Samedi 20 mai 2017 : A l’assaut de la Forteresse
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]our le tout nouvel accrédité, Cannes se présente d’abord comme un terrain conquis. Dès le matin, pour les « projections du lendemain », après un contrôle sévère aux portiques qui vous donne le sentiment de prendre l’avion plusieurs fois par jour, on entre dans le Palais et ses abords avec la satisfaction évidente d’avoir accès au Saint des Saints. Devant la salle, une allée (au tapis rouge, bien entendu) vous fait passer devant des barrières derrière lesquelles piaffe la foule des spectateurs non accrédités. En quittant la séance, le badge vous permet d’accéder aux terrasses du palais. Salle de presse climatisée avec bar Nespresso, équipement informatique, tout est fait pour vous donner les meilleures conditions de travail.
Le hasard a voulu que votre envoyé spécial ait fait trois fois le même circuit, sortant de la salle du Soixantième Anniversaire pour y rentrer à nouveau, enchaînant ainsi trois projections, avec une petite pause en salle de presse.
Lorsqu’on quitte le palais (il faut bien, à un moment donné, se nourrir), on tombe sur une foule d’anonymes brandissant des pancartes, mendiants d’invitations pour les projections de gala. L’invitation est un mystère : on la récupère au hasard, on l’échange, on la négocie. Les billets sésames sont partout et nulle part, et on vous aborde en permanence pour en glaner l’une ou l’autre.
Le soir, le programme propose une projection de presse du Redoutable de Michel Hazanavicius. Séance à 19h30, en salle Debussy, soit l’une des plus grandes salles après celle du Grand Théâtre Lumière. On y va confiant, puisqu’il ne s’agit pas d’avoir d’invitation. Une heure à l’avance, soyons prudent.
C’est l’heure d’apprendre : les badges presse ont une couleur. Addict-Culture est en jaune, et je me dirige donc vers la file dédiée, avant de constater que celle pour les badges bleus fait plusieurs centaines de mètres. Le « jaune » à côté de moi dans la file commence à m’expliquer la hiérarchie : les bleus sont prioritaires, mais doivent eux-mêmes céder la place aux roses, qui s’inclinent devant les « roses pastillés », qui s’agenouillent devant les blancs. Là, on vous parle de sommités que le Festival supplie de venir, qui fendent la foule au dernier moment pour aller prendre les places les plus prestigieuses.
Peu de chances pour le jaune que je suis d’accéder à la projection de presse d’un film « côté », donc : on laisse passer tous les puissants, et la sécurité avise si la plèbe accréditée pourra obtenir quelques sièges.
Le hasard en a voulu autrement hier soir. Le protocole a descendu les marches en retard et dans un état d’agitation inhabituel pour nous sommer de reculer et d’évacuer les lieux. Alerte au colis suspect. Toute la queue se désorganise, et je m’en vais en des lieux plus sereins, à la Quinzaine, qui mêle dans une sereine mixité grand public et journalistes de tous bords.
Okja
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]endant dix années idylliques, la jeune Mija s’est occupée sans relâche d’Okja, un énorme animal au grand cœur, auquel elle a tenu compagnie au beau milieu des montagnes de Corée du Sud. Mais la situation évolue quand une multinationale familiale capture Okja et transporte l’animal jusqu’à New York où Lucy Mirando, la directrice narcissique et égocentrique de l’entreprise, a de grands projets pour le cher ami de la jeune fille.
C’est toujours risqué d’attendre un film avec une telle impatience… BONG Joon Ho reste certes fidèle à certaines de ses thématiques, notamment dans le thème de la créature issue des errances scientifiques humaines, sujet de The Host. Mais là où il avait toujours su mélanger les registres, il opte pour une ligne claire assez frustrante : Okja est un conte contemporain, à la limite de la mièvrerie sur certaines séquences, et qui joue la carte de la fable satirique le reste du temps.
On reconnait bien la maîtrise du cinéaste, au fil de séquences bien rythmées, comme celle de l’extraction de la bête ou sa virée dans un supermarché, et sa sincérité en matière de dénonciation sur les violences faites aux animaux est indiscutable. Les acteurs hollywoodiens Tilda Swinton, Jake Gyllenhall et dans une moindre mesure Paul Dano s’en donnent à cœur joie sur le registre caricatural, jusqu’à fatiguer. La morale est verbeuse et surexplicite, l’émotion voulue ne parvient pas toujours à faire mouche. Et faire la satire du marketing tout en pratiquant le placement de produit pour Apple est d’une ironie assez triste.
