[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]omment exister artistiquement sans compromission lorsque l’on est musicien aujourd’hui et que l’on a envie de sortir du schéma pop-rock, qui sont malgré tout des racines bien ancrées dans le subconscient ? On efface tout, on se remémore les racines bluesy de sa prime jeunesse en jouant sur les codes d’une musique américaine tournée vers l’Americana, mais en y excluant toute forme de folklore. C’est en tout cas le pari qu’a fait Big Sun, trio Belge francophone de la région de Mons, qui s’est donné les moyens de ses ambitions musicales en prenant le temps d’enregistrer à l’ancienne un disque jouant sur les clairs-obscurs, un disque instrumental qui n’est pas sans rappeler l’ouest des grands espaces.
Nous les avons rencontrés dans leur fief, à Mons, à la maison des artistes, aussi connue sous l’appellation Bains-Douches, là où se déroule quotidiennement leur vie professionnelle.
Le nom du groupe, Big Sun, évoque bien évidemment le soleil, mais votre musique à quelque chose d’assez automnal, voire crépusculaire.
Vous vouliez jouer sur les paradoxes ?
Benoît Casen (Guitares, banjo) : Nous ne voulions pas jouer sur les paradoxes, non. En réalité, le nom vient de l’album Into The Wild d’Eddie Vedder. Il y a un morceau qui s’intitule Big Hard Sun dessus. La définition du mot hard ne correspondant pas vraiment à notre musique, nous l’avons retiré pour ne garder que Big Sun. On trouvait que ça collait bien avec ce que l’on fait.
Boris Iori (Lap Steel, harmonica, guitares) : Personnellement je ne me suis jamais cassé la tête sur un nom de groupe. S’il y a une histoire derrière, c’est bien, sinon, c’est bien aussi. L’histoire, on la fait en faisant la musique.
Votre musique fait référence à l’Americana, ou country alternative si vous préférez, mais sans tout le decorum country qui tourne autour.
Est-ce une attirance pour une Amérique des grands espaces, fantasmée ou non ?
Boris : C’est une longue histoire. Benoît et moi nous nous connaissons depuis 25 ans. Nous sommes allés plusieurs fois aux Etats-Unis ensemble, à la sortie de l’adolescence. Et donc oui, on fantasmait beaucoup là-dessus, les grands espaces… Notre culture est très blues et nous sommes restés très liés à ces mouvements. Elle est très anglophone aussi. Nous avons grandi avec ça. Il n’y avait pas de variété Française à la maison.
Benoît : Nous écoutions tous les deux à-peu-près les mêmes choses. Un de mes premiers chocs musical fut la B.O. du film de Wim Wenders, Paris-Texas, composée et jouée par Ry Cooder. Une révélation.
Dès lors, pourquoi les titres de vos chansons sont-ils en Français ?
Boris : L’histoire tient à notre rencontre avec Renaud Lhoest, qui avait une culture classique, venant du conservatoire. Sa culture était très différente de la nôtre, car il ne jurait que par JS Bach. Il n’était pas très attiré par le format Pop. Mais j’avais envie de continuer de jouer avec lui, ainsi qu’avec Benoît. Nous avons donc décidé de monter le projet à trois. Nous avions envie de quelque chose sans contrainte de temps et de format pour passer à la radio, de refrains, de ponts, de couplets… bref, tout ce qui fait un format radiophonique en fin de compte. Nous voulions nous affranchir des problèmes d’égo, avoir les mains libres… Si j’en parle à l’imparfait, c’est qu’aujourd’hui, Renaud est malheureusement décédé, miné qu’il était par la maladie. Il a pu terminer l’enregistrement de l’album. Même malade, il restait ce musicien solaire qui illuminait lorsqu’il jouait.
Le cinéma tient-il une place importante dans votre musique ?
Boris : Oui. Une place très importante. Renaud travaillait beaucoup pour le cinéma. Il avait collaboré notamment avec Yann Tiersen.
Benoît : C’est vraiment Renaud qui nous a emmené vers le cinéma et la musique instrumentale. C’est une facilité, car c’est compliqué, le texte. Nous avons eu des projets, avec des paroles, en Français notamment, mais comme ce n’est pas notre culture, on ne s’y retrouvait pas. On prenait moins de plaisir. Nous avons aussi eu des projets en Anglais, mais beaucoup nous emmerdaient avec notre accent, ce genre de choses. Personnellement je ne voulais plus de ça. Nous voulions nous concentrer sur la musique parce que c’est ce qu’on fait de mieux.
Boris : Nous avons une aisance dans le propos que nous n’avons pas si on y met du texte.
