[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]utant vous le dire tout de suite, Rebecca Solnit est féministe. Que cela vous plaise ou vous fasse fuir, je vous propose de redéfinir ce terme ô combien décrié et incompris. féminisme : nom masculin (latin femina, femme). Mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société. Attitude de quelqu’un qui vise à étendre ce rôle et ces droits des femmes : Un féminisme actif.
Dans Ces hommes qui m’expliquent la vie, recueil de neuf articles écrits entre 2008 et 2014, on trouvera donc les principaux thèmes du féminisme : les abus des hommes de pouvoir et ce que leur révélations entraînent dans nos sociétés, les préjugés ancrés profondément, les combats restant à mener, la libération de la parole et l’évolution lente des traditions patriarcales.
Le premier article relate une soirée en 2003 où l’auteure fait les frais d’un misogyne : cet homme rencontré au milieu d’inconnus lui vente un article qu’il n’a pas lu mais dont il est persuadé de la qualité. Elle en est l’auteure, mais l’homme n’entend et n’admet pas que celui-ci n’émane pas d’un homme. Un cas de mansplaining dans toute sa splendeur. Le ton est donné par Solnit.
Le combat qui nous oppose aux Hommes qui nous Expliquent la Vie a brisé bien des femmes – de ma génération et de la génération suivante donc on a pourtant tant besoin, ici et au Pakistan, en Bolivie et à Java, et je ne parle même pas des femmes innombrables qui m’ont précédée et à qui on a interdit l’accès aux laboratoires, aux bibliothèques, aux débats, à la révolution ou même à cette catégorie qu’on appelle humanité.
Plus loin, on enchaîne sur un article datant de 2013. L’auteure traite des viols en réunion aux Etats-Unis jusqu’à la tristement célèbre affaire DSK et Nafissatou Diallo. L’onde de choc et de révolte qui s’en est suivi est incroyable. Analyser les différentes réactions est très instructif : malgré les faits et malgré l’enquête en cours, les prises de parole remettant en doute la crédibilité de la femme de ménage sont légion. N’est-ce pas d’ailleurs une habitude dans nos sociétés ? Lorsqu’une femme ose déclarer avoir été agressée, ne se demande-t-on pas très rapidement qui elle est et si elle n’a pas une vie ou une attitude qui appelle la violence ? La fameuse idée de la jupe trop courte est profondément ancrée dans bien des têtes.
Parvenir à apprécier les avancées sans non plus se reposer sur ses lauriers est une tâche délicate. Il faut pour ça garder l’espoir, rester motiver et ne pas quitter des yeux la récompense au bout du chemin. Affirmer que tout va bien ou qu’on n’obtiendra jamais plus est le meilleur moyen de stagner, de se freiner.
Rebecca Solnit évoque plusieurs cas marquants qui ont suscité le débat et marquer les esprits. Je pense notamment à celui d’Anita Hill, accusant son patron de harcèlement sexuel. L’audience se passe en 1991 pour des faits antérieurs à 1986, où le terme même de harcèlement sexuel n’existait pas. La vague d’accusation contre elle, même de la part de journalistes, est démentielle. Chaque argument pouvant la décrédibiliser et prouver qu’elle ne cherche que la notoriété est bon à prendre. Le leitmotiiv « Je te crois Anita » est devenue un slogan féministe poussant à continuer les combats. Car grâce à Anita Hill, les travailleurs et travailleuses ont pu acquérir dès 1992 le droit de porter plainte pour harcèlement sexuel en milieu professionnel. Une libération de la parole sans précédent.
Plus récemment, elle évoque aussi la tuerie d’Isla Vista en 2014, où un jeune homme de 22 ans, motivé par sa haine des femmes, en tue 6 et en blesse 14 avant de retourner l’arme contre lui. Cet acte abjecte fera naître certaines recommandations hallucinantes sur les campus, visant à protéger les femmes tout simplement en les cloîtrant chez elle. On réagit de toutes parts avec la création du hashtag #Yesallwomen.
C’est une guerre, mais je ne crois pas que nous la perdions, même si nous ne sommes pas non plus proches de la victoire ; disons plutôt que nous avons gagné des batailles, que d’autres sont en cours et que certaines femmes s’en sortent vraiment bien tandis que d’autres continuent de souffrir. Les choses évoluent de façon intéressante et parfois même prometteuse.
Les textes de Rebecca Solnit résonnent fortement avec cette dernière année profondément marquée par la libération de la parole et de la solidarité face aux violences contre les femmes. On pense à l’affaire Weinstein évidemment – qui plane constamment sur ce livre, et dont on regrette qu’aucun texte ne lui soit dédié alors que ce livre est bien publié en 2018 – et à ce groupe de femmes qui avaient pris la parole en réclamant un droit d’importuner. Rien n’est joué et le combat reste immense et c’est ensemble que nous repousseront les codes.
Celle qui évoque Virginia Woolf comme un modèle de pensée et comme une voie à suivre dans la révélation des femmes pour ce qu’elles sont n’est pas dupe : les nombreux exemples de pas en avant sont prometteurs et encourageants. Mais rien n’est terminé.
merci beaucoup pour cet article! pour ce qui est de l’affaire weinstein, elle n’est pas évoquée car si le livre sort bien en français ces jours-ci, sa publication américaine remonte à 2015…
à tout le monde: lisez rebecca solnit, une des plus éminentes intellectuelle et activiste de ces dernières années!! son livre a fait date aux états-unis car il fournit des outils pour comprendre, réfléchir et agir.