Toutes les semaines jusqu’au 19 décembre, retrouvez une sélection hebdomadaire de conseils de cadeaux de Noël littéraires pour vous guider dans vos achats en librairie et… faire plaisir !
Les choix de Dominique
Forté de Manon Heugel et Kim Consigny
Paru chez Dargaud, septembre 2019
[dropcap]Q[/dropcap]uoi de plus agréable que de passer les fêtes de fin d’année en musique ! Pour cela, suivez touche après touche (de piano), le récit concocté par l’autrice et réalisatrice Manon Heugel. Elle vous conduira tout droit sur les traces de l’œuvre de Chopin, à travers l’apprentissage musical de Flavia, dont l’énergie communicative n’a d’égale que son talent naissant de concertiste hors-pair.
Découpée en trois chapitres au nom évocateur (Prélude, Sonate et Nocturne), la bande-dessinée croque les instants de vie, tantôt tragiques, tantôt emprunts d’émotions, de la jeune Brésilienne. Quittant sa favela natale, celle-ci arrive à Paris pour y trouver le savoir. Mais au sein de la prestigieuse École normale de musique, elle va aussi rencontrer l’amour. Et ça, ce n’était pas vraiment prévu ! Choisira-t-elle le séduisant Paul ou les heures de travail lui offrant de se faire une place sur la scène de la musique classique ?
Vous le saurez en lisant avidement les 208 pages de Forté – qui signifie « jouer fort » – porté par le dessin simple mais pas simpliste de Kim Consigny. Les personnages sont, en effet, bien croqués, sans pathos mais avec gravité parfois, au gré des relations d’amitié, de la découverte de la vie en colocation, des tensions inhérentes à la recherche d’un boulot alimentaire, etc. Les moments de franche rigolade sont aussi bien présents, nourrissant l’espoir d’une vie meilleure pour Flavia, dont le retour en fanfare est attendu avec impatience dans son Brésil natal…
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Les choix de Velda
L’Accident de l’A35 de Graeme Macrae Burnet traduit par Julie Sibony
Paru chez Sonatine éditions
[dropcap]G[/dropcap]raeme Macrae Burnet, écrivain écossais passionné par Simenon et Chabrol, situe pour la deuxième fois son roman L’Accident de l’A35 à Saint-Louis, petite ville alsacienne où il avait déjà déroulé la tragique histoire de La disparition d’Adèle Bedeau. Georges Gorski, enquêteur, est confronté à un étrange accident de voiture qui a provoqué la mort de l’avocat Maître Barthelme. Problème : l’honorable magistrat n’avait rien à faire à cet endroit-là, à cette heure-là. Ce qui fait désordre à Saint-Louis, ville bourgeoise confite dans ses habitudes et ses bonnes manières… Gorski, qui vient d’être plaqué par sa femme, va se lancer de façon obsessionnelle dans cette enquête qui en dérange plus d’un, et pénétrer ainsi dans les secrets de famille les plus inavouables. Graeme Macrae Burnet fait une fois de plus la preuve de son savoir-faire imparable et son style sobre, élégant et ironique est incomparable quand il s’agit de démonter les mécanismes d’une société moisie, fermée, dépourvue d’émotions.
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Je ne sais rien d’elle de Philippe Mezescaze
Paru chez Marest éditeur, mars 2019
[dropcap]A[/dropcap]vec Je ne sais rien d’elle, le romancier Philippe Mezescaze réussit l’élégant tour de force d’offrir au lecteur simultanément l’émotion de l’autobiographie et le plaisir du récit romanesque. L’auteur / narrateur est revenu à La Rochelle, la ville de son enfance, pour assister au tournage d’un film tiré de sa propre histoire et de celle de sa mère Irène. Sur le port, là-bas, une actrice incarne Irène, un petit garçon joue son rôle; sensation d’étrangeté, de mélancolie et d’amertume. La ville est toujours la même, et pourtant rien n’est comme avant. La maison de la grand-mère a été vendue, la famille ne s’est pas déplacée pour l’occasion… Solitude, amertume. Comment le tournage d’un film pourrait-il élucider les mystères qui entourent la vie d’Irène, cette mère venue d’ailleurs, fuyante, absente, fantasque, belle, déprimée ?
