Peu importe comment classifier ce texte. Prose poétique, poésie narrative, roman initiatique dans un monde post apocalyptique. Édith Azam vient évidemment de la poésie, et nous a habitué depuis Décembre ma ciguë, premier texte édité chez le prestigieux éditeur P.O.L., en 2013, à des livres d’une densité plus forte encore que ces textes poétiques du début, c’est dire.
C’est dire puisque la sensibilité de la poétesse découverte au festival de Lodève au feu festival des Voix de la Méditerranée (ou elle fut conseillère littéraire), a résonné fort dans les têtes de ceux qui ont pu l’entendre lire ces poèmes. La diction d’Édith Azam est indissociable de la lecture que l’on fait de ces textes. Son premier ouvrage Létika Klinik (Dernier télégramme, 2006), témoignage sur un passage en clinique psychiatrique mettait déjà les bases d’un style, poésie orale, inventive et touchante, dans la veine d’un poète tel que Charles Pennequin. Puis cette sensibilité s’est affirmée au fur et à mesure des textes, pour arriver à ce texte profond et réjouissant.
Caméra, c’est l’histoire de cette héroïne, Caméra qui a « souvent rêvé qu’elle accueillait un nom, qu’elle ne dirait pas. » Caméra, c’est un peu une Alice perdue dans un pays de cauchemar. D’abord face à un mur de briques rouges « goût de sang ». Puis, pour s’en détacher, de ce mur imbécile elle descend, s’enfonce dans un monde de guerre, dévasté. « Visages diaboliques empalés sur des piques, coupe de machette, villages en feu, viols et torture », Caméra rencontre dans ce monde des êtres fantastiques tels que l’oiseau-silex, la tortue-barbue ou encore la sphinx-zébré. On suit alors la marche de Caméra, dans ce monde qui rappelle celui ou lutte Hauru, héros du dessin animé d’Hayao Miyazaki : Le château ambulant (voir image ci-dessous). Parallèle peut-être surprenant mais Édith Azam écrit ici comme si elle dessinait une bande dessinée fantastique. C’est le poétique qui le permet. D’autres murs encore se dresseront, mur « qui s’étire et s’épaissit en écrasant les villes et les vies alentour ».
Mais, n’oublions pas le mot, le langage qui est le cœur de Caméra. « Caméra lit, autrement dit, elle participe. Elle vit la syntaxe d’un souffle qui ne lui appartient pas, n’appartiendra jamais à personne. Un souffle cabré, insoumis. Et c’est cela, Caméra, qu’elle veut aller chercher, ce coup bref, ce souffle, et s’y conjuguer jusqu’au verbe, le bon verbe écrivant la puissance d’exister ». Elle lutte, par cette marche, pour les mots, pour la puissance des mots qui retiennent, telle un miroir, la mémoire. Cette marche de l’héroïne semble s’imposer, malgré la douleur qui arrive, la mort aussi, autant à l’auteur qu’au lecteur.
Édith Azam nous offre un livre ovni, qui ne se range pas si facilement dans une bibliothèque. La sensibilité, cette volonté de faire sortir le langage, les mots en dehors qu’elle avait durant ces lectures et dans ces livres de poésie est ici décrite avec toute la force de cette imagination que l’on ose à peine qualifier de romanesque. Gageons que les mots sortent encore de la bouche et de l’esprit brillant d’auteur(e)s comme Édith Azam.
Caméra de Édith Azam paru aux éditions P.O.L., Juin 2015.