A l’occasion de la sortie de Grande est La Maison, le premier album de cabane, nous avons eu le plaisir et le privilège de poser quelques questions à Thomas Jean-Henri, l’architecte en chef de ce projet.
Ce nom vous dit sûrement quelque chose, puisqu’en effet, le bonhomme est loin d’être un inconnu : il s’est d’abord fait connaître sous le nom de Thomas Van Cottom et en tant que batteur pour le groupe belge Venus, à leur début, pour l’album Welcome To The Modern Hall en particulier.
Il s’est ensuite distingué en compagnie d’Aurélie Muller au sein de Soy Un Caballo et joué avec An Pierlé, Bonnie Prince Billy ou bien encore Silvain Vanot et produit Stromae. Le revoilà donc avec cabane et un magnifique disque sur lequel il accueille d’impressionnants invités.
En effet, Will Oldham et Kate Stables (This Is the Kit) se partagent le micro, seuls ou en duo sur 8 des 10 titres de l’album délicieusement arrangés par le grand Sean O’Hagan (The High Llamas), excusez du peu !
On n’oubliera pas non plus de citer l’ensemble Bost Gehio pour les chœurs, Caroline Gabard et Sam Genders (Tunng) pour les textes et Ash Workman (Metronomy, Baxter Dury) pour le mixage.
Ce bel équipage se met aux services des compositions douces-amères de Thomas Jean-Henri, entre folk lunaire et pop majestueuse, et qui décrivent un quotidien loin des vicissitudes du monde et donnent envie de se réunir entre amis pour partager amours et colères.
Thomas Jean-Henri a accordé un entretien à Lilie Del Sol afin de nous expliquer, avec toute sa délicatesse et sa gentillesse, la démarche de ce projet qu’est cabane.
Pourquoi avoir choisi ce nom de “cabane” ? Et pourquoi utiliser le nom de “cabane” qui veut bien dire “petite habitation” et nommer l’album “Grande est la maison” ? J’ai bien une idée mais dis-nous ?
Thomas Jean-Henri : La définition de la cabane, c’est “endroit temporaire pour se protéger des intempéries” . J’ai donné plusieurs sens au terme “intempérie”. Ça pourrait être une intempérie politique, sociale, sentimentale ou amoureuse. Je me suis rendu compte de ce besoin qu’on pouvait tous avoir d’avoir cet endroit à soi, un endroit dans lequel on se sent protégé… sachant bien que c’est un lieu temporaire ; C’est fondamental pour moi : l’idée d’un projet temporaire autant à travers les collaborations que j’ai eues ou à travers la publication très épisodique des morceaux… j’ai vraiment envie de garder cette chose là très fragile et très temporaire. Il n’y a pas de construction, d’idées, de plans, de devenir un grand groupe.
Je suis quelqu’un qui a beaucoup de chance parce que j’ai plusieurs envies, plusieurs passions et je fais aussi de la photo et donc j’ai une série de photos qui s’appelle “Grande est la maison” et pour moi ces deux mots vont très bien ensemble. Parce que quel que soit notre besoin de cabane, de ce petit endroit où se sentir isolé, à l’abri, on ne doit pas oublier d’ouvrir nos maisons, “Grande est la maison”. Alors ça peut être considéré comme un geste politique dans tous les sens du terme c’est à dire une prise de position dans ce qu’il se passe et cette idée effectivement d’ouvrir alors qu’en ce moment toutes les portes se referment partout. J’ai envie de garder les maisons grandes ouvertes…
Et pour moi, dans ma définition, la maison c’est le cœur et il faut que nos cœurs restent grands ouverts, qu’on fasse du mieux qu’on peut face à tout ça.
Comment as-tu réuni un tel casting pour t’accompagner sur ce projet ?
Je ne sais pas trop comment l’expliquer… il y a des choses totalement incompréhensibles pour moi. Je compose dans mon fauteuil, dans ma maison, ou en voyage quand j’ai la chance de voyager ou en résidence ou à la mer ou chez mes parents à la campagne et je ne comprends pas très bien pourquoi chez moi tout d’un coup quand je termine un morceau parfois je me dis : “tiens ce serait super beau que Will Oldham chante cette chanson là ! “ Will Oldham, n’est pas un ami, on se connait depuis 20 ans mais on a du passer pas plus de 4 à 5 soirées ensemble. On ne se connait pas très bien personnellement, mais ce sont des gens comme nous, comme toi, comme moi et je me dis que s’ils aiment bien quelque chose et bien ils le feront.
Le plus difficile en fait c’est d’entrer en contact avec eux. J’ai la chance d’avoir été entouré de gens extrêmement talentueux au cours de ma vie et donc je peux les contacter.
Et donc voilà le casting de rêve de cabane, ce sont des gens avec qui j’ai eu l’occasion de travailler par le passé et à qui j’ai proposé de collaborer, certains ont refusé d’ailleurs.
En fait j’ai très peu de peur, quand j’ai envie de proposer je le fais et on verra.