Non, les mystères resteront bien en place, et le narrateur égrènera au fil de son séjour des bribes de souvenirs, des bouffées d’émotions et de chagrin, jusqu’au départ. Quitter La Rochelle, assumer son homosexualité – Philippe Mezescaze fut le compagnon du regretté Hervé Guibert – essayer de vivre sa vie d’homme quand les nœuds de l’enfance ne sont pas dénoués… Roman à la fois délicat et cruel, au titre en parfaite adéquation avec le récit, Je ne sais rien d’elle est un de ces bijoux rares et discrets, de ceux qui passent trop souvent inaperçus et sur lesquels on aimerait bien jeter un peu de lumière…
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Les choix de Marion
Les Indes fourbes par Alain Ayroles et Juanjo Guarnido
Paru aux éditions Delcourt, août 2019
[dropcap]L[/dropcap]es Indes Fourbes, une bande-dessinée d’aventure passionnante et truculente ! Sur le papier, la bande dessinée Les Indes fourbes convainc déjà : nous retrouvons au scénario Alain Ayroles, auteur de l’excellente saga jeunesse De capes et de crocs, et aux illustrations Juanjo Guarnido, le dessinateur de Blacksad, série tout aussi exceptionnelle. Le fruit de la collaboration de deux virtuoses du 9eme art, donc. Alors, cet album est-il à la hauteur de ce qu’on pouvait en attendre ?
Nous suivons l’aventure improbable de la fripouille sympathique Don Pablos de Ségovie, et sa quête de richesse dans ce qu’on appelait encore “les Indes” à cette époque, la mystérieuse et fascinante Amérique. Ayant fait la promesse de ne jamais travailler pour gagner sa vie, ce filou voit dans la légende de l’Eldorado une promesse d’or à profusion et prend la mer pour rejoindre ce continent exotique. Jeté par dessus bord suite à une énième tricherie, il sera tour à tour recueilli par d’anciens esclaves, fait prisonnier, trouvera le moyen de s’échapper et inventera les stratagèmes les plus fous pour parvenir à ses fins. Son voyage sera constellé de folles péripéties, l’amenant de la Cordillère des Andes aux rives de l’Amazone, le faisant passer du dénuement total à une abondance digne des princes. Mais peut-on vraiment faire confiance au narrateur, ce protagoniste déjanté qui ment comme il respire et imagine des fables au gré de ses humeurs ? Où se trouve réellement la vérité ?
L’histoire est divisée en trois chapitres, qui apportent chacun un éclairage différent sur l’intrigue et nous invitent à remettre en question ce qui a été raconté précédemment. Et le dénouement final nous surprend, splendide et inattendu. Le graphisme est magnifique, les couleurs collent parfaitement à l’ambiance du récit, et c’est avec un réel plaisir que l’on découvre l’histoire de cet arnaqueur invétéré, qui trouve toujours un moyen de rebondir face à des situations qui semblent sans issue à l’aide de mensonges inventifs. Le personnage en devient attachant, malgré ses actes parfois dénués de la moindre éthique. Mais c’est aussi ce qui est jouissif dans cet album : cet éclairage réaliste et bourré d’humour truculent sur la condition humaine, et ce pied-de-nez à la moralité. On se retrouve accroché aux tribulations haletantes de notre héros, on rit de ses mésaventures,, on s’émerveille face aux retournements de situation.
En conclusion, Les Indes fourbes est l’une des grandes bandes-dessinées de l’année 2019. Amateurs d’aventures picaresques, de fresques historiques, d’humour noir ou tout simplement passionnés de fables réussies, la liste des personnes à qui cette oeuvre plaira est large. Un beau cadeau à mettre sous le sapin, car pour ne rien gâcher l’objet en lui-même est magnifique : un grand format (25×34 cm) cartonné splendide dont la pagination (160 pages) comblera tout le monde !
