«Un jour on n’écrit plus. On ne sait pourquoi »
Sophie G. Lucas a connu une période, de Juin 2011 à Avril 2012, où l’écrit devient torture, devient une absente qui rend triste ou une tristesse qui impose une absence. Pourtant Sophie G. Lucas est une poétesse nantaise prolifique. Elle a écrit, depuis son premier texte en 2005, pour la revue Décharge, dans la collection Polder, Ouh la Georgie (édité chez Gros Textes) jusqu’à Notown en 2013 aux éditions Les états civils.
Carnet d’au bord, édité également en 2013 aux Éditions Potentille est donc le récit de cette période d’aphasie. Cette poétesse qui n’arrive plus à retrouver le fil de l’écriture est une habituée de ce que l’on appelle les petites maisons d’éditions, dénomination qu’elle n’aime pas. Sa poésie oscille entre regard, par le prisme du poétique, sur la société ; les S.D.F. de Moujik Moujik (Les états civils, 2010) ou encore la désertification de la ville de Détroit dans le déjà-cité Notown, aux sujets plus intimes comme la mort de son père dans Négre blanche (Le dé bleu, 2007) qui a reçu le prix de la poésie de la ville d’Angers présidé par James Sacré.
Carnet d’au bord fait donc parti de ces textes sur l’intime. Il y a même une intimité exprimée avec concision, une intimité de la douleur.
« Juillet,
Fissure. »
C’est à un véritable travail de sauvetage auquel se livre la poétesse. Elle prend son journal comme un devoir même si « les mots sont vides et paresseux ». Les mois passent et la neige arrive « comme un cadeau », ce qui rappelle que son texte publié en 2011 Se recoudre à la terre (avec neige) (Contre-allées, coll. Lampes de poche) pourrait survivre à la neige.
Puis arrive le printemps 2012 « Tout se recrée ». Sophie G. Lucas apprend à vivre avec cette mélancolie, cette tristesse « pas plus petite, […] juste plus douce » . La reconquête s’annonce et le Carnet d’au bord devient plus lumineux, ne perd pas cette précieuse précision qu’avait la noirceur du début. Tout au long de ces saisons, elle avait appris de cette aphasie, appris à regarder, à prendre soin d’y voir dans le paysage le côté salvateur. On sent que le trajet qui mène à la reprise de l’écriture a quelque chose de l’ordre de l’acceptation de ce « soulèvement intérieur » que provoque, par exemple, une balade en forêt, et de l’importance du silence. D’ailleurs, le carnet se termine par une citation de Jeanne Benameur :
« Celui qui écrit accepte de refaire alliance avec son silence intime ».
Carnet d’au bord, Sophie G. Lucas (Éditions potentille, 2013).
Sophie G. Lucas tient un blog: Appartement 22.