Comment allez-vous défendre ce disque sur scène ?
En privilégiant les ambiances éthérées de l’album ou allez-vous y incorporer d’autres éléments ?
Benoît : Nous avons déjà commencé à défendre l’album sur scène. Scéniquement parlant, nous avons défini le groupe en trio, avec l’arrivée de Benjamin Gillis au violon. Les claviers présents sur le disque ne seront pas présents en Live. On espère, mais on y croit, trouver un bon équilibre dynamique pour les concerts.
Boris : L’idée est que nous réussissions à mêler nos instruments afin qu’ils ne fassent plus qu’un. Nous jouons beaucoup dans les médiums, ce qui est à la fois une force et une faiblesse. Un faiblesse car moins de couleurs et moins d’extrêmes, mais d’un autre côté nous sommes tous sur la même fréquence d’ondes sonores. Nous essayons de faire entrer le public dans le même train, afin qu’il puisse faire le voyage avec nous.
Benjamin, tu viens aussi d’un milieu très classique.
Benjamin Gillis (violon) : Oui, je viens du conservatoire…
Boris : …il suffit de voir ses vêtements (rires)
Benjamin : Ce que j’aime chez Big Sun…
Boris : …ce sont les cachets mirobolants (re-rires)
Benjamin : J’espère. Non, ce que j’apprécie c’est qu’ici on peut s’investir dans le plus long terme. En classique, on travaille sur un projet et puis c’est terminé. Ici, je me sens exister en tant qu’individu, même si je suis arrivé en cours de route. J’avais déjà tâté du folk dans d’autres projets, mais rien de bien sérieux. Il y a un rapport à la créativité très intéressant.
A la première écoute du disque, c’est le groupe de Jimmy Lavalle, The Album Leaf et plus particulièrement l’album In A Safe Place, qui m’est venu à l’esprit.
Est-ce une référence assumée ou une comparaison hasardeuse ?
En choeur : Nous ne connaissions pas du tout (on écoute un peu).
Boris : C’est le genre d’ambiance que nous recherchons. Quand j’étais plus jeune, je ne rêvais que d’une chose : passer à radio. Maintenant c’est chose faite, puisque avec un autre groupe, nous avons réussi à avoir une rotation importante avec l’un de nos titres. Je suis bien évidemment content, mais je veux mettre ça de côté.
Comment avez-vous atterri sur le label Liégeois Homerecords ?
Boris : Le pôle muséal de Mons m’avait demandé de faire, pour les commémorations du centième anniversaire de la première guerre mondiale, un bouquin avec de la musique. J’ai donc à l’époque réuni Benoît et Renaud et nous avons envoyé le résultat de notre collaboration chez Homerecords. Aussi parce que Renaud était chez eux. Nous avons rencontré le patron du label et nous avons signé. Aussi simple que ça.
C’est un label très éclectique. C’est assez éclaté comme signatures.
Benoît : Ca part en effet dans tous les sens. Par rapport aux trois titres que nous leur avions proposé, ils nous ont dit qu’ils signaient rarement ce genre de musique, mais que si nous faisions dix titres dans ce genre-là, c’était okay.
Boris : Je trouve personnellement qu’ils ne sont pas assez soutenus. Ce qui est agréable avec eux, c’est qu’ils te donnent une liberté totale. La première fois que nous nous sommes rencontrés, ils nous ont dit : « vous faites comme vous voulez, mais surtout pas de singles…« (rires). Ce qui est assez incroyable.
Il y avait tout de même une bonne dose de confiance de leur part.
Benoît : Oui. D’ailleurs, l’enregistrement s’est fait dans des conditions incroyables. Trois semaines dans un studio traditionnel. Exceptés quelques prises de claviers et de piano dû au fait qu’il n’y avait pas de piano à queue dans le studio.
Boris : C’était un confort de travail inédit pour nous. Quinze jours d’enregistrement et une semaine de mixage. Des conditions vraiment optimales.
Tout ça alors que la majeure partie du temps, les labels demandent un produit fini.
Boris : Oui, c’est un luxe incroyable. Renaud était aussi ingénieur du son. Il était donc connu dans le milieu. Ce qui a un peu facilité les choses.
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Big Sun, l’abum, est un disque paisible, où chaque note est à sa place et d’où il se dégage une sensation de sérénité. Nous sommes, vous l’aurez compris, bien loin des clichés musicaux habituels. L’impression d’être dans une bulle hors du temps persiste bien longtemps après l’écoute, ce qui rend le disque joli et attachant. De la belle ouvrage.
Big Sun, chez Homerecords depuis le 09 novembre 2016.
*Merci à Virginie DASPREMONT pour les photos.