[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]es rencontres improbables font souvent les grands albums (remember Franz Ferdinand et les Sparks), surtout quand c’est Born Bad qui édite. Chaque sortie du label Born Bad est un petit événement en soi, la promesse d’une nouvelle aventure musicale de qualité. Le label a sorti quelques locomotives comme La Femme, ou ses fameuses compilations Whizzz, mais il porte aussi quelques groupes maison comme Frustration ou Cheveu.
Dakhla Sahara Session est donc le fruit d’une rencontre improbable entre deux groupes assez éloignés, au moins géographiquement. D’un côté, Group Doueh, groupe de Dakhla, (Sahara occidental), porté par son guitariste Baamar Selmou, petit prodige autodidacte de la guitare. De l’autre, Cheveu, bordelais d’origine, groupe labellisé Born Bad, pétris de punk, de blues et de sons triturés, plutôt difficile à cataloguer musicalement.
Au milieu, une poignée de passionnés, fans de musique aventureuse, qui ont le désir de faire connaître la musique de Group Doueh en dehors de ses frontières, de la frotter à d’autres styles musicaux. C’est ainsi qu’en 2014, les premiers contacts s’établissent timidement entre Cheveu et Group Doueh, d’abord à Paris, pour aboutir à Dakhla en janvier 2016, pour enregistrer tout ça. Je ne vous raconte pas toute l’histoire, un livret détaillé dans l’album s’en occupe très bien.
À la base, pas évident de marier deux styles musicaux un peu éloignés et surtout deux cultures différentes, avec notamment une barrière linguistique ; pourtant, le blues aux sonorités parfois discordantes de Group Doueh s’accorde a merveille avec les musiques enflammées de Cheveu, et la rencontre est totalement réussie. C’est parfois une véritable osmose.
Dès le premier morceau, Moto 2 places, le ton est donné, c’est bien d’un véritable brassage qu’il s’agit, de la rencontre entre deux univers, deux musiques qui se complètent l’une l’autre. Le morceau est porté par l’orgue de Group Doueh et les chants alternés des deux groupes.
Bord de mer est introduit par une rythmique transe très new wave, presque électro, et traversée par des chants quasi psalmodiés, quand soudain le chant en français de Cheveu surgit pour faire partir le morceau dans une envolée psychédélique, bardée de synthés et autres boucles.
Rien qu’avec ces deux morceaux, ce qui frappe c’est l’harmonie parfaite ; le chant si particulier de David Lemoine de Cheveu se pose à merveille sur cette transe chamanique. Les synthés de Group Doueh se marient au poil avec les boucles hypnotiques de Cheveu. Les deux chants se succèdent et se complètent en osmose. Ce qui porte le disque, ce sont aussi les chants conjugués des deux entités. D’un côté, ce chant si particulier en français du chanteur de Cheveu, à moitié parlé et déclamé ; de l’autre, les harmonies des deux vocalistes de Group Doueh.
Tout droit commence comme une chanson berbère, presque raï, puis dévie dans une espèce de furie punk/new wave emmenée par la voix énervée de David Lemoine et contrebalancée par les chœurs de Group Doueh.
Sur certaines chansons, comme Tout droit, c’est plus l’esprit punk de Cheveu qui domine, avec ce chant déclamé et cette rythmique qui fait penser à The Ex. Sur d’autres, comme Skit, c’est plus Group Doueh qui impose sa structure et sa musique chantée du désert, mais le tout dans une même continuité.
Azawan se lance dans une épopée rock, à toute blinde, toute guitare dehors, évoquant certains groupes touareg actuels comme Bombino ou Songhoy Blues, grosse patate d’enfer.
Il faut souligner que tout cela est aussi très dansant, c’est à une grande fête que nous assistons. Et également une belle rencontre : chaque groupe a emporté ses instruments, Cheveu a apporté ses machines, ses boucles, et Group Doueh joue parfois avec une drôle de guitare, la tinidit qui lui donne un son particulier, voire désaccordé qui s’associe parfaitement au son des bordelais. Comme sur Charaa, où on sent l’expérimentation, où l’on pousse l’improvisation.
Ach’hadlakyakhay est un morceau pas loin du raggamuffin, porté par un simple, mais efficace, riff de guitare, qui donne carrément envie de se lancer sur le dance floor.
Hamadi est une véritable invitation à danser, avec une petite intro mystérieuse, très mille et une nuits, où les instruments s’invitent les uns après les autres, pour finalement se lancer dans une longue transe, soutenue par les chants alternés des deux groupes.
C’est un superbe album, qui vous prend aux tripes tout de suite, que l’on écoute en boucle, presque trop court.
Cadeau bonus, leur passage sur RFI.
Et, cerise sur le gâteau, il m’a été permis de confirmer la grande qualité du projet sur scène. En effet, le collectif est en tournée, et il est passé par l’excellente salle de l’Épicerie Moderne à Feyzin. Des les premières notes de Hamadi, on sent que ça va être la folie pendant plus d’une heure. Sur scène, les deux groupes (trois musiciens pour Cheveu, quatre pour Group Doueh) sont mélangés. Les guitaristes des deux groupes sur la gauche, les chanteurs au centre, et à droite le bidouilleur de Cheveu et le synthé de Group Doueh.
Son impeccable, ambiance très festive, malgré la barrière de la langue pour le groupe du Sahara. On sent David Lemoine, le chanteur de Cheveu, avide de faire découvrir ce groupe et sa musique. On aimerait que ça dure encore et encore mais même le chanteur est surpris qu’ils soient déjà arrivés à la fin au bout d’une heure. Le concert se termine par un long morceau improvisé, sur des rythmes transe, avec les deux leaders chanteurs, puis danseurs de Group Doueh, portés par ses deux musiciens, et va finir dans la salle pour notre plus grand bonheur.
Group Doueh & Cheveu, Dakhla Sahara session chez Born Bad Records, 2017.
Dates de concert :
05 juillet Paris, à l'Institut des Cultures d'Islam
09 juillet Belfort, aux Eurockéennes
13 juillet au Dour Festival (Belgique)