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Les choix de GringoPimento
Trouver l’enfant de Rene Denfeld traduit par Pierre Bondil
paru chez Rivages, janvier 2019
[dropcap]L[/dropcap]e roman de Rene Denfeld, Trouver l’enfant s’étend sur 360 pages. S’il met du temps à trouver son rythme et à nous embarquer, les cent dernières pages, palpitantes et éprouvantes, emportent la donne sans aucune discussion. On les lit avec les yeux brumeux, les poils dressés et surtout sans pouvoir s’arrêter.
Une fois le livre refermé, on se dit que l’auteur a su créer une ambiance, utiliser une narration aussi lente que l’enquête elle même, une progression infinie dans la neige qui recouvre tout (parfois même les corps) pour nous prendre par surprise avec la dernière partie de son livre.
Naomi, enquêtrice à son compte, cherche les enfants disparus. Dans Trouver l’enfant, c’est la petite Madison qui manque à ses parents. Depuis déjà trois ans. En désespoir de cause, ils demandent à Naomi d’aller sur ses traces. Mais ce n’est pas tout. Rene Denfeld fait enfler son récit avec l’histoire d’une autre enquête de Naomi, aidant une maman autiste dont le bébé est porté disparu depuis quelques semaines. Et surtout, elle dévoile, petit à petit, par quelques échanges oraux, quelques souvenirs, le passé terrible de Naomi.
Trouver l’enfant est un livre épuisant et éprouvant mais magnifique. Une lecture qui ne peut s’oublier et dont on attend la suite impatiemment.
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Les choix de Typhaine
Mémorial de la terre océane, de Kenneth White traduit de l’anglais par Marie-Claude White
paru chez Mercure de France, juin 2019
« Ici en Armor nous sommes arpenteurs des brumes de l’espace et du temps »
Au gré du vent et ses solitudes, le long des hautes légendes, à flanc de falaises pleines d’écume et d’oubli, Kenneth White, poète écossais résidant en France depuis de nombreuses années, dessine un estuaire de vers aux allures de haïku…
L’inventeur de la géopoétique parsème son littoral intérieur de petites stèles nomades, gravées par le sel et les mots.
Une poésie habitée par un territoire et une poésie qui habite tout en même temps ce dernier, voilà la force de ce conteur hors pair, porté par des éléments naturels jaillissant au-delà de l’humain.
Le choix d’une édition bilingue renforce la puissance de ces espaces qu’il nous faut sillonner, entre sonorités hypnotiques d’une langue et traduction de sa fable dans une autre.
A parcourir à voix haute, en silence, de manière fragmentée ou d’une seule traite, mais toujours au rythme de la marche. Un cadeau pour faire le plein d’iode littéraire…
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Les choix de Sandrine
Les mangeurs d’argile de Peter Farris traduit par Anatole Pons
Paru aux éditions Gallmeister, août 2019
[dropcap]L[/dropcap]e Diable en personne avait imposé l’américain Peter Farris comme une voix singulière, avec laquelle il allait falloir compter. Mêlant habilement violence et poésie et reprenant les thèmes de prédilection de l’auteur, Les Mangeurs d’argile, troisième roman au titre intrigant, s’avère tout aussi fascinant.
A quatorze ans, Jesse Pelham perd son père à la suite d’une chute mortelle en forêt. La vie de l’adolescent s’effondre soudain, la perte de ce père avec lequel il partageait l’amour de la nature, de la chasse et de la pêche, le précipitant dans des abîmes de tristesse. Il ne reste dès lors au jeune homme que sa belle-mère, avec laquelle il entretient des rapports distants, sa petite sœur qu’il aime tendrement et un oncle prêcheur, cynique et ambitieux.