Jupiter’s Moon
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]U[/mks_dropcap]n jeune migrant se fait tirer dessus alors qu’il traverse illégalement la frontière. Sous le coup de sa blessure, Aryan découvre qu’il a maintenant le pouvoir de léviter. Jeté dans un camp de réfugiés, il s’en échappe avec l’aide du Dr Stern qui nourrit le projet d’exploiter son extraordinaire secret. Les deux hommes prennent la fuite en quête d’argent et de sécurité, poursuivis par le directeur du camp. Fasciné par l’incroyable don d’Aryan, Stern décide de tout miser sur un monde où les miracles s’achètent.
Cocktail cannois innédit : un film Hongrois sur les migrants, oui, mais baignant dans les aptitudes des super héros, voilà qui est plus surprenant…
Jupiter’s Moon a clairement le mérite de son audace : film social ne ménageant en aucune manière la société hongroise où la corruption pourrit toutes les fonctions (flic, médecin…), c’est surtout un thriller qui brille par des séquences de lévitation renversantes, dans tous les sens du terme. La caméra s’affranchit de l’apesanteur, virevolte et revisite l’espace avec une puissance et une véritable grâce par instants. Kornél MUNDRUCZÓ est doté d’une maitrise indéniable, et il y a fort à parier qu’Hollywood finira par chercher à le débaucher.
Reste le problème de l’écriture. Les coutures entre les morceaux de bravoure sont souvent bien grossières, et les voies que prend le propos, à grand renfort de rédemption et de thématiques chrétiennes, plombent sérieusement la légèreté aérienne des images…
The Square
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]hristian est un père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux enfants. Conservateur apprécié d’un musée d’art contemporain, il fait aussi partie de ces gens qui roulent en voiture électrique et soutiennent les grandes causes humanitaires. Il prépare sa prochaine exposition, intitulée « The Square », autour d’une installation incitant les visiteurs à l’altruisme et leur rappelant leur devoir à l’égard de leurs prochains. Mais il est parfois difficile de vivre en accord avec ses valeurs : quand Christian se fait voler son téléphone portable, sa réaction ne l’honore guère… Au même moment, l’agence de communication du musée lance une campagne surprenante pour The Square : l’accueil est totalement inattendu et plonge Christian dans une crise existentielle.
Cannes semble avoir trouvé le successeur à Toni Erdmann, l’éclat de rire parfois crispé qui avait balayé la Croisette l’année dernière. Après Snow Therapy, le réalisateur suédois Ruben ÖSTLUND s’attaque donc au monde de l’art contemporain : entre suffisance et politique, communication et mondanité, la satire est féroce, et souvent juste. Traquant les faiblesses et les médiocrités humaines, le cinéaste exploite sa maîtrise plastique des espaces pour enfermer ses personnages dans les rôles qu’ils jouent et faire d’eux les pantins de sa cruelle performance. Les liens sont évidemment nombreux entre les situations et l’insolite offert par l’art contemporain, certaines situations conduisant à une absurdité assez hilarante (la scène du gorille humain, celle du préservatif). Le film n’est cependant pas dénué de maladresses. Trop long (presque 2h30), s’égarant dans quelques pistes narratives dispensables (les enfants du personnage principal, par exemple), il verbalise à l’excès une morale qui aurait pu gagner en subtilité, et surtout rester plus ambivalente.
Otez-moi d’un doute
Erwan, un solide démineur breton, perd soudain pied lorsqu’il apprend que son père n’est pas son père. Malgré toute la tendresse qu’il éprouve pour l’homme qui l’a élevé, Erwan enquête discrètement et retrouve son véritable géniteur : Joseph, un vieil homme des plus attachants, pour qui il se prend d’affection. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, Erwan croise en chemin l’insaisissable Anna.
Labellisé « Comédie française avec Cécile de France » le nouvel opus de Carine Tardieu explore sans complexe tous les ressorts inhérents au genre. Les personnages secondaires sont soignés, les situations cocasses, empruntant par moment au vaudeville, à d’autres à la chronique familiale. Deuil, paternité choisie ou biologique, filiation, conflit de génération… Une projection qui valait surtout pour son ambiance, les quelques 850 spectateurs du Théâtre Croisettes étant acquises à la cause de François Damiens et ses vannes immanquables.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]e matin, le Grand Theâtre Lumière fut enfin conquis : le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, et les projections à l’aube en découragent visiblement un certain nombre. Et là, tout recommence. Le protocole vous guide : pas d’accès à l’orchestre, uniquement au balcon ; pas au centre, de côté ; pas trop bas non plus.
Mais rassurons-nous : une fois la lumière éteinte, l’écran est si grand qu’il estompe toutes les barrières.
[mks_button size= »large » title= »Retrouvez tout notre dossier Cannes 2017 ! » style= »squared » url= »http://chk1191.phpnet.org/tag/cannes-2017/ » target= »_blank » bg_color= »#f5d100″ txt_color= »#000000″ icon= » » icon_type= » » nofollow= »0″]