsi que le livre Tricatel Universalis, alors pourquoi se priver ?
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Rêve Capital – Bertrand Burgalat
Tricatel – 11 juin 2021
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Image bandeau : Capture YouTube du clip « Rêve Capital » de Bertrand Burgalat.