Mais ça rend le projet encore plus particulier parce que par exemple, j’ai envoyé des morceaux à Will Oldham il ne m’a jamais répondu, c’est pour ça que ça a pris du temps : parfois ça tombait peut être mal pour lui ou il ne les aimait pas…
Pour Kate Stables c’est un peu différent parce que c’est vraiment une amie depuis très longtemps. Elle avait déjà chanté sur l’album de Soy Un Caballo, on a fait une Blogothèque ensemble, une tournée, c’est une femme que j’aime profondément et que j’admire beaucoup. Et j’ai tout de suite entendu sa voix en composant les morceaux de cabane.
Pour Sean O’Hagan c’est la même chose c’est lui qui avait produit l’album de Soy Un Caballo et nous étions restés en contact à la fin du projet. On est tous les deux passionnés de football et on se voit régulièrement et c’est lui qui m’a remis le pied à l’étrier en me disant qu’il fallait que je recommence à faire de la musique parce que j’avais arrêté pendant plusieurs années, 6 ans je crois pour mener une autre vie.
D’autres sont très importants aussi : Caroline Gabard et Sam Genders qui m’ont aidé à mettre des mots sur certaines choses. Ils sont aussi importants pour moi que Will ou Kate qui ont des noms plus ronflants mais ce sont tous des gens que j’aime et j’ai la chance qu’ils m’entourent.
Grande est La Maison est un projet qui semble très personnel mais aussi un vrai travail d’équipe. Comment as-tu trouvé l’équilibre entre toi et tes invités et n’as tu pas eu peur finalement de perdre la maîtrise de ton propre disque ?
Oui et non parce que ça a toujours été très clair que cabane est mon projet. Ce n’est pas un groupe, je n’impose pas aux gens que ce soit un groupe, c’est moi qui décide de tout. Je ne fais pas tout tout seul et je m’entoure de gens qui ont des qualités ou des compétences que je n’ai pas, on collabore. Si un jour il y a un 2ème disque de cabane ce sera peut être avec d’autres chanteurs, ce sera peut être moi qui chanterai… Ce sera peut être un film ou un documentaire…
cabane c’est mon endroit temporaire pour me protéger ou me réconforter des choses extérieures.
Mais où est donc passé l’Îlot part 1 ?
Qu’est-ce que je vais te dire ? (rires) La vérité c’est que j’adore qu’on se pose cette question là ! C’est une des raisons pour lesquelles il y a des part 2 et des part 3.
J’aime bien qu’on se demande “mais où est la partie 1 ?” j’aime l’idée qu’on puisse imaginer à quoi aurait pu ressembler la partie 1.
L’autre explication mais qui est moins romantique, c’est que j’ai vraiment une liste incommensurable de versions de chaque morceau, ça a pris du temps de composer tout ça.
Et la dernière chose qui est aussi importante c’est que j’ai un autre projet avec mon amoureuse qui s’appelle Elise Peroi qui est artiste textile. On travaille sur une performance qui s’appelle “seuil”, qui s’appelait “Îlot” et c’était une façon de relier ce projet à ce travail là parce qu’il y a des instrumentaux que j’ai pu jouer dans notre performance qui étaient peut être liés à cabane.
Grande Est La Maison s’accompagne d’un documentaire, de photographies, dirais-tu que ton œuvre est plus que musicale et qu’elle fait partie d’un tout ?
Oui tout à fait ! J’ai la chance d’avoir des envies qui sont multiples, qui ne sont pas que musicales et qui sont complémentaires, donc oui ça fait un tout. J’ai vraiment conçu l’album de cabane comme un miroir, comme des choses qui se reflètent, qui s’opposent, qui se répondent. Comme je disais il y a une série de photos qui s’appelle “grande est la maison”, il y a aussi “qu’as-tu gardé de notre amour”, il y a des choses qui se répondent.
Donc oui c’est un tout et j’ai la chance de pouvoir le faire ou en tout cas de me donner les possibilités de le faire. Parce que cet album est auto-produit, je n’ai pas de label, je n’ai pas de management, je fais tout tout seul, ici, à la maison. Parfois je m’entoure de gens qui ont des compétences et qui peuvent m’aider mais essentiellement c’est quand même tout seul et c’est autofinancé, c’est une des raisons pour lesquelles ça a pris autant de temps.
J’ai travaillé en tant que tour manager ou régisseur de tournée ou de spectacles pour pouvoir financer cette chose là. Et c’était important pour moi de l’auto-financer, cet espace temps qui se faisait entre ces moments où je travaillais beaucoup pour gagner de l’argent. Ça m’arrivait en travaillant de me dire : bon cette semaine en travaillant je me suis payé une session avec ce musicien, un violoniste pour une prochaine session cordes ou 2 ou 3… ou payer mon prochain voyage en Angleterre pour travailler avec Sean… C’était comme des moteurs. Donc oui ça fait partie d’un tout. cabane c’est un peu comme la médecine chinoise. Tout est lié. On est influencé par tout. Et j’espère pouvoir continuer à faire toutes ces choses là. C’est important pour moi.
Pourquoi sortir encore un disque en 2020 ?
