[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J[/mks_dropcap]uillet 1966. Que s’est-il réellement passé le 29 de ce mois d’été ? Personne, à part lui et Sara Lownds, à l’époque son épouse, ne le sait vraiment. Mais avant d’essayer de répondre à cette question, il convient de faire un petit retour en arrière, en ce début 1965 pour être plus précis.
Bob Dylan s’apprête à révolutionner sa musique en passant à l’électricité. Le triptyque Bringing It All Back Home, Highway 61 Revisited et Blonde On Blonde donne un magistral coup de pied dans le fondement du Folk. Beaucoup ne lui pardonneront pas de s’être transformé en banal rockeur, lui qui portait tous les espoirs utopistes d’un public pour partie peuplé d’intégristes voués à la cause contestataire. Bob Dylan tournera sans relâche, de janvier 65 à mai 66. Il est sur les genoux. A l’époque, les drogues, ingurgitées frénétiquement, le laissent exsangue. Mentalement et physiquement, il est sur la corde raide. Il est temps de se faire oublier et de se refaire une santé.
Et donc, le 29 juillet, il enfourche sa moto, une Triumph Tiger, et part rouler. Sara le suit en voiture. Il chute. Les circonstances sont assez floues. Il dit avoir été aveuglé par le soleil, avoir paniqué et avoir freiné brusquement du frein arrière, bloquant illico la roue. Après avoir zigzagué, il se retrouva au sol, le visage mais surtout, selon ses dires, le cou bien abîmé.
Ce dont on est à peu près certain, c’est que chute il y eut. Par contre, en ce qui concerne la gravité des blessures, les avis divergent. Diversion ? Fantasme ?
Depuis ce jour, la rumeur ne cesse d’être alimentée et le débat est loin d’être clôturé. Ce qui est sûr, c’est qu’il disparaitra des radars durant à peu près 18 mois, se retirant du monde pour s’occuper la majeure partie du temps de sa famille. Jusqu’à ce 27 décembre 1967. Date de la sortie de John Wesley Harding.
Ce qui frappe immédiatement l’esprit lors des premières écoutes, c’est la voix. Une voix rocailleuse et âpre qui tranche singulièrement avec ce que l’on connaissait de lui auparavant.
Ensuite, le style. L’album, enregistré aux Columbia Studio A, Nashville, avec l’aide du batteur Kenneth A. Buttrey, que l’on retrouvera plus tard chez Neil Young et chez quantité d’autres, de Charlie McCoy à la basse ainsi que de Peter Drake à la pedal steel sur deux titres, est un disque champêtre, une sorte de retour aux sources du Folk mais teinté de musique country.
Et enfin, les thèmes abordés. Dylan aborde des thèmes spirituels, évoque l’amour, la famille ou encore sa retraite à la campagne (Woodstock, NY, est son port d’attache). On est loin des revendications sous forme de protest songs ou du traitement de l’actualité qui faisaient loi sur les différents chefs – d’oeuvres qui ont émaillé la carrière de l’Américain.
Autant le dire tout de suite : l’album n’arrive jamais à atteindre les sommets franchis avec les albums précédents. Comment aurait-il pu en être ainsi, d’ailleurs ?
Par contre, ce disque est salutaire à plus d’un titre.
Tout d’abord, il contient son classique. All Along The Watchtower, immortalisé plus tard par Jimi Hendrix, qui se l’appropriera tellement bien que ce n’est plus que cette version qui vit dans l’imaginaire collectif, à un point tel que Dylan lui-même la jouera souvent à la manière de…
Ensuite, Bob Dylan nous fait don de son engagement biblique via deux des titres les plus remarquables de l’album, The Ballad Of Frankie Lee And Judas Priest, dans laquelle Dylan « se mettrait » en scène (Frankie Lee) avec son manager Albert Grossman (Judas Priest), alors qu’ils sont brouillés suite aux dépenses faramineuses de ce dernier. Quant à Grossman, il reprochait à Dylan la direction musicale prise qui ne lui plaisait pas. Le deuxième titre est I Dreamed I Saw St Augustine, où Dylan semble rêver d’un passé révolu.
L’isolement et le repentir sont autant de thématiques abordées par Dylan. Drifter’s Escape met en scène un paria vagabond aux prises avec un jugement pour on ne sait quel crime. Certains y voient une allégorie de l’artiste en perdition face à la vindicte de ses fans originels. Tout comme pour I’m A Lonesome Hobo, où Dylan explique qu’il a touché à la corruption, au chantage et à la tromperie (I am a lonesome hobo – Without family or friends – Where another man’s life might begin – That’s exactly where mine ends – I have tried my hand at bribery – Blackmail and deceit – And I’ve served time for everything- ‘Cept beggin’ on the street). La sentence en l’espèce est la perte de ses amis ainsi que de sa famille.
L’album se clôture sur deux chansons optimistes, l’oeuvre d’un chanteur apaisé : Down Along The Cove et I’ll Be Your Baby Tonight. Cette dernière sera reprise et popularisée par Robert Palmer et UB 40 quelques 23 années plus tard.
Concernant la carrière du barde de Duluth, peut-on parler d’une deuxième naissance ? Greil Marcus, dans un entretien avec Serge Kaganski pour les inrockuptibles en 2013, soutient que sa période la plus inspirée est derrière lui, et qu’avec ce disque commence une période erratique qui ne s’achèvera qu’en 1992, date à laquelle sortira Good As I Been To You. Vision assez surprenante qui ne peut que s’asseoir sur une vision contextuelle plus que musicale quand n’importe quel Dylanophile vous dira que ce disque on ne peut plus moyen n’arrive pas à la cheville d’un Blood On The Tracks sorti en 1975.
Pour conclure, John Wesley Harding est un disque relativement réconfortant car l’image qu’il renvoie est celle d’un poète qui, s’il n’a sans doute pas retrouvé complètement la sérénité, tend à y parvenir.
Du moins, pour un temps…
Très bien !