Il y a 4 ans, nous laissions en ces pages un relevé d’informations préoccupantes concernant Bruit Noir avec demande d’hospitalisation sous contrainte pour une entrée en schizophrénie, probablement dysthymique. Depuis, sans nouvelles de l’entité bicéphale, nous imaginions le meilleur : une amélioration ou stabilisation de l’humeur, des propos à nouveau cohérents, une abrasion du délire, enfin … quelque chose de rassurant.
Autant dire que l’écoute de IV/III fait littéralement office de douche froide. Bouaziz et Pires ne vont pas mieux et tiennent à le faire savoir : désorganisation et vol de la pensée, ambivalence des propos, mégalomanie et incurabilité, hallucinations auditives et j’en passe. A ce niveau, on ne parle plus d’entrée en psychose mais de résidence permanente en bouffée délirante aigüe. Ce qui implique une zone de turbulences, d’inconfort, à faire passer II/III pour un aimable brouillon.
Passé une introduction, aussi glaciale que vacharde, qui pose à sa façon ce qui aurait dû se dérouler sur les prochaines quarante minutes, IV/III va déployer son chaos sans aucun temps mort. L’album débute réellement par Coup D’état et son refrain imparable, plume trempée dans l’acide, humour à très haute teneur calorifère, voix saturées et illustration parfaite du cauchemar vécu par un schizophrène envahi par des voix qui le persécutent. Ça enchaîne avec Chanteur Engagé, diatribe d’une mauvaise foi hilarante sur l’engagement politique avec tir à l’arme de destruction massive sur certains «collègues», aussitôt nuancé (hum …) par un hommage très acide à Prince.
Allez, jusque là, vous vous marriez bien ? Bouaziz va refroidir vos ardeurs en dégainant le scud de l’album, Le Visiteur. Morceau central terrifiant, bouleversant, qui vous laisse pantois, sans voix, et change du tout au tout le regard que vous pouviez avoir jusque là de IV/III. De la potacherie bien acide et irrévérencieuse, on passe dans une autre dimension, bien plus désespérée, une forme d’auto-destruction d’un jusqu’au-boutisme absolument effrayant.
Bien sûr, ce qui suivra Le Visiteur sera du même tonneau que ce qui l’a précédé : acidité (Calme Ta Joie), vitriol ( le gilet-jaunesque Béatrice, complément de Coup D’état dans le regard que le groupe porte sur lui-même) et humour trash (au hasard, les dernières paroles d’Animaux), avec, en sus, un tube très Cure/New Order en or massif, au refrain hilarant (renvoyant au Greedhead Detector de Julian Cope). Mais, quand arrive la dernière note de Deux Enfants, l’arrière-goût que laisse IV/III ressemble beaucoup plus au désespoir qu’à autre chose. Car ce que raconte Bruit Noir, tout au long de ce disque, n’est ni plus ni moins la fin d’une existence, la leur, l’extinction d’une espèce, la nôtre. Et dans ce cas, à quoi servent les filtres quand on sait la fin proche ?
A rien.
Aussi, IV/III ressemble aux derniers instants d’un duo kamikaze, une oraison funèbre absurde dans laquelle la pudeur n’a aucune place. La pudeur, c’était bon pour Mendelson (on appréciera au passage le très court hommage qui lui est rendu à la toute fin de Deux Enfants). Ici, tout vole en éclats, toutes les émotions se télescopent, s’entrechoquent dans un fracas effarant. Le discours, d’une rare négativité, est parfaitement soutenu par les arrangements de Jean-Michel Pirès. Les choix musicaux, minimalistes, sombres, cette volonté de ne laisser aucun temps mort, aucun silence entre les morceaux accentue ce sentiment d’oppression (parfaitement rendu par ces scansions «Bruit Noir», telles des respirations bradycardisantes), de catastrophe imminente, cette sensation d’un disque qui va droit dans le mur, en laissant tout espoir de côté.
Chris Marker disait que l’humour était la politesse du désespoir. La politesse, Bruit Noir la piétine sauvagement et livre avec IV/III un disque ravageur, à ne pas mettre en toutes les oreilles, non pas du fait de son absence de filtres, mais surtout de par son absolue désespérance. Le voyage est rude, sans issue et sans concession. Âmes sensibles, vous voilà prévenues.
Ici D’ailleurs – 15 septembre