La première qualité qu’on peut reconnaître à Pascale Ferran, c’est sa capacité à nous étonner.
Sur une trame étique, elle s’applique à tisser une poésie singulière, éprouvante dans son rapport au temps, émouvante par instant, déconcertante, souvent.
Bird People est un film sur le décrochage. Dans un univers urbain longuement filmé, où les réseaux sont d’abord terrestres (le métro, le taxi) puis aériens, les personnages se détachent progressivement pour accéder à une contemplation en surplomb d’un monde qui les étouffait jusqu’alors. On abandonne la fac pour Audrey, femme, job et enfants pour Gary.
Tout a du sens, tout se comprend. Mais de la même façon que les repères des protagonistes les contraignent, Ferran dynamite en toute discrétion ceux de notre expérience de spectateur. Le film n’est pas véritablement engagé, et dilue souvent son propos dans une gestion du rythme et du temps tout à fait singulière. Très long (2h10) au regard de la maigreur de son récit, il ajoute l’expérience du temps par la dilatation de scènes jusqu’au point de rupture.
L’exposition sur le travail d’Audrey à l’hôtel procède ainsi par insistance sur les gestes, zooms surexplicites sur les numéros de chambre, les tâches à réaliser. On comprend bien l’instance du contrepoint par rapport à l’envolée de la suite du film, ça n’en reste pas moins assez laborieux, de même que l’interminable conversation entre Gary et sa femme, et l’insistance sur le rapport à l’écran et aux casques de tous les citadins.
Il est étrange de se dire que Pascale Ferran, auteur du splendide Lady Chatterley, puisse être taxée de maladresse. Ces procédés forcément volontaires sont cependant assez limités dans leur pertinence et leur efficacité.
Il n’en demeure pas moins que le film est d’une indéniable maîtrise : le cadrage des intérieurs, le travail sur les seconds plans des fenêtres et l’univers orthonormé de l’hôtel sont réellement fascinant. Toute la thématique du détachement dans un cadre impersonnel urbain, sorte de réponse en contrepoint à la sensualité en forêt de Lady Chatterley, est nourrie d’une force plastique indiscutable. Les comédiens sont excellents, et Anaïs Demoustier d’un naturel désarmant qui nous fait accepter à peu près tout ce que cet étrange scénario nous réserve.
A contempler les scènes finales, on se prend à penser que celui-ci fut avant tout un prétexte de metteur en scène : longuement préparées, toutes les séquences vues du ciel sont un film autonome où la jubilation éclate.
Après une course folle dans les couloirs de l’aéroport Charles de Gaulle vue du ciel, de nuit, avec Space Oddity en fond sonore a tout de la récompense absolue : d’une fluidité étourdissante, d’une poésie délicieuse la séquence ne justifie peut-être pas le film dans sa totalité, mais impressionne durablement.