Si vos amis vous font part de leur intention de passer leurs vacances à Booming, petite ville inconnue du Far-West, empêchez-les à tout prix de commettre une erreur qu’ils regretteront toute leur vie – et même les suivantes. L’adjectif « cauchemardesques » semble le plus adéquat pour qualifier les événements qui surviennent dans cette bourgade où la capacité de compréhension des visiteurs se révèle d’emblée extrêmement fragile. Les corps et les objets paraissent dans un premier temps figés, puis, lorsqu’ils bougent, les surprises ses multiplient pour les deux personnages qui constatent, quand leurs yeux accommodent finalement, que les membres de la bande de Kid Padoon, obsédés par la pendaison en série, exercent ici la terreur en toute impunité. Les ennuis ne font que commencer.
Lightouch, échalas passionné par la peinture, et Conchi, Colombien désireux de retrouver sa dulcinée enlevée par le Kid, vont devoir faire face à la cruauté des habitants de Booming et au sens de l’absurde qui est la marque de fabrique de Mika Biermann.
Pour cet écrivain atypique, la narration, même lorsqu’elle est au service du grotesque, est une affaire sérieuse. Son goût pour le détail et sa fascination pour ce qui relève de la souillure (selon ce que confient en souriant ses éditeurs), alliés au caractère impeccable de son écriture et à la vivacité du rythme qu’il sait imprimer à ses textes, en font un auteur passionnant, aussi à l’aise avec le « western quantique » qu’avec le récit d’une expédition polaire totalement débridée (Un Blanc, Anacharsis, 2014). Quoiqu’il raconte et où qu’il aille, on le suivra sans retenue, avec cette espèce de jubilation propre à ceux qui n’ont pas peur d’embarquer dans les aventures littéraires les plus farfelues. Il se joue des codes et des convenances avec ce qui ressemble à une joie enfantine, change de direction plusieurs fois en dynamitant les fondations du récit, défait ce qu’il a patiemment construit, prouvant ainsi que la littérature peut revêtir n’importe quelle forme et que la liberté de création n’a d’autres limites que celles que l’on se fixe soi-même. Dans Booming, les histoires se multiplient et se croisent, à moins qu’il ne s’agisse d’une seule et même histoire se déroulant dans plusieurs dimensions, mais peu importe, car ces ramifications savamment juxtaposées apportent au roman une ampleur exceptionnelle et le plaisir du lecteur ne fera qu’augmenter au fil des pages. Mika Biermann a beau emprunter plusieurs voies, il ne perd jamais la maîtrise de la narration et impressionne par cette folie partiellement domptée, qu’il emploie toujours à bon escient : là où d’autres enchaîneraient les incohérences ou les lourdeurs, il fait preuve d’une habileté tout bonnement renversante.
Booming a des allures de Mercier et Camier réécrit par un Pynchon déterminé à faire court, et ce livre sur l’amitié intemporelle de deux hommes que tout paraît opposer risque bien de vous faire passer, en un éclair (boum !), du rire aux larmes. C’est l’outsider de la rentrée, qu’on se le dise.
Lisez un extrait ici :
Booming, de Mika Biermann, paru aux Editions Anacharsis, Août 2015.