Ah bah j’te l’demande ! Honnêtement j’aurai aimé être plus fort moralement et me tenir à l’idée de ne pas sortir ce disque. De sortir un seul et unique exemplaire, de proposer de faire des écoutes…
Je suis fondamentalement en désaccord avec la façon dont on traite la musique, dont on traite l’écoute, et là je parle autant des auditeurs que des journalistes. Je suis pas quelqu’un de passéiste, je pense qu’il faut vivre avec son temps et accepter les choses telles qu’elles sont sans rancœur aucune mais je suis pas d’accord quoi. Voilà. J’aime pas ce système de spotify, cette omniprésence du numérique comme ça, cette bibliothèque immense où tu te perds complètement… Je me sens assez mal à l’aise avec ça.
J’étais vraiment convaincu de ne sortir qu’un seul exemplaire et c’est en en parlant pour le documentaire avec mes amis que je me suis rendu compte que notre rapport avec la musique était totalement différent. Moi je l’idéalise en le comparant à un livre ou un film, j’aime l’unique, j’aime l’idée de garder quelque chose en mémoire. J’aime beaucoup cette idée de garder une musique en mémoire, de ne pas pouvoir l’emporter avec soi.
Mais il faut l’avouer, la musique a cette force d’accompagner nos vies, dans les moments importants et on sait qu’il y a des morceaux qu’on a écoutés dans un tram, dans un train, en croisant le regard de quelqu’un qui a bouleversé notre vie ou que ça nous a été d’un grand réconfort à un moment de notre vie.
Alors évidemment je ne dis pas du tout que ma musique a ce pouvoir là mais j’ai aimé que mes amis remettent mon avis déterminé bien en question et me pousse à sortir le disque.
J’ai bien aimé aussi comment mon papa a réagi (cf le documentaire), il pensait que c’était une idée marketing…
Mais donc pour en revenir à ta question qui est “pourquoi sortir un disque en 2020 ?” hé bien je reprendrai ce que dit Nicolas Michaud à la fin du documentaire : “l’erreur serait de ne pas faire de disque”. Il faut continuer à faire des choses, si on a des envies, des idées, il faut juste le faire, il faut continuer mais il faut pas en attendre grand chose en fait. Voilà.
Comment vois-tu l’avenir de la musique et de la production d’album à notre époque ?
Ce qui me touche beaucoup c’est que quand j’ai commencé à faire de la musique au début des années 90, la musique que je faisais passait tout le temps à la radio, Venus passait beaucoup en radio. Et toute la musique urbaine qui maintenant monopolise les médias était tout à fait marginale donc je trouve ça assez beau ce retour de flammes. La seule chose qui pose problème comme à l’époque, comme maintenant, c’est l’uniformisation. Il y a tellement de choses à écouter… Dans mon pays ici en Belgique quand on écoute la radio nationale c’est encore une vieille vision du monde c’est à dire qu’on entend toujours de la variété française, de la musique urbaine française alors que la Belgique, et bien heureusement, ce n’est plus ça ! Pourquoi on ne passe pas de la musique Portugaise ? Camerounaise ? Espagnole ? Italienne ? Turque ? Moi je vis dans le quartier Turc ici à Bruxelles, on n’entend jamais une musique turque. Alors que c’est ça la Belgique, c’est ça Bruxelles ! C’est ce mélange et encore une fois par rapport à Grande est la maison il faudrait ouvrir ! Il faudrait que ces radios publiques soient là pour montrer les multiples couleurs, ouvrir au multiculturalisme de notre société. C’est une force !
Cet album aura-t-il une vie scénique ? Et si oui où ? Quand ? On veut tout savoir !
(Rires) Alors il y aura très peu de concerts de cabane. Ce n’est pas un projet qui va s’accommoder de tournée. De toute façon il n’y a pas de demande pour ça. Donc l’idée c’est de faire un concert ici à Bruxelles le 8 Mai aux Nuits Botaniques et un autre à Paris le 14 Mai au Centre Wallonie Bruxelles. Il y aura Caroline Gabard et Kate Stables avec moi sur scène et peut être d’autres… qui chanteront les chœurs avec nous.
Encore une fois j’ai envie que cabane soit un projet éphémère qui va apparaître à ces deux dates
La seule chose que je voudrais ajouter c’est que les tournées ça m’a éreinté en fait, c’est violent la vie en tournée, en tout cas pour quelqu’un comme moi et je n’ai plus l’âge ni la force de faire ça. On a l’impression que c’est toujours super beau les tournées mais c’est super dur aussi ! Il y a beaucoup d’ennui, de route, de voyage pour 1h ou 2 par jour, où on fait de la musique.
Pour terminer, il faut l’avouer, je ne suis pas une grande bête de scène, je ne suis pas un grand musicien, j’ai un peu le charisme d’une patate (rires) donc je pense que les gens ne perdent pas grand chose à ne pas voir l’album de cabane en live.
Découvrez le documentaire que Thomas Jean-Henri a consacré à cabane :
Merci à Thomas Jean-Henri pour sa gentillesse et sa disponibilité
Grande Est La Maison
de cabane
sorti le 28 février chez cabane records
Photos : Jean Van Cottom