En 2009 le film Castaway On The Moon de Lee Hae-joon sort sur les écrans coréens, c’est un échec commercial mais au fil des ans il gagne l’estime de nombreux fans et remporte des récompenses dans plusieurs festivals.
Deux protagonistes qui ne semblaient pas destinés à se croiser
En 2009 Federico Pellegrini s’apprête à sortir un troisième album sous le nom de French Cowboy. Les qualités de l’artiste ne sont plus à prouver, après plusieurs superbes années au sein des Little Rabbits, sa carrière semi-solo affirme à chaque nouvel essai son talent.
En 2009 E’Joung-Ju, musicienne coréenne qui perpétue la tradition du geomungo (instrument traditionnel coréen – détails à venir) s’installe en France. Après un long apprentissage de cet instrument en Corée et dix ans passés au sein de l’orchestre régional de Gwangju, elle part découvrir le monde.
A l’instar des 2 protagonistes de ce film sud-coréen, dont je vous conseille fortement le visionnage, les trajectoires de E’Joung-Ju et Federico Pellegrini ne semblaient pas destinés à se croiser.
Mais depuis ses débuts en solo, Federico Pellegrini nous a montré qu’il savait s’entourer d’artistes/amis. Il a su frotter sa folk-electro-pop aux influences de chacun et ainsi créer des pépites inédites poursuivant l’oeuvre entamée en groupe. On peut noter d’ailleurs que les Little Rabbits en leur temps surent s’associer au DJ Laurent Allinger pour créer des sets lives dont les aficionados de performances vivantes gardent un souvenir plus qu’éblouissant. Les croisements ne lui sont donc pas étrangers.
Pas plus qu’à E’Joung-Ju d’ailleurs, dont la carrière montre sa volonté permanente de confronter et proposer sa musique d’origine traditionnelle à d’autres cultures, d’autres approches musicales. Pour exemple, elle participe en 2013 au projet Camkytiwa, un groupe à l’image très symbolique, réunissant quatre femmes venant de quatre pays d’Asie de l’Est dont les relations culturelles et politiques ont toujours été tendues. Profitant de leur présence commune sur le territoire français, elles décident d’œuvrer à un projet artistique commun.
En ces temps où la mixité culturelle peut en inquièter certains, des défricheurs comme E’Joung-Ju ou Federico Pellegrini maintiennent l’espoir d’une diversité enfin vécue comme enrichissante et épanouissante.
International n’est pas le titre de l’album, c’est juste une indication, ou pas, peut-être juste un mot posé là. Le mot international désigne les interactions entre diverses nations. Quelles que soient ces interactions d’ailleurs.
Ici il n’est question que de partage, pour le plaisir de tous.
Le geomungo (littéralement « cithare – grue noire ») est un instrument de la famille des cithares constitué de seize frettes et six cordes. Inventé en Corée depuis plus d’un millénaire, il est généralement joué en position assise. Les cordes sont pincées avec un bâton de bambou et produisent une sonorité profonde et grave.
Il n’est pas d’album de Federico Pellegrini sans évocation du temps qui passe, du temps perdu.
Les premières mesures de l’album nous transportent immédiatement en des contrées cinématographiques dont le franco-italien est coutumier. Le lien avec l’ambiance de sa dernière collaboration, l’excellent Western, est évident.
Pourtant les accents du premier titre Pinball semblent plus mélancoliques, le texte plus désespéré. L’atmosphère me rappelle d’ailleurs la bande originale du film islandais Nói Albínói de Dagur Kári. Bande originale créée par le réalisateur lui-même, accompagné de Orri Jenison, sous le nom de groupe Slowblow. A découvrir également (le film ET la B.O.F.). Le film explore la vie d’un adolescent en marge, Nói, dans un village de pêcheurs reculé du nord ouest de l’Islande. Le texte de Pinball (flipper en français, activité adolescente s’il en est) faisant alors un étrange écho à ce film.
You’d better leave me alone when I’m playing pinball / I like the way things are when I’m playing pinball
There’s nothing I regret when I’m playing pinball /Nothing can happen to me when I’m playing pinball
Le monde de l’adolescence étant la transition douloureuse et déchirante entre le monde de l’enfance et celui des adultes, le titre suivant est un retour à l’enfance. Tinker Bell (Fée Clochette) évoque l’univers de Peter Pan et ses thèmes chers (l’éveil à la sexualité, les adultes qui attendent la reconnaissance, le refus des responsabilités, la solitude). Le geomungo est ici plus présent et ses étranges sonorités, entre percussion et pincement de cordes, créent une atmosphère onirique mystérieuse. Allongé sur un lit qui se met à flotter, Tinker Bell propose un voyage céleste de 7 minutes entre rêve et réalité, entre les étoiles qui scintillent et les corbeaux qui croassent. Magique.
