[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]ans le cadre de notre partenariat avec le Très court international film festival j’ai souhaité parler avec une des réalisatrices sélectionnée dans la catégorie Paroles de Femmes. J’ai donc rencontré Juliette Chénais, jeune réalisatrice pour qu’elle nous parle de son parcours mais aussi de la résonance de la Femme dans son travail.
Bonjour Juliette, je te contacte pour que nous parlions un peu de ton travail. J’ai découvert ton court métrage : « Je suis lesbienne » et j’ai eu un coup de cœur pour ton regard. Tu as fait le choix de tout filmer en gros plan du coup on est immédiatement immergés dans cette scène, comme si nous étions avec elles.
En fait, je filme très souvent en gros plan la plupart de mes personnages. J’aime être au plus près de mes personnages, analyser leurs expressions. Car la psychologie des personnages qui m’intéresse et le gros plan reste le meilleur moyen de faire passer des émotions. Pour moi, c’est ça le cinéma : faire passer des émotions.
Et alors on va revenir à une question très simple, qui es-tu ? Raconte moi tout !
Alors moi c’est Juliette Chenais, je suis cinéaste et photographe. En tant que cinéaste j’écris mes propres scénarios, je cadre moi-même et je fais aussi le montage. Et d’ailleurs « Je suis lesbienne » est un extrait d’un long métrage que j’ai réalisé l’été dernier. J’ai finalisé le long métrage dernièrement car je voulais le proposer à Cannes pour la quinzaine.
D’accord et donc tu l’as terminé à temps ?
Oui oui, il n’a pas été sélectionné mais le très court « Je suis lesbienne » rencontre un petit succès avec la communauté lesbienne et de ce fait j’ai proposé mon long métrage à un festival à Montréal et il va donc être présenté dans les jours qui viennent.
Ah félicitations ! Et alors la version longue s’appelle comment ?
Il s’appelle « I Want You ».
D’accord ! Ce serait chouette qu’on puisse le voir nous aussi ! Il faut trouver un distributeur.
Ah mais je cherche justement à le distribuer ! Je suis partie sur ce projet que j’ai totalement créé de A à Z (écriture, mise en scène, cadrage, montage…) et je cherche un distributeur.
Et alors ce projet est né comment ?
En fait ça fait 3 ans que je fais un long métrage par an. Et cette fois-ci je ne voulais pas attendre d’avoir un producteur. J’ai décidé de le faire avec mes petits moyens, de me lancer toute seule. Mes deux autres longs métrages étant toujours dans les tiroirs des producteurs, tout est très long, j’avais envie d’aller au bout d’un projet, même si je devais le faire toute seule. Donc au mois d’août dernier je suis partie avec une petite équipe de comédiens et comédiennes en corse. J’ai écrit les détails du scénario sur place en m’adaptant aux gens qui m’entouraient, aux lieux, aux ambiances, aux conditions… Le film est donc né comme ça, et il a donc été écrit et réalisé au mois d’août.
Du coup c’est en autofinancement total ?
Oui, l’équipe connaissait du monde en corse donc nous étions logés, on a partagé les frais de séjour et moi j’ai tout l’équipement. Mais en fait je réalise la plupart mes courts métrages comme cela.
Même pas peur ! (rires) Et alors dis moi tu as quel parcours du coup ?
Alors j’ai donc fait une fac de cinéma à Paris et à Marne la Vallée où j’ai eu mon master. Après mes études j’ai fait la connaissance d’un mouvement de cinéma, le Kino, qui est à l’origine de ma façon de travailler aujourd’hui.
Tu nous expliques ce qu’est le Kino ?
En fait c’est un mouvement underground de cinéma indépendant qui est né à Montréal en 1999. En prévision du bug de l’an 2000, ils ont fait des courts métrages qu’ils présentaient au public tous les mois. Une sorte d’urgence à faire, qui fait naître une spontanéité et une fraîcheur nouvelle qui se ressent dans les films kino et qui m’a plu. La devise du mouvement est d’ailleurs : « Le faire avec rien, le faire avec peu mais le faire maintenant ». C’est pour ça que l’aventure du long métrage l’été dernier ne m’a pas fait peur, j’ai adapté la technique que j’avais développé grâce à kino au long métrage.