Jesse se réfugie dans les bois, où il se sent chez lui, pour cacher sa peine. Il y fait la connaissance d’un étrange vagabond nommé Billy, ancien militaire et plus encore, recherché depuis des années par le FBI. Lequel va lui révéler la vérité sur l’accident de son père, dont il a été témoin… Tandis que des mafieux tournent autour de son oncle, dont le véritable visage nous est peu à peu dévoilé, et que sa belle-mère et le shérif local lui semblent de plus en plus suspects, Jesse perd pied et ne sait plus en qui avoir confiance. Il se tourne donc vers Billy…
Comme de coutume, Peter Farris plante un décor digne d’un grand film noir dans lequel évoluent mafieux implacables, flics ripoux et laissés pour compte. Dans un style brut et efficace, empreint de poésie et de lyrisme lorsqu’il parle des étendues sauvages de la Géorgie, l’auteur dépeint sans concession aucune cette Amérique gangrenée par l’argent, la violence et la corruption.
Et ce faisant, il décrit magistralement l’ambivalence de l’être humain : à l’extrême noirceur des anti-héros sans scrupules ni états d’âme qu’il met en scène s’opposent la pureté et la loyauté sans faille du jeune Jesse et de son père disparu, lumières parmi les ombres. En résulte un formidable roman noir, nerveux et implacable, qui vous tient en haleine de la première à la dernière page.
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Contes de Noël de Charles Dickens, traduction de Marcelle Sibon et Francis Ledoux
Disponible chez Folio, 2012
[dropcap]Q[/dropcap]uel plaisir, en cette période de fin d’année, que de se plonger ou replonger dans des récits qui célèbrent l’esprit de Noël et nous redonnent un peu du bonheur oublié de nos lectures d’enfance ! Si vous aspirez à quelques heures de douceur loin du bruit et de la fureur du monde, rien de tel que ce recueil de contes pour adultes du célébrissime auteur anglais Charles Dickens (1812-1870). Le père de David Copperfield et d’Oliver Twist y déploie merveilleusement ses thèmes fétiches et nous montre sa capacité à ne jamais désespérer d’un homme, « fût-il aussi impitoyable que le vieux Scrooge », inoubliable personnage du conte le plus célèbre, Un chant de Noël (1843).
Ebenezer Scrooge, homme d’affaires misanthrope, déteste Noël : il n’y voit qu’une perte d’argent, des employés payés à ne rien faire et des pauvres demandant l’aumône. Qu’importe que son charmant neveu l’invite à partager sa table, le vieil avare n’a qu’une hâte : que toutes ces « sornettes » soient enfin terminées. Mais voilà qu’en rentrant chez lui la veille de Noël, Scrooge se retrouve nez-à-nez avec son ancien associé, Jacob Marley. Ou plutôt son fantôme, Marley étant mort plusieurs années auparavant.
Errant depuis lors dans les limbes, enchaîné au poids de ses pêchés, Marley vient délivrer un message à son vieil ami. Trois esprits viendront lui rendre visite tour-à-tour au cours de la nuit du 24 décembre pour tenter de sauver son âme, et si notre vieux grigou n’ouvre pas enfin son cœur, il sera condamné lui aussi à errer après sa mort. La nuit s’annonce donc aussi effrayante que porteuse d’espoir pour Scrooge…
Emplis de fantômes, de spectres, de pauvres et braves gens malmenés par la vie, de sombres personnages que l’on ne voudrait pas croiser, les cinq contes de ce recueil, que je vous laisse découvrir, débordant d’humanité, célèbrent l’esprit de Noël, le partage et la charité. Et c’est un bonheur de se laisser porter par leur charme suranné avec un regard et un cœur d’enfant, de trembler, de rire et de pleurer avec les personnages de ces histoires.
En utilisant la magie du conte, Charles Dickens nous livre à la fois un portrait sans concession de la vie dans le Londres victorien et une condamnation de l’exploitation et de la misère qui ne laissent pas indifférents. Mais il nous renvoie aussi à des valeurs simples dont il fait parfois bon se souvenir, à l’image de ces hivers d’antan, tous de neige vêtus, au cours desquels adultes et enfants joyeux se rassemblaient autour d’un feu de cheminée pour partager un bon repas et chanter des cantiques. En un mot comme en cent : magique !