Le retour à la réalité – adulte – et à ses inévitables tourments est brutal. She Says est un titre qui tranche nettement avec le caractère apaisant du reste de l’album. En effet la voix doublée de Federico assène une liste de reproches formulés par une femme qu’on imagine en harpie. Le synthé agacé soutient cette épuisante litanie et le martèlement du geomungo achève le calvaire d’un homme qui semble harcelé par celle qu’il tente en vain de contenter. Un You’d Better Run salutaire conclut ce morceau dont on sort quelque peu irrité, à moins d’avoir pu courir et crier et sauter en tout sens au milieu de son salon, de sa chambre, de son jardin.
Il n’est pas d’album de Federico Pellegrini sans évocation du temps qui passe, du temps perdu. L’album de Moon Gogo ne fait pas exception et le sobrement intitulé Time est la clé de voûte d’un album comptant 7 compositions. A mi-album, ce titre signe par son rythme, sa mélodie et son thème la patte du franco-italien. Loin d’effacer la présence de la joueuse coréenne et de son instrument, l’homme reste au premier plan sur la quasi totalité des morceaux. Charisme oblige.
L’acmé de l’album est atteinte avec le titre suivant, Dust, la fusion entre la folk-lowfi du nantais et les sonorités percussives de la coréenne est parfaite. L’ensemble crée une tension jouissive. Quelque chose entre In The Mood For Love tourné par Sergio Leone, ou Happy Together par Quentin Tarantino. Difficile à imaginer certes mais il y a toujours cette impression de dualité entre sensualité et baston. Reste que c’est toujours Wong Kar-wai qui dirige et en effet dans ce morceau c’est le geomungo qui mène la danse. Magnifique. Et je me prends à rêver que la collaboration entre ces 2 artistes n’en restera pas là, il y a encore beaucoup à découvrir.
Le titre suivant Let’s Shout nous ramène dans cette atmosphère décrite au sujet du film islandais, mais dans quelque chose de légèrement différent. Imperceptiblement la surface de ce qui semblait froid et épuré se craquelle pour révéler quelque chose de plus inquiétant. A l’image du film Curling de Denis Côté qui raconte la vie d’un père qui élève seul sa fille dans le froid canadien. Ils vivent dans un motel miteux dont le père est le gérant. Tout ici n’est que banalité, nullité du quotidien. Pourtant peu à peu des images dérangeantes, mais jamais explicatives, sourdent et viennent entacher cet apparent réalisme austère affiché au début du film. Dans Let’s Shout, la maison semble plus grande maintenant que nous sommes seuls, les petits autour de la table posent des questions qui n’ont pas de réponse. On parle de la mort, est-ce qu’elle se termine un jour, elle aussi? Le silence est si vrai. Hurlons. Tragédie froide et réaliste. L’adolescent du début est un adulte face à la réalité.
Pour terminer sur une note plus enjouée et agréable, jouissive même, Candy Store parle, plus qu’il ne suggère, d’un désir libéré. L’homme à la merci de l’autre qu’il supplie de se laisser toucher. Dans cette attente impatiente du moment où l’autre se donnera, le désir s’exprime en demandes réitérées. Ce candy store là évoquant le lieu de tous les plaisirs, comparé à la tombe – la petite mort – puis aux portes du paradis. Orgasmique.
Entre l’Asie et l’Occident, un voyage contemplatif et introspectif
Le premier album de Moon Gogo nous transporte avec une apparente simplicité et une attitude de branleurs (ça c’est pour le lien avec la dernière chanson) dans une multitude d’images et d’émotions. Entre profondeur et légèreté leur musique fait le grand écart entre l’Asie et l’Occident, proposant un voyage contemplatif et introspectif. Un pont entre d’une part la nostalgie et les inquiétudes de l’enfance et de l’autre les plaisirs et la brutalité de la réalité de la vie adulte.
2009 fut déclarée, par l’assemblée générale des Nations Unies, Année de l’Astronomie, pour célébrer Galilée qui 400 ans plus tôt pointait une lunette vers le ciel. Il découvrait alors, entre autres, les montagnes et les cratères de la Lune.
Est-ce la confluence de ces éléments qui mena à la rencontre de Jeoung-ju et de Federico ? Est-ce la Lune qui ourdit secrètement cette union ? Est-ce également elle qui inspira le nom du groupe ? Ou est-ce simplement un jeu de mots avec la prononciation de l’instrument coréen (Go-moon-go)
Peu importe. Moon Gogo est à écouter absolument. De très nombreuses fois. A gogo … En espérant les voir très vite en concert.
Moon Gogo est disponible depuis le 4 septembre 2015 chez HavalinaRecords