Mais les comédiens que tu choisis sont professionnels aussi ?
Oui oui bien sûr. Après j’ai une manière de travailler bien particulière, ils s’engagent sans connaître réellement le scénario ni l’évolution de leur personnage, il faut être ouvert et accepter de se jeter dans l’inconnu. Du coup c’est des gens qui me font confiance et qui ont l’habitude de travailler avec moi. On tourne 24h/24h, j’ai des idées qui me viennent donc on les met en scène immédiatement et hop on filme !
Tu n’as jamais aucune idée de ce que va donner ton film ? Des images en tête…
Si, en l’occurrence la scène qui constitue le très court « Je Suis Lesbienne » je l’ai eu très vite en tête. C’était pour moi une des scènes « climax » du film long métrage que j’avais envie de faire. J’avais envie de filmer le fait que ce n’est pas parce qu’on est au lit avec une lesbienne – ou qui se soit d’ailleurs – que la personne va avoir envie de coucher avec nous. Montrer que ce n’est pas une obligation, qu’on peut aussi se prendre une claque, c’est la réalité du désir.
[mks_pullquote align= »left » width= »250″ size= »24″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]Je me refuse à montrer les femmes en situation de faiblesse[/mks_pullquote]
Oui et tu écorches au passage les hommes dans cette scène.
Quand elle dit que clairement un homme n’aurait jamais refusé !
Ah oui oui tout à fait, c’est mon côté un peu féministe « cash » qui parle dans ces cas là.
Justement tu m’ouvres la porte pour en parler. Ton film est clairement féminin, te retrouver dans la sélection « Paroles de femmes » du Très Court festival j’imagine que ce n’est pas un hasard ?
J’ai vu 3 de tes courts métrages sur ta chaîne youtube et on voit que tu fais un cinéma engagé, tu as la volonté de faire passer des messages.
En fait je ne cultive pas l’envie de faire passer un message absolument mais c’est vrai qu’on ne fait pas du cinéma sans avoir quelque chose à dire. Et c’est vrai que naturellement les personnages féminins sont toujours très forts, plus forts que ce qu’ils seraient dans la vie et plus fort que ce que je suis moi même. Mais je me refuse tellement à montrer des femmes en situation de faiblesse. Par exemple dans mon film « Le sexe 2.0 » j’ai voulu aller dans les extrêmes en inter-changeant les situations où les hommes imposent ou demandent à la femme des choses qu’elles n’aiment pas. Et dans « Je Suis Lesbienne » c’est aussi le cas. La dernière phrase du film n’est pas là par hasard. C’est tellement rare qu’une femme dise « Si tu veux tu peux m’sucer ! ». la sexualité de la femme est tellement un tabou. Un homme qui dit ça ça fait rire alors qu’une femme ça va choquer. Le fait qu’elle prenne cette liberté de le dire sur ce ton c’est la mettre en position de force, pour une fois. C’est tellement rare ! J’aimerais que ce genre d’image interroge, provoque une véritable réflexion chez le spectateur.
Dans tes courts métrages et il est souvent question d’amour ou de relations sexuelles, c’est assez représentatif de ta filmographie ?
Oui en fait mes films parlent tous de ça mais je dois dire qu’au fur et à mesure la femme prend une place de plus en plus importante et est de plus en plus forte. Je parle aussi de l’amitié féminine.
Tes projets maintenant c’est quoi ? Le développement de « I want you » ?
Oui bien sûr, j’en ai un autre à finaliser aussi pour lequel je cherche des financements. Et puis en parallèle je travaille sur un autre projet. Je vais faire un nouveau long métrage l’été prochain sur l’avortement. Le nouvelle particularité c’est que ça va être un film d’époque, des années 1900-1920 sur le mouvement des femmes, des suffragettes en France qui se sont battues pour le droit de vote sans jamais rien obtenir de leur vivant et qui – dans mon film – se trouvent finalement confrontées à un autre combat, celui de l’avortement. Le tournage se déroulera en Bretagne.
Ah mais là tu vas avoir besoin de budget pour les costumes pour un film d’époque ?
Non non non je vais me débrouiller avec une amie costumière, ma grand-mère… on va y arriver !
Super ! Alors bonne chance pour la suite ! On suivra tes aventures.